ANCIEN CHEF DU LÉGISLATIF, DÉPUTÉ DE BAALBECK-HERMEL
HUSSEIN HUSSEINI:
 “LE RÉGIME EST CELUI DU PRÉSIDENT LAHOUD QUI DISPOSE DE TOUS LES POUVOIRS”

Le président Hussein Husseini est l’un des rares hommes politiques qui comprennent le Liban. Il peut être considéré comme le “père spirituel” de sa seconde naissance, comme Béchara el-Khoury était son “père spirituel” en 1943.
La connaissance du Liban exigeant une profondeur de pensée, une méditation permanente et une largesse d’esprit, qualités dont jouit l’ancien chef du Législatif, celui-ci est habilité à juger des initiatives ou formules qui conviennent le mieux à notre pays, comme du rôle qu’il est appelé à jouer au double plan régional et international.
M. Husseini était de ceux qui prônaient le changement à tous les niveaux et échelons de l’Etat: ce qui vient de se produire aux palais de Baabda et du gouvernement lui donne-t-il satisfaction?
“Naturellement, répond-il, je suis très satisfait. Le changement peut intervenir à travers l’étape que nous avons traversée depuis l’accord de Taëf devenu, aujourd’hui, la nouvelle Constitution nationale.”
 

L’ÈRE HRAOUI-HARIRI A TOUT BLOQUÉ...
- Pourquoi cette étape a-t-elle tardé à aboutir?
“La guerre du Golfe a affecté notre action et nous a contraints à faire du surplace. Puis, les négociations arabo-israéliennes entamées en 1991 et suivies d’une période de stagnation, ont contribué à geler nos efforts.
“Il faut ajouter à cela, les élections législatives; puis, municipales organisées à la suite de la formation des trois Cabinets haririens, accompagnés de la reconduction du mandat du président Hraoui. Tout cela a retardé la réhabilitation des institutions étatiques et entravé le processus de l’entente nationale durant trois ans, alors que ces institutions étaient censées garantir les droits du citoyen et sa liberté.”
- Tournons la page du passé et venons-en à l’élection du général Emile Lahoud: l’image s’est-elle modifiée et que peut-on attendre du nouveau régime dans l’immédiat?
“L’image a totalement changé, naturellement et bien des choses ont été réalisées avec l’accession du président Lahoud à la magistrature suprême. Dès le premier jour, on a assisté à un rassemblement autour du Pouvoir que le pays n’avait jamais connu auparavant.”
- Quelle en est la cause, à votre avis?
“C’est la conséquence des circonstances difficiles dont a pâti le pays durant des années et, aussi, de la non formation d’un gouvernement d’entente nationale stipulé par le document d’entente. Sans perdre de vue les crises socio-économiques succes-sives et le gonflement de la dette publique, ce qui s’est répercuté, négativement, sur le niveau de vie des citoyens.”

LES CABINETS HARIRIENS ET LEURS ERREURS
- Les Cabinets haririens seraient-ils à l’origine de tout cela?
“Certainement, surtout quand nous savons que le montant de la dette publique durant l’épreuve libanaise, de 1975 à 1992, n’avait pas excédé 1,500 milliard de dollars.
“Le gouvernement Karamé avait élaboré un plan à l’effet de réduire la proportion du déficit budgétaire. Ceci aurait permis d’acquitter la dette publique sans surcharger le Trésor d’intérêts élevés. On aurait dû adopter une politique rationnelle et engager des dépenses sur la base des possibilités réelles du Liban, tout en comptant dans une certaine mesure sur l’aide (de 2 milliards de dollars) promise par les Etats arabes.
“Malheureusement, les Cabinets haririens ont suivi une politique tout à fait différente. De fait, ils ont contracté des prêts moyennant des taux d’intérêt élevés, partant de la supposition que la paix était imminente et que dès son instauration, on nous aurait débarrassés de nos dettes.
“Puis, il a été procédé à l’exécution de projets qui ne devaient pas figurer sur l’ordre des priorités. Il aurait fallu, plutôt, remettre en état nos infrastructures; ensuite, réactiver les institutions étatiques à commencer par le Conseil des ministres, pour finir par le Pouvoir judiciaire et l’élaboration d’un plan global de développement, après le rétablissement du ministère du Plan. Sans omettre de réformer l’administration, l’Etat devant disposer d’un organe apte à exécuter ses programmes. De cette manière, on aurait encouragé les investissements arabes et étrangers. Tout cela ne s’est pas produit.”
- Le remplacement du Cabinet karamiste aurait-il été provoqué, sciemment?
“Je réponds à cette question par l’affirmative. D’ailleurs, ce fait n’est plus un secret pour personne. Le départ de M. Karamé avait été provoqué par Rafic Hariri et ses partenaires. Ceci ne peut être pardonné, car les remous provoqués à l’époque ont porté un grand préjudice au pays et lui ont fait perdre six années qui auraient pu être mieux exploitées. La politique suivie par Hariri et ses conseillers, a empêché le sauvetage du Liban de sa crise socio-économique et son relèvement après les douloureux événements dont les séquelles ont persisté jusqu’à ce jour.”

