LA PROSTITUTION
La crise économique dans le pays représente un facteur
déterminant lié, indirectement, au phénomène
de mères célibataires. Les conditions de certains foyers
touchant le seuil de pauvreté, les conduisent à pratiquer
une forme de prostitution clandestine. Incitées par le père
ou la mère, les jeunes filles sont encouragées à monnayer
leurs charmes.
C’est le cas d’une mère de famille qui pousse ses trois filles
à se plier aux exigences lubriques du propriétaire pour être
exempte des frais de location.
LE VIOL
Pratiqué par un parent ou un employeur, le viol est généralement
dissimulé par l’intéressée elle-même ou par
sa famille.
Il revêt, néanmoins, plusieurs aspects: relations physiques
imposées à une femme à son corps défendant;
non-consentement d’une jeune fille naïve face à un homme adulte
exerçant sur elle une violence morale et verbale; enfin, viol collectif
à différencier des “coucheries” à l’intérieur
de bandes de jeunes.
Nombre de viols sont même allégués a posteriori
pour échapper à la culpabilité de relations sexuelles
pourtant consenties.
IGNORANCE ET IMPROVISATION
L’ignorance et l’imprévoyance de certaines jeunes filles et
employées de maison leur causent, également, d’énormes
problèmes. Issues de milieux analphabètes ou tout simplement
inconscientes, elles succombent aux avances de leurs employeurs.
A noter, toutefois, que même dans les milieux informés
et universitaires, une mauvaise utilisation de contraceptifs ou l’improvisation
d’une relation sexuelle survenue dans un élan incontrôlé,
provoquerait l’inévitable.
AMOUR ET INTÉRÊTS
Trompées dans leur amour, bernées par les promesses de
mariage de leur partenaire, elles se donnent à lui avant de détecter
ses véritables desseins.
D’autres, plus calculatrices, s’arrangent pour tomber enceintes de
leur partenaire. Il s’agit là de grossesses “planifiées”,
où l’enfant attendu servira d’argument pour anticiper un mariage
désiré.
L’ADOLESCENTE ENCEINTE
L’observation du phénomène des mères célibataires
au Liban dévoile une réalité à ne pas négliger:
la croissance du nombre d’adolescentes enceintes.
L’adolescence est une période critique au sens propre du terme.
C’est un stade de développement extrêmement influençable
et perméable aux causes de perturbations extérieures.
Les jeunes baignent, actuellement, dans une culture médiatique
où la sexualité ramenée à sa dimension génitale
occupe une large place. Abreuvés de tels messages initiatiques et
spontanés dans leur conduite, ils se laissent aller à leurs
émotions et pulsions sexuelles.
La grossesse de l’adolescente est, également, un produit de
la pathologie sociale: négligence parentale, carence affective,
insécurité, pauvreté, ignorance, violence.
MULTIPLES CONFIGURATIONS
A la lumière de ces différents facteurs, il est possible
de regrouper ces mères-adolescentes dans trois catégories
distinctes:
La première comprend des jeunes filles équilibrées,
de maturité satisfaisante, ayant noué une relation stable
et sérieuse pouvant déboucher sur un mariage. Cette liaison
aboutit assez vite à des relations sexuelles facilitées par
l’attirance mutuelle de deux êtres.
La deuxième catégorie concerne les adolescentes plutôt
naïves subissant passivement et, parfois, contre leur gré,
une relation sexuelle décidée et obtenue par un partenaire
plus âgé.
La relation est plus ou moins occasionnelle, affectivement superficielle
et destinée à satisfaire plutôt le plaisir sexuel de
l’homme.
La troisième catégorie rassemble les adolescentes qui
présentent des difficultés psychologiques complexes. Elles
proviennent souvent de familles perturbées, désunies, incomplètes
par l’absence d’un des deux parents. L’activité sexuelle de ces
jeunes vivant des situations conflictuelles avec leur famille, est pratiquée
dans le seul but de satisfaire des besoins émotionnels non assouvis.
En définitive, juger les adolescentes dans leur comportement
sexuel ou leur poser une étiquette de déviance et de délinquance,
c’est oublier que, dans la plupart des cas, le procréateur est un
homme adulte pleinement responsable et informé des risques qu’il
leur fait courir.
LE PÈRE
Sans la semence, il n’y aurait pas de vie. L’homme devrait être
tenu responsable sur le même pied d’égalité que la
femme, sinon plus.
Dans les cas d’inceste, il s’agit du propre père de la jeune
fille, d’un frère aîné ou d’un oncle,...
