LE DÉBUT DE HOSS INQUIÈTE...
Le président Karamé confie, tout d’abord, que le début
de l’action entamée par le président Salim Hoss l’a inquiété.
“Dans son discours d’investiture, observe-t-il, le général
Lahoud a pris l’engagement “de couper la main du voleur”, alors que le
président du Conseil a laissé entendre que les projets en
cours d’exécution seront poursuivis. Ceci a rassuré les coupables
d’infractions et d’abus que nous connaissons. Après avoir écouté
le discours présidentiel, ces derniers ont eu peur et commençaient
à préparer leur fuite.
“Nous considérons qu’on ne peut ni ne doit pardonner aux coupables,
quels qu’ils soient. Puis, des gens ont fait fortune d’une manière
illicite aux dépens du pauvre peuple qui ne parvient plus à
payer la scolarité de sa progéniture, à couvrir les
frais des soins médicaux et d’hospitalisation.
“Nous avons dit dès l’élection du président Lahoud,
que les problèmes auxquels le pays est confronté aux
plans économique et financier, ne peuvent être résolus
en un tournemain. Aussi, avons-nous l’espoir que le nouveau régime
mettra fin au gaspillage. Il ne fait pas de doute qu’il élaborera
un plan en vue de réaliser la réforme au plan financier,
réduire le déficit budgétaire, rembourser les dettes
et stabiliser la situation monétaire. Ces questions fondamentales
requièrent du temps pour être réglées.
“J’ai déclaré, je le répète: nous sommes
avec le nouveau régime et mettrons à sa disposition toutes
nos possibilités, mais nous ne tolérons pas que l’éponge
soit passée sur les infractions et les transactions louches.”
NOTRE LOYALISME N’EST PAS À SENS UNIQUE
- Le président Hoss représente-t-il la “Rencontre
nationale” dont vous faites partie et iriez-vous jusqu’à le désavouer
si certaines de ses décisions allaient à l’encontre de vos
orientations?
“Je tiens à préciser, tout d’abord, que les membres de
la “Rencontre nationale” ne formaient pas un bloc parlementaire. Nous nous
réunissions et échangions nos vues sur les problèmes
de l’heure. Ce rassemblement politique n’a pas siégé depuis
près d’un mois et deux de ses membres sont maintenant membres du
Cabinet (MM. Hoss et Beydoun).
“Je m’exprime, à présent, en mon nom personnel. Naturellement,
nous avons pleine confiance en la personne du président Hoss et
en son gouvernement de qui nous attendons beaucoup de bien. Mais nous ne
tairons aucune erreur et nous ne ferons pas du loyalisme aveuglément,
comme notre opposition n’était pas pour le plaisir d’en faire. Ce
qui nous importe avant tout, c’est l’intérêt supérieur
de la patrie.”
UNE ÉTUDE SUR LES PROJETS EST EN COURS
DE PRÉPARATION
- Vous avez dit que des projets auraient été adjugés
et exécutés moyennant des chiffres astronomiques. Peut-on
en avoir une idée?
“J’ai confié à une équipe de travail le soin d’effectuer
une étude détaillée à ce sujet, afin de déterminer
les chiffres et les noms des bénéficiaires... J’ai vu de
mes propres yeux comment ils ont fait accélérer la réalisation
de certains projets à Tripoli, dans une tentative d’en empêcher
l’arrêt. Je divulguerai les détails dès qu’ils me parviendront.
“Je ne voudrais pas lancer les accusations sans avancer des preuves
et sans déterminer le montant engagé dans les adjudications
dont plusieurs ont été effectuées de gré à
gré, par l’intermédiaire du Conseil du développement
et de la reconstruction.
“En ce qui concerne le secteur pétrolier, je dispose de renseignements
sûrs.”
- Vous exigez donc l’ouverture de tous les dossiers?
“Exactement: le peuple n’arrive pas à joindre les deux bouts
et on l’a surchargé de taxes et d’impôts au-delà de
sa capacité. Je réclame l’application du discours d’investiture
qui a parlé en toute franchise de ces questions. Dès qu’on
ouvrira les dossiers, la vérité éclatera au grand
jour.”
QUID DE LA PRIVATISATION?
Le président Karamé en arrive, alors, à la
privatisation, question qu’il avait soulevée lui-même maintes
fois au cours des réunions de la “Rencontre parlementaire.”
“Je connais le point de vue du président Hoss à ce sujet,
dit-il. Qu’on nous expose par exemple, le nombre des lignes accordées
à la société du cellulaire et celui des lignes qu’elle
exploite d’une manière illégale; quels sont les abonnés
et les actionnaires?
“Une entreprise de cette importance, comment peut-on la céder
à un certain nombre de personnes et priver l’Etat de ses revenus?
Ce projet ne leur a rien coûté et ils se sont servis de l’argent
des citoyens pour acquérir les équipements. Puis, ils ont
élargi leur champ d’action et réalisé des bénéfices.
“Fait curieux: l’Etat gère le téléphone ordinaire
et on cède le cellulaire à une société privée;
pourquoi?