LAHOUD N’A PAS DÉROGÉ À LA CONSTITUTION
En réponse à une question concernant la prétendue violation de la Constitution, lors des consultations présidentielles ayant précédé la formation du premier Cabinet du nouveau régime, M. Husseini réfute l’allégation de M. Hariri. “Cette allégation de sa part, ajoute-t-il, me paraît étrange, car l’ancien chef du gouvernement n’a cessé de transgresser les clauses constitutionnelles durant tout le temps où il se trouvait au Sérail.
“Les consultations se sont donc déroulées conformément aux normes légales, comme cela s’était passé depuis les réformes politiques et sous le court mandat du président Mouawad.
“Le président Lahoud n’a donc pas violé la Constitution. En réalité, la plupart des députés ont émis leur avis quant à la personnalité devant former le nouveau Cabinet. Le chef de l’Etat l’a chargé de cette mission, mais M. Hariri s’est excusé, arguant la violation de la loi fondamentale, faisant ainsi allusion à la délégation de pouvoir faite par certains parlementaires au chef de l’Etat.”
- Que pensez-vous de cette délégation de pouvoir?
“Le député est tenu de citer le nom du Premier ministre ou s’abstenir. Or, la délégation de pouvoir équivaut à l’abstention. Et le président Lahoud n’a pas pris en compte les noms des parlementaires qui lui ont confié le soin de choisir le nouveau chef du gouvernement. Où est donc la violation du texte constitutionnel?”

HARIRI PEUT COOPÉRER DIFFICILEMENT AVEC LAHOUD
- Comment expliquez-vous le comportement de M. Hariri?
“A vrai dire, après l’élection du général Lahoud, M. Hariri ne pouvait pratiquement plus assumer la responsabilité du pouvoir, d’autant que le nouveau chef de l’Etat s’est placé lui-même sous le règne de la loi.”
- Parlons, à présent, du président Salim Hoss: le “Cabinet des 16” peut-il concré-tiser le discours d’investiture sur le terrain?
“Le président Hoss jouit d’une vaste expérience au niveau du pouvoir et est acquis à l’entente nationale; c’est ce qui explique l’accueil favorable de son équipe gouvernementale. Celle-ci comprend des éléments connus pour leur transparence, leur compétence et leur honorabilité. C’est pourquoi, nous pouvons avoir la certitude qu’ils œuvreront dans le cadre des institutions et ne dérogeront pas aux lois et règlements en vigueur, comme c’était le cas précédemment.
“Il nous faut donc profiter du choc bénéfique produit par l’élection du président Lahoud qui est secondé par un homme non moins qualifié pour assumer les grandes tâches du pouvoir.”

UN TRAVAIL D’ÉQUIPE
- Le président Lahoud peut-il réaliser le programme dont il a exposé les grandes lignes dans son discours d’investiture?
“Il le pourra avec le chef et les membres du gouvernement. Lorsque nous réclamons la réalisation de la justice sociale à travers la réforme socio-économico-financière, nous regarderons du côté du ministre des Finances, M. Georges Corm, qui est un connaisseur en la matière. Quand il s’agit de réformer la magistrature, nous pensons au grand juge qu’est M. Joseph Chaoul, le ministre de la Justice, ayant une conception parfaite du sujet. M. Nasser Saïdy, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Commerce, saura mettre sur pied le Conseil économique et social, alors qu’Abou Youssef (Mohamed Y. Beydoun), ministre de l’Education, de l’Enseignement technique, professionnel, supérieur et de la Culture, pourra satisfaire les aspirations du citoyen.
“Lorsque nous songeons à recréer le ministère du Plan ou à constituer un Conseil supérieur de la planification, notre pensée va à M. Najib Mikati et à ses collègues: Michel Murr, Sleiman Frangié; etc...”
- Le discours d’investiture du président Lahoud constitue-t-il, vraiment, une condamnation des Cabinets haririens, comme d’aucuns le soutiennent?
“Sans nul doute. C’est, d’ailleurs, ce qu’ont assuré ceux qui ont lu le discours présidentiel au Liban et à l’étranger et ce qu’a reconnu plus d’un représentant du pouvoir révolu.”
- Quelles sont les priorités du “Cabinet des 16”?
“Il importe, avant tout, d’élaborer une nouvelle loi électorale de manière à garantir la représentation politique de toutes les catégories du peuple et de ses générations, d’autant que nous avons franchi une grande étape au plan sécuritaire. Avec un groupe de collègues, nous avons présenté une proposition de loi ramenant l’âge du vote de 21 à 18 ans, afin d’accorder leur droit de vote aux générations montantes.
“Puis, le gouvernement doit appliquer les réformes politiques prévues par le document d’entente nationale.”