Dans d’autres cas, le procréateur est son beau-père (ou
l’amant de sa mère) qui se sent plutôt attiré par le
charme de la jeune fille que par celui de sa compagne.
Un étranger, une connaissance ou un ami peut être mis
en cause, s’agissant d’un homme jeune ou âgé, d’un viol ou
d’un consentement réciproque, c’est toujours la jeune fille qui
fera les frais de cette liaison.
En effet, quelles que soient les motivations du partenaire, le contact
est souvent rompu à la découverte de la grossesse. Cet abandon
est très mal vécu par l’adolescente qui croyait avoir trouvé
le grand amour et une liaison durable.
Que dire, alors, si le partenaire est un homme marié et père
de famille? Cette liaison l’arrange à plus d’un niveau. Le divorce
étant une entreprise onéreuse et difficile à réaliser
au Liban, il entretient avec des jeunes filles des relations extra-conjugales,
sans pour autant mettre en péril son mariage auquel le lie souvent
d’autres intérêts.
Il arrive, parfois, qu’une liaison véritablement amoureuse naisse
entre deux êtres. Le jeune homme accepte pleinement ses responsabilités
de père. Mais le problème se pose pour l’avenir du couple.
Le jeune qui n’a pas encore assuré son avenir, est-il en mesure
d’entretenir une famille? Très souvent, les parents s’opposent à
ce mariage. Quel serait donc le destin de l’enfant?
LA GROSSESSE À TERME
Plusieurs alternatives s’offrent à la mère qui décide
de mener sa grossesse à terme.
Dans le meilleur des cas, son partenaire accepte de l’épouser
bon gré, mal gré. De tels mariages sont souvent précaires,
parce que décidés en dehors de tout lien affectif entre les
deux jeunes gens. L’important est que le jeune père assume ses responsabilités
vis-à-vis de la mère et que l’enfant ne porte pas la “tare”
de l’illégitimité.
Lorsque la jeune mère n’arrive pas à se caser, elle est,
selon le milieu social auquel elle appartient, hébergée dans
sa famille, éloignée de son entourage, envoyée à
l’étranger sous prétexte de suivre des études, chassée
par ses parents ou condamnée à mort pour sauvegarder l’honneur
familial.
Les mères déboussolées, ne sachant que faire de
leur enfant, décident de l’abandonner. Les plus avisées le
déposent à la porte d’une crèche ou d’un orphelinat.
Mais combien d’enfants sont retrouvés mort de faim ou de froid,
jetés dans les poubelles ou délaissés sur les trottoirs!
D’autres mères tombent dans les filets d’un réseau de
vente d’enfants. Les nourrissons sont, alors, acheminés vers l’étranger
en échange de sommes faramineuses (voir encadré).
Une autre option s’offre aux mères en détresse: un foyer
d’hébergement reconnu par décret et accueillant, depuis 1935,
les mères célibataires du Liban.
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ÉTAPES D’INTÉGRATION SOCIALE
Agées de 14 à 35 ans, les mères célibataires,
toutes religions confondues, s’en remettent aux religieuses à leur
propre initiative ou suite à la recommandation d’une assistante
sociale, d’un médecin, d’un prêtre, d’un parent, d’un voisin
ou même de leur compagnon.
Au cours de leur séjour au centre, variant d’une semaine à
huit mois, les jeunes mères sont prises en charge par une équipe
formée d’assistantes sociales, de psychologues et de religieuses.
Une aide psychologique leur est assurée dans une première
étape, afin de les amener à dédramatiser leur problème,
reprendre confiance en elles-mêmes et accepter leur état.
Un travail de réconciliation entre elles et leur famille est,
ensuite, entamé avec leur consentement, pour apaiser les conflits
causés par la grossesse. Mais dans certains cas, il est recommandé
d’éviter tout contact avec la famille, de crainte que ces démarches
prennent une tournure dramatique. La notion d’honneur dans certains milieux
ruraux consiste, en effet, à laver l’opprobre par le sang.
Le séjour des mères célébataires est riche
d’activités: travaux manuels, lecture, couture, bricolage, rédaction
de mémoires d’études pour les universitaires,...
Les analphabètes sont, quant à elles, initiées
à la lecture et à l’écriture.
Des rencontres éducatives réunissent tout ce petit monde
deux fois par semaine, autour d’un thème, en présence d’une
psychologue ou d’une religieuse, afin d’encourager l’échange et
l’ouverture aux autres.
DONNER EN ADOPTION OU GARDER SON ENFANT
Le but principal du centre d’accueil est d’aider ces jeunes mères
à garder leur enfant, en le faisant admettre par leur famille ou
en se mariant avec le père naturel.
