L’ÈRE HRAOUI-HARIRI A TOUT BLOQUÉ...
- Pourquoi cette étape a-t-elle tardé à aboutir?
“La guerre du Golfe a affecté notre action et nous a contraints
à faire du surplace. Puis, les négociations arabo-israéliennes
entamées en 1991 et suivies d’une période de stagnation,
ont contribué à geler nos efforts.
“Il faut ajouter à cela, les élections législatives;
puis, municipales organisées à la suite de la formation des
trois Cabinets haririens, accompagnés de la reconduction du mandat
du président Hraoui. Tout cela a retardé la réhabilitation
des institutions étatiques et entravé le processus de l’entente
nationale durant trois ans, alors que ces institutions étaient censées
garantir les droits du citoyen et sa liberté.”
- Tournons la page du passé et venons-en à l’élection
du général Emile Lahoud: l’image s’est-elle modifiée
et que peut-on attendre du nouveau régime dans l’immédiat?
“L’image a totalement changé, naturellement et bien des choses
ont été réalisées avec l’accession du président
Lahoud à la magistrature suprême. Dès le premier jour,
on a assisté à un rassemblement autour du Pouvoir que le
pays n’avait jamais connu auparavant.”
- Quelle en est la cause, à votre avis?
“C’est la conséquence des circonstances difficiles dont a pâti
le pays durant des années et, aussi, de la non formation d’un gouvernement
d’entente nationale stipulé par le document d’entente. Sans perdre
de vue les crises socio-économiques succes-sives et le gonflement
de la dette publique, ce qui s’est répercuté, négativement,
sur le niveau de vie des citoyens.”
LES CABINETS HARIRIENS ET LEURS ERREURS
- Les Cabinets haririens seraient-ils à l’origine de tout
cela?
“Certainement, surtout quand nous savons que le montant de la dette
publique durant l’épreuve libanaise, de 1975 à 1992, n’avait
pas excédé 1,500 milliard de dollars.
“Le gouvernement Karamé avait élaboré un plan
à l’effet de réduire la proportion du déficit budgétaire.
Ceci aurait permis d’acquitter la dette publique sans surcharger le Trésor
d’intérêts élevés. On aurait dû adopter
une politique rationnelle et engager des dépenses sur la base des
possibilités réelles du Liban, tout en comptant dans une
certaine mesure sur l’aide (de 2 milliards de dollars) promise par les
Etats arabes.
“Malheureusement, les Cabinets haririens ont suivi une politique tout
à fait différente. De fait, ils ont contracté des
prêts moyennant des taux d’intérêt élevés,
partant de la supposition que la paix était imminente et que dès
son instauration, on nous aurait débarrassés de nos dettes.
“Puis, il a été procédé à l’exécution
de projets qui ne devaient pas figurer sur l’ordre des priorités.
Il aurait fallu, plutôt, remettre en état nos infrastructures;
ensuite, réactiver les institutions étatiques à commencer
par le Conseil des ministres, pour finir par le Pouvoir judiciaire et l’élaboration
d’un plan global de développement, après le rétablissement
du ministère du Plan. Sans omettre de réformer l’administration,
l’Etat devant disposer d’un organe apte à exécuter ses programmes.
De cette manière, on aurait encouragé les investissements
arabes et étrangers. Tout cela ne s’est pas produit.”
- Le remplacement du Cabinet karamiste aurait-il été
provoqué, sciemment?
“Je réponds à cette question par l’affirmative. D’ailleurs,
ce fait n’est plus un secret pour personne. Le départ de M. Karamé
avait été provoqué par Rafic Hariri et ses partenaires.
Ceci ne peut être pardonné, car les remous provoqués
à l’époque ont porté un grand préjudice au
pays et lui ont fait perdre six années qui auraient pu être
mieux exploitées. La politique suivie par Hariri et ses conseillers,
a empêché le sauvetage du Liban de sa crise socio-économique
et son relèvement après les douloureux événements
dont les séquelles ont persisté jusqu’à ce jour.”
LAHOUD N’A PAS DÉROGÉ À
LA CONSTITUTION
En réponse à une question concernant la prétendue
violation de la Constitution, lors des consultations présidentielles
ayant précédé la formation du premier Cabinet du nouveau
régime, M. Husseini réfute l’allégation de M. Hariri.
“Cette allégation de sa part, ajoute-t-il, me paraît étrange,
car l’ancien chef du gouvernement n’a cessé de transgresser les
clauses constitutionnelles durant tout le temps où il se trouvait
au Sérail.
“Les consultations se sont donc déroulées conformément
aux normes légales, comme cela s’était passé depuis
les réformes politiques et sous le court mandat du président
Mouawad.
“Le président Lahoud n’a donc pas violé la Constitution.