“Certains secteurs se prêtent à la privatisation, tel
celui des transports, mais non le cellulaire. Nous demandons à connaître
les noms des actionnaires de cette entreprise qui réalise des profits
énormes.
“Nous sommes pour la transparence. Or, selon certaines rumeurs, le
président Hariri possèderait plus de la moitié de
l’une des sociétés du cellulaire et l’ancien ministre Mohsen
Dalloul en a une part. Ces derniers pourraient être accusés
à tort; pourquoi ne pas ouvrir une enquête pour tirer les
choses au clair?”
LES PÉRÉGRINATIONS “FOLKLORIQUES”
DE HARIRI
- Comment expliquez-vous le rush des responsables sur les institutions
monétaires arabes et mondiales après le changement du gouvernement?
“Hariri a tenté durant six ans de donner l’impression que les
finances du Liban reposaient sur sa personne, laquelle assurerait la crédibilité
de notre pays dans les instances arabes et internationales. Et que celle-ci
disparaîtrait s’il venait à quitter le pouvoir.
“De même, il a essayé d’établir un lien entre sa
présence au Sérail et la stabilité de la monnaie nationale.
“Nous avons constaté que la livre n’a été nullement
affectée par son départ. S’il est vrai que M. Hariri entretient
des relations avec le roi Fahd et les princes d’Arabie séoudite,
il est non moins vrai que les responsables du royaume vouent beaucoup d’affection
et de sympathie au Liban et à son peuple, que M. Hariri soit au
pouvoir ou en dehors du Sérail. Il en est de même par rapport
à la France. Vous vous souvenez, sans doute, des pérégrinations
folkloriques de l’ancien président du Conseil, de la conférence
des amis du Liban à Washington et du tapage qui a été
fait autour de ces assises dont nous n’avons tiré aucun profit.
“Les relations entre les Etats ne s’édifient pas sur les personnes,
mais sur les intérêts et une politique bien définie.
C’est pourquoi, le Liban jouit d’une bonne position au double plan régional
et international, car il a été de tout temps la porte d’entrée
de cette région; il en a été aussi la tribune. Un
Liban fort et stable constitue un facteur de stabilité et de sécurité
pour ses voisins.
“Partant de ces deux données, on peut justifier le rush effectué
par des responsables de l’ancien régime.”
LE NOUVEAU RÉGIME REGAGNERA LA CONFIANCE
DES AMIS
- Si l’assistance arabe et autre ne nous a pas été
octroyée, serait-ce par manque de confiance dans les précédents
gouvernants?
“Certainement. De plus, des circonstances ont contribué à
cet état de choses, notamment la guerre du Golfe. Toujours est-il
que nous avons obtenu une aide substantielle de l’Arabie séoudite,
du Koweit, de l’EEAU, mais les besoins sont considérables... Malheureusement,
le gaspillage d’une partie des fonds a atténué l’ardeur des
donateurs, lesquels ne voyaient pas d’un bon œil l’aggravation du déficit
budgétaire.
“Le précédent régime a conduit le pays vers l’effondrement
total. Quant au nouveau régime formé d’éléments
probes et compétents, il parviendra à raviver la confiance
dans le pays et à porter les autres à l’aider.”
- Vous attendez-vous à l’octroi d’une aide arabe rapide?
“Oui et elle commence à se manifester. Mais ne soyons pas exagérément
optimistes, car la conjoncture régionale n’est pas bonne: la baisse
des prix des produits pétroliers aura pour conséquence de
réduire les revenus dans les Etats arabes et, partant, se répercutera
négativement, sur les liquidités; ceci est pour notre malchance.”
- Qu’est-ce qui a incité M. Hariri à ne pas former
le premier Cabinet du nouveau régime?
“M. Hariri a la mentalité de l’homme qui veut gouverner seul
sans partager le pouvoir avec un autre. De ce fait, il ne peut supporter
la réactivation des institutions et sa mentalité diffère
totalement de celle du président Lahoud.
“Puis, le système politique au Liban requiert la coopération
permanente entre les première et troisième présidences
et entre ces dernières et le Conseil des ministres. Faute de quoi,
le pays ne peut être gouverné.
“M. Hariri a fait l’impossible pour écarter le président
Lahoud mais n’y est pas parvenu; c’était clair. De toute façon,
les observateurs pensaient que les deux hommes pouvaient coopérer
pendant un certain temps, six mois ou un an tout au plus.
“D’ailleurs, Hariri s’est trouvé dans l’impasse dès les
premières réunions de travail, en ce sens qu’il s’est vu
dans l’impossibilité de parvenir à un compromis autour de
la forme du Cabinet et du nombre des ministres.
“Aussi, a-t-il pris prétexte de la prétendue violation
de l’article 53 de la Constitution pour renoncer à former le gouvernement.
Il s’est retiré dans sa résidence attendant, vainement, les
médiations qui ne sont pas venues; ni de Damas, ni d’ailleurs.”
