Editorial
 
LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT HARIRI
LA POLITIQUE EST INGRATE: ELLE N’A NI PÈRE, NI MÈRE...
Monsieur le président, 
Je vous écris aujourd’hui à partir de la position de la sincère objectivité. Nous ne vous vouons ni rancune ni hostilité, étant entendu que notre cœur en est affranchi. La cause de l’éloignement, dans le passé, était une divergence d’opinions. 
Vous êtes aujourd’hui dans une position vous permettant d’être davantage proche des gens; de les comprendre, de réaliser les injustices dont ils se lamentent, les sujets de leurs plaintes, après avoir quitté la tour d’ivoire, alors que vous vivez loin de l’éclat et de la grandeur des fonctions. Je suis persuadé que vous ne serez pas négatif, tout en faisant de l’opposition avec moralité et élévation. 
Ce que je dis est pour le rappel, non pour le dépit. L’autorité l’emporte sur l’argent. Les ordres du dépassement, accompagnés de l’expression “avec insistance et affirmation” qui étaient adressés aux subordonnés “rebelles”, étaient un poids pour le gouvernement et le pouvoir que vous avez intégré et dont vous avez disposé du crédit. Il me plaît d’apprendre que vous avez eu la certitude du fait que les gens sont avec le gouvernant; qu’ils s’éloignent de quiconque ne dispose plus du pouvoir. 
Vous n’êtes pas seul blâmable, mais celui qui vous a habitué à cette façon de traiter avec autrui et d’accepter ce que vous voulez. Puis, vous n’avez pas appris à écouter le mot “non” que vous crache à la figure un fonctionnaire engagé vis-à-vis des règles de la pratique professionnelle. Je sais que vous avez la patience de supporter l’adversité, aimez la grandeur et la munificence du poste. C’est votre droit. Je connais, aussi, votre sens politique. Vous me disiez: Si je sens un jour qu’une main tient le bout du tapis, tente de le tirer de son côté et de l’enlever sous mes pieds, je l’aurai quitté après une seconde. 
Lorsque je vous disais: Monsieur le président, vous n’êtes pas immortel et quand nous œuvrons en faveur d’une liberté large d’expression, nous le faisons aux fins de garantir votre droit de dire ce que vous voulez, le jour où vous serez dans l’opposition; quand je disais ceci, vous partiez d’un éclat de rire, et vous répondiez: “Quand ce jour viendra-t-il?”  
Ce jour est venu, Monsieur le président. Mon espoir est que vous puissiez cohabiter avec lui et admettre la critique sans impulsivité. Puis, la politique est ingrate, elle n’a ni père ni mère. Celui-là ment qui vous dit que la politique est la science des moyens ou l’art du possible. Ce sont deux définitions d’une ère révolue. 
Je vous rappelle, ici, ce que vous avez dit au ministre Michel Eddé: “Je croyais que le pouvoir était un carnet de chèques et j’ai réalisé que j’étais dans l’erreur. Le pouvoir est politique dans une proportion de quatre-vingts pour cent, le reste, soit vingt pour cent, étant un carnet de chèques.” Je suis heureux de constater que vous vous êtes rapproché de la réalité et que vous avez saisi cet aspect de la pratique politique. 
Cependant, il existe d’autres aspects que celui-ci et vous êtes habilité à les connaître en profondeur. Votre rire m’importunait, parce qu’il révélait un manque de foi dans les enseignements de l’Histoire. 
Les gens, Monsieur le président, sont des minerais et des entités, aucun d’eux ne ressemblant à l’autre. Vous devez donc vous y adapter. Chaque homme a son caractère et il est naturel qu’Emile Lahoud, ce président transcendant, ne soit pas pareil à Elias Hraoui, ni Salim Hoss pareil à Rafic Hariri et Hosni Moubarak différent d’Anouar Sadate. 
Ce sont des faits que vous devez connaître pour pouvoir bien traiter sur base de données claires. 