Si aucune de ces alternatives n’est possible, elles peuvent confier
l’enfant au centre, afin d’exercer une activité professionnelle
et de subvenir à leurs besoins.
L’enfant demeure au centre jusqu’à l’âge de trois ans.
De 3 à 6 ans, il intègre une école en externat pour
une meilleure insertion sociale. Au-delà de cet âge, il est
pris en charge par la mère et sa famille.
En 1997, sur les quinze filles-mères hébergées
au centre, trois d’entre elles ont opté pour l’adoption. Le centre
s’occupe de toutes les formalités requises et l’adoption s’effectue
sans contrepartie financière.
Cependant, de nombreuses familles demandent à régler
les frais dépensés pour les soins des enfants.
Les demandes d’adoption dépassent de loin l’offre disponible.
Les enfants de couleur sont, toutefois, recueillis plus volontiers par
les familles étrangères.
TRAFIC D’ENFANTS ILLÉGITIMES
Des personnes bien informées et désirant garder l’anonymat,
nous ont confié au cours de cette enquête que le Liban fait
partie des pays impliqués dans le trafic international d’enfants.
Beaucoup le savent, mais adoptent la politique de l’autruche.
Le réseau qui participe à ce trafic regroupe certains
orphelinats douteux, en liaison avec une poignée d’avocats spécialisés
en la matière et nombre de praticiens du corps médical, tels
que gynécologues et sages-femmes.
On se demande si ces orphelinats sont reconnus par décret -
loi pour accueillir les enfants abandonnés, leur obtenir un extrait
de naissance et signer un désistement en vue d’assurer leur adoption.
Le trafic semble, en tout cas, très florissant puisqu’on avance
des chiffres de l’ordre de 30000 à 40000 dollars par enfant.
Mais à qui sont destinés ces enfants?...
RECONNAISSANCE ET FILIATION
La reconnaissance volontaire de l’enfant naturel peut s’effectuer par
une déclaration du père ou de la mère dans l’acte
de naissance, selon les formes prévues par la loi du 7 décembre
1951 organisant l’état civil au Liban. Elle peut, également,
intervenir dans un acte notarié, un testament, ou une déclaration
devant une autorité de justice.
Cette reconnaissance doit intervenir durant la minorité de l’enfant,
sous réserve des cas de fraude. En effet, certaines reconnaissances
d’enfant, bien à propos, pourraient être destinées
à profiter de leur fortune.
La mère célibataire donne son nom et sa nationalité
à son enfant, si elle est la première à le reconnaître
dans les délais légaux prévus par la loi de 1951.
Au cas où elle le reconnaît en même temps que son partenaire,
l’enfant naturel portera le nom et la nationalité du père.
Si la mère abandonne sa progréniture et refuse de la
reconnaître, l’enfant trouvé (“Lakit”), peut acquérir
la nationalité libanaise, car il est à craindre qu’il reste
apatride.
Il portera un nom choisi par la personne ou l’association qui
l’héberge.
SUCCESSION
La question de succession au Liban relève des tribunaux communautaires
pour les musulmans. Les enfants naturels reconnus, volontairement ou judiciairement,
recueillent chacun dans la succession de leur mère, les mêmes
droits que ceux d’un enfant légitime. Il en va de même des
enfants incestueux, nés d’une liaison entre deux personnes liées
par une parenté faisant obstacle au mariage (exemple père-fille,
frère-sœur, oncle-nièce). Ces enfants recueillent les mêmes
droits que les enfants légitimes vis-à-vis de leur père
et mère. Ces solutions sont tout à fait remarquables, voire
exceptionnelles si on les compare à d’autres systèmes
juridiques.
Par contre, pour les non-musulmans et, plus précisément,
les chrétiens, la succession est régie par la loi civile
du 23 juin 1951 et relève des tribunaux civils.
Il faudrait, cependant, distinguer entre la filiation naturelle et
la filiation adultérine. En effet, on peut être naturel par
son père et adultérin par sa mère ou inversement.
Un enfant peut même être adultérin, lorsque l’un de
ses parents est encore lié par un mariage. A l’inverse, un enfant
peut devenir naturel lorsque le mariage de ses parents n’est pas
valablement conclu.
L’enfant naturel hérite, en l’absence de frères légitimes,
la moitié de la part qu’il aurait eue s’il était légitime.
En présence de frères légitimes ou d’autres enfants
illégitimes, il a droit au quart de la part qu’il aurait eue s’il
était légitime.
