JE SUIS OPTIMISTE EN 1999
Etranges sont les états d’âme qui s’emparent des êtres humains durant les fêtes! L’homme y paraît pour un temps, plus proche de Dieu que de la terre; plus influencé par les facteurs spirituels que matériels.
Au début de cette année, j’ai senti une confiance plus grande en moi-même et en l’avenir plus que jamais auparavant. L’essence de mon optimisme provient moins de facteurs palpables et réalistes, que de facteurs intrinsèques en rapport avec la foi, ressentis par ma prescience davantage que par ma raison.
Il me semble que l’Histoire évolue dans le sens exact; que le cycle des années libanaises stériles approche de sa fin et que 1999 sera le commencement des années prospères. Réaliser les faits par la prescience et non par la raison, se passe de preuves.
Je suis optimiste par la prescience et la raison, aussi, à la lumière des événements et des développements en cours au Liban et dans la région. Je considère que l’optimisme par la prescience a des justifications dans la conjoncture libanaise qui s’est renversée de fond en comble; elle a changé d’une façon surprenante et inattendue depuis l’élection d’Emile Lahoud.
Je suis optimiste, parce qu’Emile Lahoud a prouvé que les Constitutions valent davantage par leur esprit et les hommes chargés de les appliquer, que par leurs textes. Je sens que le document de l’entente nationale élaboré à Taëf en 1989, commence à être appliqué comme il se doit et comme il devait l’être dix ans après sa signature. Le pouvoir a dévié, au cours des dernières années, de l’application du document de Taëf: il n’a pas appliqué toutes ses clauses et celles qui l’ont été, se sont avérées erronées et comportent bien des lacunes. Le nouveau pouvoir est venu poursuivre la marche et rectifier les déviations, sans avoir besoin de modifier le texte ou la situation actuelle.
Je suis optimiste, parce qu’Emile Lahoud a récupéré, en moins de deux mois, les prérogatives présidentielles, ramené l’équilibre aux institutions constitutionnelles, en éliminant la troïka et rectifié ce dont se plaignaient les chrétiens. Car les réformes ont favorisé certaines parties et communautés aux dépens d’autres communautés et parties.
De plus, il a révélé le bon visage de la IIème république, les réformes étant apparues en tant que conséquence naturelle et acceptable des évolutions démographiques, économiques, politiques et culturelles. En même temps s’est estompé le visage hideux qui a été marqué par le principe du vainqueur et du vaincu. Le document de Taëf n’est plus un “acte de capitulation” comme le prétendent ceux qui le contestent; il est apparu à travers les pratiques du nouveau régime, sous l’apparence du compromis historique autour duquel se sont retrouvés, progressivement, les Libanais dans leur écrasante majorité.
Le document mentionné a cessé d’être un accord éphémère, pour devenir une Constitution stable et un pacte qu’on doit admettre et appliquer dans son intégralité.
Je suis optimiste, parce que l’entente nationale paraît, aujourd’hui, plus solide qu’elle était précédemment, parce que la base de l’entente s’élargit jusqu’à y intégrer tout le monde sans lien, ni rancune ou complexe. L’opération de la réconciliation des chrétiens avec l’Etat de Taëf a commencé, comme le prouvent les déclarations faites, à ce sujet, par le patriarche maronite.
Les Libanais s’attendent que le régime actuel leur garantisse une représentation politique exacte, à travers une loi évoluée et moderne pour des élections législatives en cours d’élaboration et, aussi, à travers l’organisation d’élections libres et honnêtes, auxquelles participeraient tous les courants et personnalités libanais sans exception.
L’entente nationale est liée au retour des personnes déplacées à leurs foyers et leurs terres en vue de confirmer l’unité nationale; elle est, également, liée à la révision de la loi sur la naturalisation, afin de préserver l’équilibre national.