QUID DE LA RÉVISION DE TAËF?
- Certains préconisent la révision de l’accord de Taëf, par l’intermédiaire d’un comité à placer sous votre présidence. Seriez-vous acquis à cette tendance?
“Tout d’abord, la formule consignée dans cet accord est sujette à évolution pour pouvoir être mieux appliquée dans son esprit et sa lettre ainsi, d’ailleurs, que la Constitution.
“L’Assemblée est la partie habilitée à entreprendre cette tâche.”
- Pourquoi ne mettez-vous pas les procès-verbaux de Taëf à la disposition de la Chambre des députés?
“Il s’agit de procès-verbaux concernant une rencontre parlementaire et non des séances de l’Assemblée nationale. Les participants à la réunion de Taëf ont convenu de les garder secrets, sauf dans deux cas: quand on sera assuré du rétablissement définitif de la sécurité dans le pays et quand les participants à la rencontre de Taëf décideront de les publier. Etant entendu qu’aucun responsable n’a demandé jusqu’ici à prendre connaissance de la teneur de ces procès-verbaux.
“Si le chef de l’Etat demandait à les voir, je les lui remettrais, naturellement et je me mettrais à son entière disposition.”

COMMENT RÉALISER LA RÉFORME ADMINISTRATIVE?
- Auriez-vous une idée de la manière dont le gouvernement compte extirper la corruption? 
“La présence d’une personne de la qualité du Dr Hassan Chalak au ministère de la Réforme administrative permet d’espérer en l’éradication de la corruption. Mais cela ne peut se réaliser qu’à travers les institutions et après que la magistrature aura été rendue indépendante pour qu’elle puisse sauvegarder les droits, autant que les libertés et châtier les coupables.
“Fait le plus étrange: les anciens présidents de la République, du Conseil et le Conseil des ministres procédaient en vase clos sur ce plan et s’accordaient, mutuellement, des faveurs au plan administratif et des nominations.”
- Le président Hoss s’apprête à effectuer une tournée arabe; celle-ci relancera-t-elle l’aide promise au Liban depuis des années?
“Les Etats arabes ont des obligations financières envers le Liban, en vertu des résolutions prises au sommet de Tunis en 1980. Des deux milliards de dollars promis, en contrepartie des charges que constituent les réfugiés palestiniens établis en territoire libanais, 395 millions ont été payés. Tout s’est arrêté après l’invasion israélienne de 1982, ainsi que les deux milliards qui devaient, par décision du sommet de Bagdad en 1990, être versés au fonds arabe et international d’aide au Liban.”
LA TOURNÉE ARABE DE HOSS
“Cela dit, je m’empresse de préciser que la tournée arabe du président Hoss a moins pour but de collecter des fonds que de renforcer les rapports avec les pays frères auprès desquels le Liban jouit d’un grand crédit.
“En dépit des difficultés matérielles auxquelles ils se trouvent en butte, les Etats arabes sont en mesure d’orienter les détenteurs de capitaux et de les porter à investir chez nous. D’autant que la réactivation des institutions étatiques accroîtra la confiance quant à la possibilité pour les investisseurs de réaliser des profits substantiels.
“De plus, les capitaux arabes pourront remettre en marche les raffineries de Tripoli et de Zahrani et leur fournir du pétrole brut. Ceci vaudra d’importantes sommes au Trésor.
“Par ailleurs, les excellentes relations que le Liban entretient avec l’Arabie séoudite, le Koweit, l’Etat des émirats arabes unis et d’autres de nos partenaires de la Ligue, rendront la tournée du président Hoss profitable. Puis, il importe d’effectuer les contacts directement avec les pays frères et non par un intermédiaire.”

ISRAËL VEUT IMPOSER LA PAIX À SES CONDITIONS
- Comment jugez-vous la politique suivie par l’Etat hébreu envers l’opération de paix?
“Il va sans dire qu’Israël veut imposer la paix à ses propres conditions et, partant, contraindre les Arabes à capituler, en affaiblissant leur position, en prévision des négociations, la Syrie étant leur porte-parole principal.
“Lorsque la paix a été conclue entre l’Egypte et Israël, il avait été dit: “Pas de guerre sans l’Egypte et pas de paix sans la Syrie. Or, les Israéliens ne cessent de louvoyer, en vidant l’accord d’Oslo de son contenu ou en s’abstenant d’appliquer les clauses de Wye Plantation, afin de ne pas souscrire à la paix juste et globale.
“Les dernières agressions quasi-quotidiennes au Liban-Sud, ont pour objectif de faire pression sur le Liban, afin de l’amener à se désolidariser de la Syrie, surtout lors de la récente visite que le président Clinton a effectuée dans la région.”
- Voudriez-vous formuler quelque souhait à propos du tandem Lahoud-Hoss?
“Nous soutenons le régime dont le programme d’action traduit la volonté des Libanais et sert leurs intérêts. Nous rejetons toute formule pareille à la troïka, car le régime est celui du président Emile Lahoud et seul il exerce les prérogatives que lui confère le Pouvoir.
“Le chef de l’Etat veille au bon fonctionnement des institutions, au respect de la Constitution et à la sécurité du pays. Aussi, le législateur lui a-t-il conféré de larges attributions pour lui permettre de sauvegarder l’ordre et de consolider l’entité nationale.”

Propos recueillis par
JOSEPH MELKANE

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