L’enfant adultérin, quant à lui, n’a aucun droit de succession
vis-à-vis de l’un ou l’autre de ses parents lié au moment
de sa conception par les liens d’un mariage.
En France, par contre, l’enfant naturel simple s’appelle, dorénavant,
enfant, depuis la loi du 3 juillet 1971. Il recueille les mêmes droits
que l’enfant légitime.
L’enfant adultérin, promu au rang d’enfant naturel hérite,
quant à lui, la moitié de la part qu’il aurait eue s’il était
légitime.
*Pour de plus amples informations concernant le Liban, se référer
au dossier consacré aux enfants illégitimes et abandonnés
(RDL NÞ1993 du 18 au 25 avril 1998).
SOLUTIONS PRÉCONISÉES
Selon Me Najjar, dans l’état actuel de la configuration
législative libanaise, où l’organisation de la famille relève
du domaine des lois communautaires, il est difficile d’imaginer l’accession
de la famille monoparentale à une quelconque légitimité.
En outre, sur le plan de la solidarité sociale, il est à
craindre que la fille-mère n’ait droit à aucun système
de subside ou d’allocation.
La vraie solution viendra le jour où le Liban se dotera d’un
régime complet de statut personnel civil facultatif, distinct des
lois religieuses. Un tel régime devrait comprendre que les enfants
naturels ne choisissent pas leur naissance et que les mères célibataires
peuvent ne pas être sanctionnées pour une faute qu’elles auraient
regrettée.
LES MÈRES CÉLIBATAIRES
EN FRANCE
Etre mère célibataire en France est un fait social contemporain de plus en plus banal. Le regard de compréhension que portent les Français sur ces mères, relève d’une mentalité propre aux sociétés occidentales, celles-là mêmes qui tolèrent l’union libre, le concubinage, le concept d’enfant né hors mariage et celui de la famille monoparentale naturelle. Il n’est plus étonnant de voir de jeunes gens s’aimer, vivre ensemble; puis, se quitter même après avoir eu un enfant. Assimilées aux mères divorcées ou veuves (famille monoparentale), les mères célibataires bénéficient d’avantages sociaux à titre d’allocation de parent isolé (API), octroyés par la caisse d’allocations familiales (CAF). Il s’agit d’une aide financière pré-natale s’élevant, actuellement, à 3198 francs par mois durant la période de grossesse. A la naissance du premier enfant, les mères profitent d’un montant mensuel de 4264 francs, pouvant atteindre 5330 francs à la naissance du second. Cette somme sera majorée de 1066 francs pour chaque enfant supplémentaire. Ce montant représente le maximum de l’aide financière accordée aux mères dépourvues de toutes ressources financières. Ces jeunes femmes jouissent, également, d’avantages fiscaux non négligeables, notamment en ce qui concerne le droit fiscal au titre de quotient familial. En outre, elles sont prioritaires pour l’attribution d’un logement (formule HLM). Mais elles se trouvent sur le même pied d’égalité que tout autre couple, en ce qui concerne l’allocation-logement. Cette dernière est fixée en fonction du prix du loyer et des sources de revenus. Au cas où ces filles ne trouvent pas de logement, elles sont hébergées dans des foyers et participent, en partie, au paiement du loyer, en puisant dans les allocations offertes par la caisse d’allocations familiales. La CAF prend en charge, également, le montant des cotisations dues par les mères célibataires à la caisse d’assurance maladie et vieillesse. Du point de vue social, les mères célibataires mènent en France une vie tout à fait normale. Elles ne sont en aucun cas marginalisées ou rejetées. Elles fréquentent sans problème les établissements scolaires et universitaires, participent à la vie active et font valoir leurs droits à l’instar de tout autre citoyen français. N.B.: Nous tenons à remercier le Service social du consulat général de France, en la personne de Mme Anne-Marie Macé de sa très précieuse collaboration. |
CONCLUSION
Porter un jugement moral sur les mères célébataires
ne résout pas un problème lié à l’évolution
des sociétés actuelles: échanges de culture, évolution
des idées, mixité scolaire et professionnelle,...
Ces mêmes sociétés qui encouragent à travers
les médias une plus grande liberté sexuelle, redeviennent
soudainement moralisatrices et répressives face aux conséquences
de cette liberté.
Il s’agit donc de trouver des solutions modernes à des problèmes
modernes. De bien comprendre que la femme ne peut assumer, à elle
seule, le blâme de la société à son égard;
qu’un enfant se fait à deux et que l’homme porte sa part de responsabilité
dans cette œuvre de procréation.