KIDNAPPINGS ET VENDETTAS AU HERMEL
 OÙ EST LA PETITE ZEINAB NASSER EDDINE DISPARUE LE 24 FÉVRIER 1998?

La vendetta est une vieille coutume héritée des tribus du Hermel qui vivent éloignées de la société, surtout celles qui résident dans les montagnes.
Les tribus ne reconnaissent pas l’autorité de l’Etat et se font justice à elles-mêmes, partant du principe suivant: l’assassin doit payer son forfait de sa vie.

 S’ILS LA RENDENT À SA FAMILLE, CELLE-CI EST PRÊTE À PARDONNER AUX RAVISSEURS
 

Zeinab (5 ans), la fillette kidnappée.
 

Fouad Nasser Eddine, son épouse Hasna 
et les quatre sœurs de Zeinab.
 

La maison où habite “Oum Naouras” à 
Wadi Turkmène, dans le jurd du Hermel.
 

Une rive du Assi où selon Imad Matar, les kidnappeurs auraient
jeté le corps de la fillette... Mais il devait se rétracter.
 

C’est, vraisemblablement, sur cette route vicinale que 
la malheureuse enfant aurait été enlevée.
 
 

L’histoire de la petite Zeinab Fouad Nasser Eddine (5 ans), mérite d’être relatée. Née en mai 1993, elle a été kidnappée non loin du domicile familial le 24 février 1998 au Hermel. La fillette jouait avec les enfants des voisins et a disparu, alors qu’elle gagnait la boutique du village à travers des ruelles non empruntées par les voitures.
Son sort demeure inconnu jusqu’à ce jour, bien qu’un suspect, Imad Matar, ait révélé que Zeinab avait été tuée par strangulation et jetée dans le Assi; son corps n’a jamais été retrouvé.
Sa mère, Hasna, est alitée depuis le jour de son enlèvement, le choc causé à la famille par ce drame ayant bouleversé de fond en comble le train de sa vie. Son père, Fouad Nasser Eddine a pris sa retraite après avoir servi durant vingt-deux ans dans l’armée et pour ne pas rester inactif, il a rejoint les secouristes de la Croix-Rouge libanaise.
La petite Zeinab est la victime d’un système tribal que les nouvelles générations tentent, vainement, de supprimer. Les Nasser Eddine promettent de pardonner aux ravisseurs s’ils leur rendent l’enfant.

LES CAUSES DU RAPT
Mais pourquoi, en fait, celle-ci a-t-elle été kidnappée; qui sont les auteurs de cet acte vil et quels sont leurs mobiles?
Quelques jours après l’enlèvement de la fillette, les agents des services d’investigations ont appréhendé Abbas Alaou, Alaou Alaou, Imad Matar, Youssef Mohamed (Syrien) et Faouz el-Hajj Hussein (Oum Naouras).
Après leur interrogatoire, il est apparu que cette dernière avait menacé de se venger de ceux qui ont jeté son fils Naouras en prison. De même, Youssef Mohamed, voisin des Nasser Eddine, a témoigné avoir vu Imad Matar et Abbas Alaou emporter Zeinab dans leur voiture, mais s’est abstenu de les dénoncer de peur d’être assassiné.
Matar a dit que la fillette avait été conduite à Wadi Turkmène où elle a été prise en charge par Alaou Alaou. Matar a quitté la localité après avoir été menacé de mort s’il venait à révéler l’endroit où se trouvait Zeinab.
Arrêtés à leur tour, Alaou Alaou et Abbas Alaou ont tout nié, mais ces derniers ont été maintenus en état d’arrestation, parce qu’ils font l’objet de plusieurs mandats pour vols à main armée, kidnappings et tentatives d’assassinat.
Quatre mois après l’enlèvement, Imad Matar a décidé de révéler que la fillette avait été étranglée, son corps ayant été placé dans un sac et jeté en sa présence dans le fleuve Assi, trois jours après son kidnapping.
Les investigations se poursuivent sans résultat. M. Saïd Mirza, premier juge d’instruction de Beyrouth, à qui le dossier a été transmis par le Parquet général de Zahlé, a recueilli la déposition des prévenus, à l’exception de Faouz el-Hajj Hussein (en fuite), ainsi que certains témoins, dont cheikh Hassan Nazha, Ragheb Fouad et sa femme, Atef el-Abidine et Ali el-Hajj Hussein.
Cependant, Imad Matar s’est rétracté et a prétendu “n’être au courant de rien”, après avoir dit que Zeinab portait au moment de son enlèvement un chandail rouge, une jupe couleur cendre et une pantoufle noire.
La mère de la fillette précise que Zeinab n’était pas allée à l’école, ce jour-là, parce que les instituteurs étaient en grève. En allant rendre visite à sa fille mariée, elle a vu l’enfant jouer avec ses camarades. A son retour, elle avait disparu. “Nous ne devions plus la revoir”, confie-t-elle la voix étranglée par l’émotion.
Le lendemain, la mère éplorée est allée prier au sanctuaire du prophète Gabriel. A son retour, son mari l’a informée que les agents de la police secrète avaient arrêté un certain Youssef Mohamed qui tenait des propos contradictoires. Le soir, on apprenait que ce dernier avait révélé les noms des ravisseurs. Ces derniers seraient Fady Chahine et Imad Matar qui avaient livré l’enfant à Alaou.

