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L’AMÉRIQUE, QUELLE POLITIQUE?
Les notions de démocratie et de transparence prônées par l’Amérique ne concernent apparemment pas les opérations militaires. A la fin de la campagne de 1991 contre l’Irak, le bilan des opérations indiquait que “la capacité militaire de ce pays était complètement détruite.” Sept ans plus tard, malgré l’embargo et en dépit des contrôles opérés par l’UNSCOM que beaucoup jugeaient déjà suffisants pour commencer à lever cet embargo, MM. Clinton et Tony Blair lancent une nouvelle campagne de bombardements quatre fois plus massives que celle de 1991 et proclament de nouveau que “la capacité militaire de l’Irak est complètement détruite.” On dirait qu’elle ne le sera jamais, puisque M. Blair annonce déjà l’envoi d’une nouvelle escadre dans le Golfe pour janvier prochain.
Comprendra qui voudra!
En attendant, l’opération américano-britannique menée à la veille du Ramadan, a soulevé une telle vague d’indignation dans le monde et spécialement dans le monde arabe, que M. Clinton a éprouvé le besoin d’apparaître à la télévision pour confesser son “admiration pour l’Islam” et souhaiter (en arabe, s’il vous plaît), un “Ramadan béni”.
Le ridicule ne tue pas à la Maison-Blanche. Mais en Irak, les missiles américains et anglais font bien leur œuvre de mort indistinctement contre les croyants et les incroyants.
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Le peu de crédibilité acquis en 1990 par Bush et James Baker auprès des pays arabes a été complètement perdu par l’Amérique de Clinton, de Mme Albright et de William Cohen.
Les quelques gouvernements arabes qui fondaient encore quelque espoir sur cette Amérique-là doivent, désormais, compter avec des mouvements populaires hostiles. La colère populaire contre l’Amérique et les gouvernants qui collaborent avec Clinton s’est exprimée avec une violence sans précédent dans tous les pays arabes à peu près sans exception, depuis le Golfe jusqu’à l’Atlantique. Jadis, des situations de ce genre aboutissaient à des putsch militaires et Washington en rendait responsables l’URSS et la propagande communiste. Aujourd’hui, sur qui rejetterait-on la responsabilité?
Sur cette scène, il n’y a plus qu’une seule grande puissance et son incompréhensible aveuglement.
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A chacune des initiatives des Etats-Unis dans cette région du monde et au constat de ses échecs, on en revient toujours aux mêmes questions: En quoi consiste la politique américaine en Orient (Proche et Moyen)? Quels sont ses buts? Quels sont ses moyens?
Les “intérêts nationaux de l’Amérique”, comme dit Clinton en attaquant l’Irak, c’est le pétrole et donc le règlement des conflits qui constituent une menace pour ce pétrole, la pacification et le contrôle des armements de toute la région.
Résultat jusqu’ici? Après avoir un moment réussi à regrouper les pays arabes pour mâter l’Irak devenu trop puissant et menaçant pour le pétrole du Golfe - et réuni la conférence de Madrid pour faire la paix entre Israël et les pays arabes - aujourd’hui, tous ces pays se dressent contre sa politique irakienne et israélienne. L’Irak est ruiné et affamé; l’Iran ne fait pas confiance à l’Administration américaine; les Palestiniens qui pavoisaient hier pour accueillir Clinton, se remettent à brûler le drapeau américain sur les places publiques; le processus de paix avec Israël est bloqué; la Turquie continue à faire obstacle à la réunification de Chypre et poursuit de sa haine le peuple kurde; enfin, Israël développe son arsenal militaire et les pays du Golfe se ruinent en armements inutiles (mais qui font marcher les usines américaines), pendant que les prix du pétrole atteignent leur plus bas niveau.
En quoi consiste donc la politique des Etats-Unis?
La paix? La paix des cimetières?
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La démonstration de force à laquelle M. Clinton s’est livré en compagnie de son ami Tony Blair contre l’Irak, les nuits des 17, 18, 19 et 20 décembre, illustre admirablement ces inconséquences.
Tout s’est passé comme de grandes manœuvres à tirs réels contre des cibles bien vivantes. Il fallait entendre le chef du gouvernement de sa très gracieuse majesté britannique se féliciter du “courage et du professionnalisme” de ses aviateurs déversant des tonnes de bombes sur Bagdad, Bassorah et autres lieux. “Courage”? Qu’est-ce qu’ils risquaient donc contre l’anachronique DCA irakienne?
Contre ce pays exsangue, l’Amérique, la première puissance du monde, avait mobilisé une escadre navale avec son plus gros porte-avions, 200 chasseurs et bombardiers avec des B.52, ces fameuses “forteresses volantes” qui s’étaient tristement illustrées au Vietnam. Là encore, les chefs militaires, avec M. William Cohen, se félicitaient de la “précision” de leurs tirs de missiles. Quelle précision? Un missile perdu en territoire iranien voisin, un autre détruisant un dépôt de farine à Takritt, la ville natale de l’ennemi Saddam, d’autres atteignant des hôpitaux, une maternité, des dépôts de médicaments et de vivres à Bagdad, des quartiers résidentiels, etc...
Les victimes de ces folies? Des mannequins sans doute, comme à la manœuvre.
Mais la véritable manœuvre, en définitive, ce n’est pas celle des militaires qui obéissent aux ordres, mais cette politique d’un homme aux abois menacé de destitution.
S’il faut le destituer, ce devrait être à cause de cette politique imbécile et non pas à cause de ses frasques sexuelles que la majorité des Américains lui pardonnent déjà.
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Comment ne pas éprouver de la honte devant tant de cynisme? Comment ne pas redouter les effets de tant d’inconscience?
Est-ce qu’il s’agit encore de la politique d’une grande puissance qui s’est érigée en gardienne de la paix mondiale? Qui a inventé les Nations Unies et les bafoue? Ou de la politique sordide d’un politicien qui cherche à sauver sa place au prix de centaines de victimes innocentes?
Au départ, il s’agissait de réconcilier Arabes et Israéliens et de faire la paix. Et là encore, on aboutit à une lutte pour le pouvoir entre partis juifs qui  détruisent les promesses de paix en se détruisant mutuellement. Financés par l’Amérique.
Les Palestiniens sont maintenant les victimes des ambitions de M. Netanyahu, comme les Irakiens sont les victimes des déboires de M. Clinton.
Monica Lewinsky restera dans l’Histoire comme le cas type des petites causes produisant de grands effets.
Mais où s’arrêteront, en fin de compte, ces effets? 
 
 

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