En réalité, la plupart des députés ont émis
leur avis quant à la personnalité devant former le nouveau
Cabinet. Le chef de l’Etat l’a chargé de cette mission, mais M.
Hariri s’est excusé, arguant la violation de la loi fondamentale,
faisant ainsi allusion à la délégation de pouvoir
faite par certains parlementaires au chef de l’Etat.”
- Que pensez-vous de cette délégation de pouvoir?
“Le député est tenu de citer le nom du Premier ministre
ou s’abstenir. Or, la délégation de pouvoir équivaut
à l’abstention. Et le président Lahoud n’a pas pris en compte
les noms des parlementaires qui lui ont confié le soin de choisir
le nouveau chef du gouvernement. Où est donc la violation du texte
constitutionnel?”
HARIRI PEUT COOPÉRER DIFFICILEMENT AVEC
LAHOUD
- Comment expliquez-vous le comportement de M. Hariri?
“A vrai dire, après l’élection du général
Lahoud, M. Hariri ne pouvait pratiquement plus assumer la responsabilité
du pouvoir, d’autant que le nouveau chef de l’Etat s’est placé lui-même
sous le règne de la loi.”
- Parlons, à présent, du président Salim Hoss:
le “Cabinet des 16” peut-il concré-tiser le discours d’investiture
sur le terrain?
“Le président Hoss jouit d’une vaste expérience au niveau
du pouvoir et est acquis à l’entente nationale; c’est ce qui explique
l’accueil favorable de son équipe gouvernementale. Celle-ci comprend
des éléments connus pour leur transparence, leur compétence
et leur honorabilité. C’est pourquoi, nous pouvons avoir la certitude
qu’ils œuvreront dans le cadre des institutions et ne dérogeront
pas aux lois et règlements en vigueur, comme c’était le cas
précédemment.
“Il nous faut donc profiter du choc bénéfique produit
par l’élection du président Lahoud qui est secondé
par un homme non moins qualifié pour assumer les grandes tâches
du pouvoir.”
UN TRAVAIL D’ÉQUIPE
- Le président Lahoud peut-il réaliser le programme
dont il a exposé les grandes lignes dans son discours d’investiture?
“Il le pourra avec le chef et les membres du gouvernement. Lorsque
nous réclamons la réalisation de la justice sociale à
travers la réforme socio-économico-financière, nous
regarderons du côté du ministre des Finances, M. Georges Corm,
qui est un connaisseur en la matière. Quand il s’agit de réformer
la magistrature, nous pensons au grand juge qu’est M. Joseph Chaoul, le
ministre de la Justice, ayant une conception parfaite du sujet. M. Nasser
Saïdy, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Commerce, saura
mettre sur pied le Conseil économique et social, alors qu’Abou Youssef
(Mohamed Y. Beydoun), ministre de l’Education, de l’Enseignement technique,
professionnel, supérieur et de la Culture, pourra satisfaire les
aspirations du citoyen.
“Lorsque nous songeons à recréer le ministère
du Plan ou à constituer un Conseil supérieur de la planification,
notre pensée va à M. Najib Mikati et à ses collègues:
Michel Murr, Sleiman Frangié; etc...”
- Le discours d’investiture du président Lahoud constitue-t-il,
vraiment, une condamnation des Cabinets haririens, comme d’aucuns le soutiennent?
“Sans nul doute. C’est, d’ailleurs, ce qu’ont assuré ceux qui
ont lu le discours présidentiel au Liban et à l’étranger
et ce qu’a reconnu plus d’un représentant du pouvoir révolu.”
- Quelles sont les priorités du “Cabinet des 16”?
“Il importe, avant tout, d’élaborer une nouvelle loi électorale
de manière à garantir la représentation politique
de toutes les catégories du peuple et de ses générations,
d’autant que nous avons franchi une grande étape au plan sécuritaire.
Avec un groupe de collègues, nous avons présenté une
proposition de loi ramenant l’âge du vote de 21 à 18 ans,
afin d’accorder leur droit de vote aux générations montantes.
“Puis, le gouvernement doit appliquer les réformes politiques
prévues par le document d’entente nationale.”
QUID DE LA RÉVISION DE TAËF?
- Certains préconisent la révision de l’accord de
Taëf, par l’intermédiaire d’un comité à placer
sous votre présidence. Seriez-vous acquis à cette tendance?
“Tout d’abord, la formule consignée dans cet accord est sujette
à évolution pour pouvoir être mieux appliquée
dans son esprit et sa lettre ainsi, d’ailleurs, que la Constitution.
“L’Assemblée est la partie habilitée à entreprendre
cette tâche.”
- Pourquoi ne mettez-vous pas les procès-verbaux de Taëf
à la disposition de la Chambre des députés?