UN CRIME IGNOBLE
“J’ai pensé que Zeinab était en vie pendant trois mois, ajoute sa mère. Jusqu’au moment où Imad Matar a annoncé sa mort par strangulation et reconstitué le crime sur les rives du Assi.”
La mère de la fillette assure qu’il n’existe aucune inimitié avec qui que ce soit et ignore tout de l’emprisonnement de Naouras Alaou, dont la mère ne cessait de jurer vengeance, soupçonnant les Nasser Eddine de l’avoir dénoncé. “Il ne m’est jamais venu à l’esprit que les Alaou se vengeraient de cette façon ignoble. Je ne trouverai la quiétude que lorsque Zeinab me sera rendue ou quand ses meurtriers auront reçu le châtiment qu’ils méritent.”
A ce moment, elle éclate en sanglots, se rappelant le jour où, étant revenue de l’école, Zeinab lui a répété de sa voix fluette une chanson qu’on lui avait apprise à l’occasion de la “fête des mères”.
Le père de la fillette, Fouad Nasser Eddine, ne désespère pas de la revoir vivante et ne croit pas un mot des faits rapportés par Imad Matar. En ce qui concerne l’emprisonnement de Naouras, Nasser Eddine affirme être étranger à son arrestation et, surtout, à sa dénonciation.

LES ENFANTS EXCLUS  DE LA VENDETTA
Nasser Eddine est d’autant plus surpris par l’enlèvement de sa fille que, par tradition, les enfants sont exclus de la vendetta, de même que les femmes et les personnes avancées en âge qui n’étaient jamais inquiétés. “Pour la première fois, observe-t-il, une fillette est kidnappée et connaît un tel triste sort.
“La Justice poursuit les investigations qui ont conclu, jusqu’ici du moins, à la mort de Zeinab. Mais nous ne perdons pas espoir et sommes prêts à pardonner aux ravisseurs s’ils la rendent à sa famille.”
Nous avons gagné le “jurd” à travers une route rocailleuse, dans l’espoir d’y rencontrer “Oum Naouras”, Faouz el-Hajj Hussein. Mais nous n’y avons trouvé aucune trace, celle-ci ayant pris la fuite pour échapper à la justice.
Wadi Turkmène est une région très éloignée du Hermel. Nous n’y avons rencontré que deux femmes dans une maison modeste au plafond bas; l’une d’elles, prénommée Saadé est sourde et paraît n’être pas au courant de l’affaire.
Wadi Turkmène est située à la frontière syrienne. Dès qu’un étranger apparaît à l’entrée de l’agglomération, les gens dégainent leurs armes ou se cachent. Chose curieuse: seules les filles belles d’Oum Naouras vivent dans la maison familiale; elles sont bien habillées et on se demande comment elles acceptent de vivre dans une telle région privée de tout!
Juliette et Fatmé, les filles d’Oum Naouras, affirment que leur mère est innocente. Elles refusent de poser devant la caméra et assurent ne pas disposer d’une photo de leur mère, ni de leur frère Naouras. “Vous pouvez voir notre frère en prison. Quant à Assad, le second frère, il a pris la fuite, après avoir ouvert le feu sur une patrouille de gendarmes.”

LE MYSTÈRE SERA-T-IL ÉLUCIDÉ?
A la question: Si votre mère est innocente, comme vous le prétendez, pourquoi fuit-elle la Justice?, ses filles répondent: “Son état de santé, ne lui permet pas de tenir le coup en prison; aussi, attend-elle la clôture de l’enquête pour réapparaître et prouver son innocence. Nous ignorons où elle se trouve en ce moment.”
Pourquoi la famille qui avait élu domicile, précédemment, à Saadnayel, s’est-elle établie à Wadi Turkmène?, les filles d’Oum Naouras répondent: “Nous ne parvenions pas à payer notre loyer, c’est pourquoi nous avons déménagé, car dans cette localité nous n’avons pas de loyer à payer.”
Par ailleurs, elles assurent qu’il n’existait aucune inimitié entre leur famille et les Nasser Eddine, les rapports entre eux s’étant gâtés par la faute de certains délateurs qui ont fait croire que les Nasser Eddine ont dénoncé leur frère Naouras.
D’ailleurs, ajoutent-elles, ma mère a pleuré en apprenant la nouvelle du kidnapping de la petite Zeinab et a qualifié de barbare son enlèvement.”
Fait à signaler: la famille Nasser Eddine a demandé par l’intermédiaire de son avocat, Me Mouwaffak Hamadé, de transférer le dossier de l’affaire au Parquet de Beyrouth, pour éviter tout accrochage avec les Alaou.
Quoi qu’il en soit, le sort de la petite Zeinab demeure incertain, surtout après la rétractation de Imad Matar. De deux choses l’une: ou le magistrat instructeur tirera au clair cette affaire et identifiera le ou les coupables; ou le corps de la fillette est retrouvé en réapparaissant sur les berges du Assi et ses parents sauront à quoi s’en tenir.

Enquête de
HODA SALIBA

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