LE COMPLEXE DE SAMSON |
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Avec
Benjamin Netanyahu, Israël est entré dans une zone de turbulences,
dont il est difficile d’évaluer les conséquences. Pour avoir
reconnu l’OLP et signé un accord de paix avec les Palestiniens,
même à contrecœur, Rabin, accusé de vouloir brader
Eretz Israël, rêve éternel des sionistes, avait été
assassiné par un extrémiste juif. Pourtant, ce n’est pas
un travailliste, mais le chef du Likoud qui fait peser, aujourd’hui, une
menace bien plus lourde sur les chimères de Théodore Herzl.
Chimères? Sans doute pas, si l’on considère les forces militaires en présence. Israël, avec son armée forte de 500.000 hommes (et femmes), ses armes conventionnelles les plus performantes du monde et son arsenal nucléaire capable de réduire en cendres le Proche-Orient dans son ensemble, est parfaitement en mesure de conquérir et d’annexer n’importe quel territoire convoité et ce, du Golfe à l’Atlantique. Il en est toutefois autrement sur le plan politique. Effectivement, fini le temps où les lieux publics en Europe, au lendemain de la guerre des six jours, affichaient: “Interdit aux chiens et aux Arabes”. Révolue l’ère des “conquêtes héroïques de la Terre Promise” où le David israélien terrassait, sous les regards attendris de l’Occident, un Goliath arabe plus bête que nature. L’Europe a opéré, depuis, un virage à 90Þ. Et les Arabes sont devenus des VIP, dont on fait la queue pour se disputer l’amitié et les faveurs. Seul Washington échappe au phénomène et s’ancre de plus en plus dans son obstination. Netanyahu est assuré que quoiqu’il fasse, il trouvera de ce côté-là un soutien qui semble ne devoir jamais faiblir, surtout depuis que Clinton, taraudé par une nymphomanie galopante et déconsidéré par ses mensonges poussés jusqu’au parjure, s’est retrouvé livré pieds et poings liés à un Sénat acquis aveuglément à Israël. S’il avait existé une morale internationale, ou même une simple justice, l’impeachment devrait être prononcé, non pas parce que le locataire de la Maison-Blanche est un rapide du zipper (après tout, c’est une affaire qui ne regarde que la first lady), ni parce qu’il se refuse à qualifier ses galipettes avec Monica Lewinsky de “relations sexuelles” (ce n’est là qu’une question de sémantique), mais parce qu’il punit par des destructions massives et des bombardements meurtriers en Irak, il le récompense par des milliards déversés inlassablement sur Israël. Celui que l’on surnomme en Occident “le Bismarck de l’Orient”, le président Hafez Assad, avait d’une phrase lapidaire établi le diagnostic et indiqué le traitement, au cours d’une conversation avec Henry Kissinger. En effet, dans son livre: “Avec le Temps”, paru en septembre 98, Jean Daniel, éditorialiste du “Nouvel Observateur”, écrit: “Assad, le Syrien, a dit à Kissinger: “- Vous autres Américains avez trahi vos amis au Vietnam, au Liban, en Iran. J’attendrai que vous trahissiez ceux d’Israël.” Mais ça, ce n’est pas demain la veille. Ce ne sont donc pas les Etats-Unis qui amèneront les Netanyahu d’Israël à réviser leur politique avant qu’elle se retourne contre eux. Le ver est dans le fruit. Ce sont les Israéliens eux-mêmes qui pourraient se charger de la besogne, soit dans le sens de l’extrémisme pur et dur aux conséquences catastrophiques, soit - c’est peu probable - dans celui de la paix. Il est vrai que les Israéliens d’aujourd’hui ne partagent plus l’enthousiasme, ni les idéaux de leurs pères fondateurs. Ils en ont par-dessus la tête des matamores de guerre, des représailles suivies de contre-représailles et veulent, à n’importe quel prix, se sortir du bourbier libanais. Ce serait donc pour fuir, non pas les pressions américaines (qui n’existent pas) dont d’ailleurs il s’en fiche, ni les exhortations européennes, dont il se contrefiche, mais sa propre opinion publique - qui, seule, compte à ses yeux - que Netanyahu ne trouverait plus d’autre porte de sortie que la fuite en avant. En cela, il pourrait, paradoxalement, être rejoint par cette même opinion publique qui a le secret des retournements spectaculaires. D’après un sionistologue averti, ce genre de retournements imprévisibles est une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de la région toute entière. Car, il est à craindre que malgré leur ras-le-bol actuel, les Juifs ne continuent à cultiver dans leur subconscient collectif une puissance d’autodestruction qui les a accompagnés pendant 2000 ans et pourrait se cristalliser dans ce que l’on a appelé “le complexe de Samson”, démolissant le temple des Philistins au cri de “qu’il s’écroule sur moi et sur mes ennemis.” C’est là que réside le danger d’un Netanyahu lâché la bride au cou par une Amérique qui mobilise ses forces à l’heure actuelle pour offrir au monde, dont elle monopolise le leadership, l’image peu ragoûtante d’un Robocop moitié McCarthy moitié Tartuffe, le tout enrobé dans du marquis de Sade. Inconscients du danger, ou trop occupés par leurs intérêts à courte vue, les Arabes se taisent, justifiant ce mot de Jules Renard (cité également par Jean Daniel): “Il (un politicien de l’époque) ne parlait pas, mais on devinait qu’il pensait à des idioties.” |
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