“Il s’agit de procès-verbaux concernant une rencontre parlementaire
et non des séances de l’Assemblée nationale. Les participants
à la réunion de Taëf ont convenu de les garder secrets,
sauf dans deux cas: quand on sera assuré du rétablissement
définitif de la sécurité dans le pays et quand les
participants à la rencontre de Taëf décideront de les
publier. Etant entendu qu’aucun responsable n’a demandé jusqu’ici
à prendre connaissance de la teneur de ces procès-verbaux.
“Si le chef de l’Etat demandait à les voir, je les lui remettrais,
naturellement et je me mettrais à son entière disposition.”
COMMENT RÉALISER LA RÉFORME ADMINISTRATIVE?
- Auriez-vous une idée de la manière dont le gouvernement
compte extirper la corruption?
“La présence d’une personne de la qualité du Dr Hassan
Chalak au ministère de la Réforme administrative permet d’espérer
en l’éradication de la corruption. Mais cela ne peut se réaliser
qu’à travers les institutions et après que la magistrature
aura été rendue indépendante pour qu’elle puisse sauvegarder
les droits, autant que les libertés et châtier les coupables.
“Fait le plus étrange: les anciens présidents de la République,
du Conseil et le Conseil des ministres procédaient en vase clos
sur ce plan et s’accordaient, mutuellement, des faveurs au plan administratif
et des nominations.”
- Le président Hoss s’apprête à effectuer une
tournée arabe; celle-ci relancera-t-elle l’aide promise au Liban
depuis des années?
“Les Etats arabes ont des obligations financières envers le
Liban, en vertu des résolutions prises au sommet de Tunis en 1980.
Des deux milliards de dollars promis, en contrepartie des charges que constituent
les réfugiés palestiniens établis en territoire libanais,
395 millions ont été payés. Tout s’est arrêté
après l’invasion israélienne de 1982, ainsi que les deux
milliards qui devaient, par décision du sommet de Bagdad en 1990,
être versés au fonds arabe et international d’aide au Liban.”
LA TOURNÉE ARABE DE HOSS
“Cela dit, je m’empresse de préciser que la tournée arabe
du président Hoss a moins pour but de collecter des fonds que de
renforcer les rapports avec les pays frères auprès desquels
le Liban jouit d’un grand crédit.
“En dépit des difficultés matérielles auxquelles
ils se trouvent en butte, les Etats arabes sont en mesure d’orienter les
détenteurs de capitaux et de les porter à investir chez nous.
D’autant que la réactivation des institutions étatiques accroîtra
la confiance quant à la possibilité pour les investisseurs
de réaliser des profits substantiels.
“De plus, les capitaux arabes pourront remettre en marche les raffineries
de Tripoli et de Zahrani et leur fournir du pétrole brut. Ceci vaudra
d’importantes sommes au Trésor.
“Par ailleurs, les excellentes relations que le Liban entretient avec
l’Arabie séoudite, le Koweit, l’Etat des émirats arabes unis
et d’autres de nos partenaires de la Ligue, rendront la tournée
du président Hoss profitable. Puis, il importe d’effectuer les contacts
directement avec les pays frères et non par un intermédiaire.”
ISRAËL VEUT IMPOSER LA PAIX À SES
CONDITIONS
- Comment jugez-vous la politique suivie par l’Etat hébreu
envers l’opération de paix?
“Il va sans dire qu’Israël veut imposer la paix à ses propres
conditions et, partant, contraindre les Arabes à capituler, en affaiblissant
leur position, en prévision des négociations, la Syrie étant
leur porte-parole principal.
“Lorsque la paix a été conclue entre l’Egypte et Israël,
il avait été dit: “Pas de guerre sans l’Egypte et pas de
paix sans la Syrie. Or, les Israéliens ne cessent de louvoyer, en
vidant l’accord d’Oslo de son contenu ou en s’abstenant d’appliquer les
clauses de Wye Plantation, afin de ne pas souscrire à la paix juste
et globale.
“Les dernières agressions quasi-quotidiennes au Liban-Sud, ont
pour objectif de faire pression sur le Liban, afin de l’amener à
se désolidariser de la Syrie, surtout lors de la récente
visite que le président Clinton a effectuée dans la région.”
- Voudriez-vous formuler quelque souhait à propos du tandem
Lahoud-Hoss?
“Nous soutenons le régime dont le programme d’action traduit
la volonté des Libanais et sert leurs intérêts. Nous
rejetons toute formule pareille à la troïka, car le régime
est celui du président Emile Lahoud et seul il exerce les prérogatives
que lui confère le Pouvoir.
“Le chef de l’Etat veille au bon fonctionnement des institutions, au
respect de la Constitution et à la sécurité du pays.
Aussi, le législateur lui a-t-il conféré de larges
attributions pour lui permettre de sauvegarder l’ordre et de consolider
l’entité nationale.”