Monsieur le président, vous êtes parmi les hommes qui ont réussi, preuve en est que vous êtes arrivé, car quiconque ne jouit pas des qualités requises ne peut atteindre la place qui est la vôtre. Le choc dans la vie du politicien est un fait éphémère et si grand soit-il, il ne doit pas paralyser sa capacité et sa présence. Je ne hais pas la vie, si elle me frappe d’un revers. Je commence à la haïr, le jour où elle ne m’offre plus de leçons et de conseils. Vous avez estimé inacceptable de n’avoir pas obtenu le soutien de cent parlementaires, mais vous avez perdu de vue que ce nombre s’accroît ou se réduit proportionnellement à votre présence au pouvoir. En dehors du pouvoir, le nombre change, de même que les comptes, la limousine NÞ3 apportant avec elle la munificence et l’apparat. 
Monsieur le président, bienheureux à vous si vous savez tout ce que vous devez savoir. Il vous est demandé de ne pas rejeter la logique de la politique, car on ne peut traiter avec les leaders de la même manière et tout change. Il est dans votre existence, des faits auxquels vous avez fait face au pouvoir, auquel vous avez accédé avec une force vous ayant placé dans le cadre du gouvernant hors-pair. Nous n’oublions pas encore votre apparition à la Chambre des députés tenant une règle à la main devant un tableau, comme si vous étiez un maître d’école. Vous êtes venu au pouvoir sans vous contenter d’être uniquement un chef de gouvernement. Vous avez voulu cumuler, aussi, les charges d’un ministre des Finances, de la Justice et des Communications. Ainsi, vous avez rassemblé plusieurs départements ministériels en plus de la présidence du Conseil, ce qui a amené le président Karamé à surnommer Fouad Sanioura, le “caïmacam”. 
Vous êtes venus au pouvoir avec une nouvelle expérience. Il n’est pas facile à un président du conseil d’administration d’entendre le mot “non”. Or, au pouvoir vous avez le devoir de l’écouter. Le gouvernant - et revenons au Moutanabbi - doit entendre le “non” avant le “oui”. Et ceci n’est pas dans votre tempérament. C’est pourquoi, les gens, même ceux qui étaient de votre bord, vous supportaient, sans vous tolérer. Cela a occasionné le soufflement du vent autour de vous, d’autant que vos relations extérieures engagées du côté français, vous conféraient la présence requise. 
L’apparat du pouvoir a émoussé votre crédit. Les gens “n’avalaient” pas facilement l’escorte de dix jeeps, en plus des convois de voitures pour vous conduire à un déjeuner ou à un dîner provoquant, de ce fait, la fermeture d’une rue et paralysant le trafic au moyen d’éléments et de véhicules blindés. Sans perdre de vue les voitures noires aux vitres fumées. 
Parmi les griefs chez nous contre le Pouvoir, est qu’il ne distingue pas entre la personne et la fonction. C’est une dualité énorme. De plus, il n’établit pas une distinction entre le pouvoir en tant que pratique publique ou privée! Ceci a entretenu une certaine ambiguïté. 
Ensuite, il y a eu les problèmes de l’argent; bien des choses s’effectuaient avec générosité, celle d’Abou-Baha, car le coffre d’Abou-Baha supporte les dépenses, alors que celui de l’Etat ne les supporte pas. 
Nous ne disons pas cela parce que vous êtes devenu en dehors du pouvoir. Le jour où certains hésitaient, nous proclamions ce que pensaient les gens et émettions nos points de vue. 
Nous avons eu foi en permanence dans les paroles proférées avec clarté; dans la critique légale qui clame les bienfaits et les méfaits. Telle était notre ligne de conduire et nous avions supporté les risques ou les conséquences de notre attitude. 
En toute cordialité et sans rancune, celle-ci n’ayant pas de place dans notre cœur, étant entendu que nous ne vous vouons que de l’affection, je vous susurre à l’oreille que l’Etat est à celui qui en détient les rênes. 
Vivez des jours sereins et paisibles. 
Ne voyez-vous pas, avec la grande majorité des Libanais, que les nominations sont valables, de même que le soin apporté aux libertés, quant à l’abolition de la décision qui interdisait les manifestations et à la refonte des décrets régissant l’audiovisuel, afin de donner à chacun son droit; tout cela ne constitue-t-il pas la première initiative réussie du nouveau Conseil des ministres? 
Photo Melhem Karam

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