LA DIFFÉRENCE ENTRE 1992 ET 1998
- Y a-t-il une ressemblance entre le renversement de votre Cabinet
en 1992 et l’éloignement du président Hariri en 1998?
“La différence est grande. Ce qui s’est passé le 6 mai
1992, était dû à un complot bien étudié,
auquel ont participé l’ancien chef de l’Etat, des ministres, M.
Rafic Hariri, la Banque centrale, certaines banques et des organismes de
sécurité.”
- Certains milieux sunnites croient que le président Hoss
est entré dans cette équation, parce qu’il est plus faible
que le président Hariri.
“Au contraire, le président Hoss est plus fort. Homme de savoir
et d’expérience, il jouit de qualités dont le pays a besoin
à l’heure actuelle.”
- Dans cette étape, la Syrie joue-t-elle un rôle constructif
au Liban? A-t-elle contribué à la Constitution du nouveau
gouvernement?
“Il importe à la Syrie de voir le Liban fort, uni et capable
d’affronter les agressions extérieures, surtout israéliennes.”
“COUP D’ÉTAT” AMÉRICAIN?
- M. Walid Joumblatt considère ce qui s’est passé
comme un “coup d’Etat” américain. Qu’en pensez-vous?
“Je n’en sais rien.”
- Les partisans du président Hariri disent qu’il fera un
retour triomphal avec la reprise des négociations sur les volets
libanais et syrien avec Israël.
“Cela dépend de l’action du nouveau gouvernement. Il doit faire
preuve de vigilance et prendre des décisions importantes au sujet
de la réforme, sinon M. Hariri reviendra.”
- Comment sont vos relations avec vos partisans et vos alliés
traditionnels? Y a-t-il une certaine distance entre vous et le ministre
Sleimane Frangié?
“Non.”
- Croyez-vous qu’il vous représente au sein du gouvernement?
“Pourquoi pas?”
RUPTURE AVEC LES MOUAWAD
- Y a-t-il rupture entre les Karamé et les Mouawad?
“Malheureusement, oui. Nous avions de très bonnes relations
avec feu le président Mouawad, à tel point que nous formions
une même famille et adoptions la même ligne politique. Je regrette
de n’avoir pas assisté à la cérémonie de sa
commémoration à cause du manque d’invitations.”
- Vos adversaires politiques critiquent votre attitude en tant que
député; arguant que vous vous êtes absenté lors
de la séance de l’élection présidentielle, mais vous
avez participé aux consultations en vue de la nomination du chef
du gouvernement.
“Je n’exerce pas mon rôle de député.”
- Mais ils se demandent si vous continuez à recevoir vos
indemnités...
“En tant qu’ancien chef de gouvernement, je reçois une indemnité
supérieure à celle de député.”
- D’aucuns vous impliquent dans le changement intervenu à
la Chambre de Commerce et d’Industrie de Tripoli. Cela est-il vrai? Avez-vous
attendu avec vos alliés l’éloignement de M. Hariri du Sérail
pour écarter ses partisans?
“La liste de Abdallah Ghandour a remporté les élections
à la CCIT. Parmi les vingt-quatre membres, dix-huit ont été
élus et six nommés par M. Hariri. Ce dernier a interdit à
M. Ghandour qui a de grandes difficultés avec les banques, de se
porter candidat à la présidence de la Chambre. C’est M. Mohamed
Zok qui a été élu.
“Ces élections qui ont donné lieu à une bataille
politique, ne m’intéressent pas. Que ce soit Ghandour ou Zok à
la présidence, cela m’est égal. C’est une affaire juridique
et M. Ghandour réclame son droit. Le procès a été
soumis au juge des référés.”
QUID DES PROCHAINES LÉGISLATIVES?
- Beaucoup croient que le changement politique intervenu après
l’élection présidentielle et la Constitution du nouveau Cabinet
atteindra, aussi, la Chambre des députés. Qu’en dites-vous?
“Cela n’est pas vrai. Car si on raisonne dans ce sens, les députés
seraient nommés. Or, c’est le peuple qui élira ses représentants
aux Législatives de l’an 2000. Et le député Walid
Joumblatt, même s’il est opposant au régime, le peuple votera
pour lui.”
- M. Joumblatt craint que la grande circonscription lui porte préjudice...
“Cela le concerne.”
JE SUIS POUR LA PETITE CIRCONSCRIPTION
- Partant de votre expérience au Nord, quel genre de circonscription
électorale préconisez-vous?
“A l’état actuel, la grande circonscription n’est pas efficace
en l’absence des partis. Le Liban devrait être une seule circonscription
électorale basée sur la candidature à travers les
partis. Aujourd’hui, il est difficile d’adopter la grande circonscription.
Par exemple au Nord, qu’est-ce que je peux faire pour Batroun? L’action
politique est aussi un service social, le citoyen voulant communiquer avec
ses représentants.”
- Vous êtes donc en faveur de la petite circonscription?
“Evidemment. Ainsi, au Nord, la grande liste a été panachée,
les électeurs ayant voté à leur guise sans se laisser
influencer par les pressions et l’appât de l’argent.”