Ici et là, il joue gros: d’une part, sa crédibilité
auprès de ses alliés et, d’autre part, son avenir politique.
Ici et là, rien n’est définitivement joué. Tout à
l’heure, il annoncera la fin de l’opération “Desert Fox” après
s’être vu infliger le vote-sanction de l’“impeachment”.
Dans sa bataille tous azimuts, William Jefferson Clinton n’est pas
seul. A ses côtés, se tient son épouse Hillary qui,
tôt en ce matin du samedi 19 décembre, s’était rendue
au Congrès pour y plaider sa cause auprès des élus
démocrates. Certes, d’aucuns lui ont reproché une plaidoirie
dépassionnée et sans chaleur, à mettre peut-être
sur le compte de son style personnel et son statut de First Lady. Mais
il n’en demeure pas moins qu’elle reste l’argument du président
contre le “cannibalisme politique” dont il est victime.
L’autre argument majeur et décisif est l’appui du peuple américain.
Un sondage effectué, à l’issue du vote, par la NBC a révélé
que 55% des Américains désapprouvaient le vote de la Chambre
des représentants, alors que 43% estimaient que les élus
avaient accompli leur devoir. Toutefois, la popularité de Bill Clinton
demeurait au zénith: 72% des Américains le soutenaient toujours.
Peu enclins à déchiffrer les messages, emportés par
leur haine de Clinton, les ultras conservateurs républicains ont
imprimé leur marque au GOP, occultant le verdict sorti des urnes
du 3 novembre, toujours sourds aux véritables enjeux du destin de
l’Amérique.
LA JOURNÉE DES DUPES
Après un répit de 24 heures, dû au déclenchement
de l’opération “Desert Fox” considérée, de prime abord,
comme une manœuvre de diversion clintonienne, la Chambre des représentants
(228 républicains, 206 démocrates, 1 indépendant)
s’est réunie le vendredi 18 décembre pour engager la procédure
de destitution dont l’issue, en vertu de l’équation arithmétique,
était quasi-certaine.
13 heures de débats houleux la veille, prolongés d’une
heure samedi matin, ont été poursuivis 17 heures durant avec
virulence et force invectives réservant, toutefois, un coup de théâtre
inattendu. L’élu de Louisiane, Bob Livingstone, futur “speaker”,
jetait l’éponge , dans l’espoir de donner l’exemple à Bill
Clinton. Il avait reconnu une relation extraconjugale à lui attribuée,
en plein climat de conspiration et de déballage sur la place publique
des aventures galantes des politiciens. Kenneth Starr avait ouvert la boîte
de Pandore et il fallait en assumer les conséquences.
“Il m’est impossible, dans les circonstances actuelles d’accomplir
ma tâche et d’être le leader que je voudrais être, avait
confessé publiquement Bob Livingstone. Je dois donner l’exemple
et j’espère que le président le suivra. Je ne me présenterai
pas pour le poste de speaker le 6 janvier prochain. Je quitterai mon mandat
d’élu dans six mois invitant à de nouvelles élections.”
Une heure plus tard, la Maison-Blanche répliquait: pas
question de démissionner et Livingstone devrait reconsidérer
sa décision. Le dialogue de sourds s’est poursuivi à la Chambre
où les élus démocrates ont tenté en vain de
faire passer une motion de censure comme alternative à la destitution.
Se heurtant à une fin de non recevoir, ils ont exprimé leur
désaveu en quittant l’hémicycle et en descendant les marches
du Capitole où les attendaient de nombreux supporters et également
de détracteurs. A l’extérieur, l’atmosphère ressemblait
fort à celle si électrique qui enveloppait la vénérable
assemblée.
La veille, Henry Hyde, président de la commission judiciaire,
avait bien voulu se disculper de porter atteinte à la vie privée
du président. “Ce n’est pas une question de sexe, a-t-il affirmé,
ou de mauvaise conduite et d’adultère. La vraie question, c’est
le mensonge sous serment.” En vérité, a répondu un
élu démocrate, “ce procès est une imposture. Où
est votre sens de la justice? Si chaque élu devait répondre
à une enquête de 40 millions de dollars, il y aurait beaucoup
de sièges vides dans cette assemblée.”
UN SEUL PRÉCÉDENT EN 1868
Pendant que les forces US et britanniques conduisaient leur quatrième
raid sur l’Irak, achevant d’y déverser quelque 400 missiles (contre
300 dans la guerre du Golfe), la Chambre des représentants procédait
au vote des quatre articles de l’“impeachment”, deux pour parjure, un pour
obstruction à la justice et un pour abus de pouvoir. Le premier
article pour parjure est voté par 228 voix contre 206. Curieusement,
5 républicains votent contre la destitution et 5 démocrates
pour cette destitution. Le troisième article relatif à l’obstruction
à la jutsice est voté par 221 voix contre 212 avec l’opposition
de 12 républicains, tandis que l’article deux ne passe pas et l’article
quatre est rejeté. Il suffisait de voter un seul article pour enclencher
la procédure. Néanmoins, le fait que deux chefs d’inculpation
seulement aient été retenus affaiblit l’accusation qui se
faisait fort de les faire voter tous.
Le 42ème président des Etats-Unis se trouve, ainsi, le
seul du siècle et le deuxième des Etats-Unis à se
retrouver “destitué” par la Chambre des représentants en
attendant de l’être par le Sénat. Ce qui est fort problématique,
voire impossible, car la majorité des deux-tiers des 100 sénateurs
(55 républicains, 45 démocrates) est requise pour consacrer
la procédure.
Il y a 130 ans, en 1868, le président Andrew Johnson avait échappé
à la destitution à une voix près au Sénat.
Il était entré en conflit avec le Congrès quant à
la politique de reconstruction du Sud à l’issue de la guerre civile.
UNE PROCÉDURE ASSIMILÉE À
UN “COUP D’ÉTAT”
Ne dissimulant pas sa satisfaction, Henry Hyde traverse le Capitole
et porte les articles de l’“impeachment” au secrétaire du Sénat
(Gary Sisco) où sera conduite la procédure de destitution
en janvier prochain. Le leader de la majorité républicaine
au Sénat, Trent Lott a annoncé la couleur: “Le Sénat
fera son devoir constitutionnel; nous tiendrons ce procès. Et il
n’y aura pas de négociations lorsque nous commencerons.” “Personne
n’est au-dessus de la loi, pas même le président”, “le parjure
étant un crime de la même gravité que la trahison”,
affirment les élus républicains.
Tout à l’opposé se situent les démocrates. Leur
leader, Dick Gephardt, crie au “coup d’Etat” et dénonce “la politique
de la terre brûlée” des républicains. Les élus
noirs estiment que Clinton est “coupable d’être un leader populiste,
qui a ouvert les portes du pouvoir aux pauvres, aux femmes, aux noirs,
aux minorités.” Il s’agit de “cannibalisme politique” et l’instauration
du “Mc Carthysme sexuel”. “Mon Dieu, quel genre de pays, quel genre d’institutions
nous sommes devenus!”
Un cortège d’une douzaine d’élus démocrates, à
leur tête Dick Gephardt, se rendent à la Maison-Blanche où
ils rencontrent, dans le jardin des roses, le président Clinton
qui, deux heures après le vote, réaffirme sa volonté
de rester aux commandes: “Je veux que le peuple américain sache
aujourd’hui que je suis toujours engagé avec les gens de bonne foi
et de bonne volonté des deux parties pour servir notre nation et
notre peuple. C’est ce que j’ai essayé de faire depuis six ans.
Et c’est ce que j’entends poursuivre jusqu’à la dernière
heure, le dernier jour de mon mandat.”
LE PROCÈS DU SIÈCLE AURA-T-IL LIEU?
La procédure enclenchée pourrait se déployer sur
plusieurs mois (comme ce fut le cas du président Andrew Johnson)
et paralyser la vie politique américaine. Elle risque d’accentuer
les clivages entre républicains (qui sont au plus bas de leur popularité
depuis 14 ans). Contrairement au scandale du Watergate où la majorité
démocrate avait réussi à se rallier, en 1974, le soutien
de la minorité républicaine, l’affaire Lewinsky qui agite
la classe politique américaine depuis onze mois, divise en deux
les acteurs de ce psychodrame ahurissant qui ne peut se dérouler
qu’aux Etats-Unis et verse en plein dans l’absurde.
Aussi, la Maison-Blanche tenterait-elle de négocier une sortie
à la crise par un vote de censure ou de réprimande du Sénat
ou d’y arrêter la procédure à l’issue incertaine, tant
il est vrai que les républicains ne détiennent pas au Sénat
les mêmes cartes qu’à la Chambre des représentants.
En même temps, la course à la présidence de la
Chambre a commencé. A la suite du désistement de Bob Livingston
assuré de remplacer Newt Gingrich “speaker” sortant qui avait démissionné
après le semi-échec des républicains au scrutin du
3 novembre, les appétits ont été aiguisés et
le premier à s’être présenté pour la succession
est Dennis Hastert, républicain de l’Illinois.
APRÈS LES RAIDS
Après avoir demandé que “la politique de destruction
de cette ville (entendre Washington) prenne fin” , après avoir quitté
la pelouse de la Maison-Blanche avec Hillary, la main dans la main, Clinton
s’adresse une heure et demie plus tard à la nation pour annoncer
la fin de la destruction d’une autre ville, à l’autre bout du monde,
Bagdad.
“Mission accomplie, estime-t-il. Nous avons infligé des dégâts
significatifs aux programmes irakiens d’armements massifs, ainsi qu’aux
structures militaires et de sécurité” de Saddam Hussein.
Lui a fait écho, par-delà l’Atlantique, son indéfectible
allié et co-partenaire dans les raids, Tony Blair qui a annoncé
une nouvelle stratégie basée sur l’“endiguement” et la lutte
contre Saddam Hussein jusqu’à sa chute. La pression sur le régime
irakien sera donc maintenue avec le dispositif militaire américain
déployé dans le Golfe et toujours prêt à passer
à l’action.
Dans “Desert Fox”, les Etats-Unis n’ont été réellement
soutenus que par la Grande-Bretagne, recevant des appuis verbaux de certains
de leurs alliés et des critiques virulentes (Russie, Pékin)
ou voilées (France, Italie) de leurs partentaires et amis.
Le Conseil de Sécurité se sent floué, ayant été
superbement ignoré par les meneurs en duo du jeu. Et Kofi Annan
n’a guère apprécié l’opération; encore moins
son instigateur le chef de l’Unscom, Richard Butler, considéré
par Bagdad comme un espion à la solde des Etats-Unis .
Une nouvelle stratégie devrait être initiée envers
l’Irak pour alléger les souffrances de son peuple et reconsidérer
les relations de ce pays avec les Nations Unies. On ne peut punir indéfiniment
un peuple pour des crimes (supposés ou réels) de ses dirigeants.
La France rejoint sur ce plan la Russie et envisage une nouvelle phase
dans le jeu trouble des grandes nations.
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![]() Manifestation des partisans de Clinton devant le Capitole. |
![]() Henry Hyde, président de la commission judiciaire, |
Réunion de Tony Blair avec l’Etat-major de la Défense.