Je suis optimiste, parce qu’Emile Lahoud réalise que “la situation économique est difficile”, mais estime que “son traitement n’est pas difficile”. Le gouvernement a commencé à prendre les décisions nécessaires à l’effet de rectifier les erreurs financières et économiques commises par les précédents Cabinets. De même, il a entrepris de préparer les dossiers en vue de récupérer les fonds gaspillés du Trésor. Le gouvernement accorde une attention particulière à la réforme administrative et parachève les nominations administratives loin de la mentalité du partage des parts, du sectarisme et du confessionnalisme. Il complètera le document de Taëf par la loi sur la décentralisation administrative, la création du Conseil économique et social auquel incombe, avec le ministère du Plan, la mission de proposer les priorités dans les domaines du développement et de la reconstruction.
Je suis optimiste, parce que les gens du pouvoir et le gouvernement jouissent d’un grand sens social: ils n’imposeront pas d’impôts supplémentaires affectant les pauvres et les citoyens à revenu limité, tel de relever le prix de l’essence. Ils sont résolus à faire assumer aux catégories nanties le plus lourd fardeau fiscal, à exempter les gagne-petits des impôts et taxes et à satisfaire les justes revendications de la classe laborieuse.
La justice sociale est la boussole qui oriente la politique du pouvoir et définit les horizons du développement économique. Le développement est l’outil nécessaire et la justice est le but à atteindre. Le moyen ne peut prévaloir sur la fin entraînant, de ce fait, la prospérité de l’économie et l’appauvrissement de l’homme.
Je suis optimiste - et c’est le plus important - à cause de l’élar-gissement de l’espace de liberté au Liban. La loi est au-dessus de tous; elle tend à protéger les libertés de tous les citoyens et leurs droits. La suprématie de la loi exige des juges indépendants de la classe politique et des éléments influents au pou-voir, tout en étant soumis à la logique des droits de l’homme, de tous les droits et de tous les gens. Pas de légalité à toute loi qui affecte les libertés publiques. Ni de sens à toute magistrature qui ne garan-tisse pas les droits et les libertés, en particulier, la liberté d’opinion, de rassemblement et d’expression.
Combien les gens se tran-quillisent en entendant le président de la République affirmer qu’il n’intentera de procès à aucun journaliste durant son sexennat, en répétant: “Pas de Liban sans liberté”, ce qui constitue un véritable acte de foi.
Je suis optimiste quant à la libération de toutes les portions occupées du territoire libanais. Hier, la Résistance a été l’une des causes de la dissension nationale et elle est devenue aujourd’hui l’un des piliers de l’entente. De mouvement peu toléré à ses débuts, la Résistance est devenue, grâce à son commandement et à la prise de conscience par les Libanais de sa nécessité, un mouvement agissant, raffermi par l’unité nationale. Elle a cessé d’être un problème libanais, pour se transformer en un problème israélien rendant perplexes les dirigeants de l’Etat hébreu qui ne savent pas quel moyen utiliser pour lui faire face.
La Résistance a conduit Israël à une impasse véritable: si l’armée israélienne se retirait, unilatéralement, ce serait une perte, militaire et si elle se maintenait dans les mêmes conditions, la société israélienne continuerait à se débattre dans une crise politique. L’impasse en Israël réside en ce que son armée est capable de supporter les pertes, mais sa société n’est plus persuadée de l’utilité de ces pertes. La mentalité militaire est acquise à l’idée de ne pas évacuer le Liban sans obtenir, au préalable, des arrangements de sécurité. Alors que la logique politique pousse au retrait, même unilatéralement, aux fins de prévenir les tués et les blessés. L’occupation du Sud est un  fardeau pour le Liban, mais c’est une impasse pour Israël.
Je suis optimiste, surtout en ce qui concerne la rationalisation des relations libano-syriennes. Comme il a pu acquérir la confiance des Libanais qui se sont regroupés autour de leur armée, tout en œuvrant afin de rétablir leur confiance dans leur Etat, Emile Lahoud est capable de dissiper les lacunes entravant l’accroissement de leur confiance dans le rôle syrien au Liban. Le nouveau régime a hissé les relations libano-syriennes au niveau stratégique; éloigné les relations privilégiées entre les deux pays des affaires intérieures libanaises et instauré un nouveau climat libanais, même dans les milieux qui manifestaient de l’appréhension à l’égard de Damas. Un sentiment général est né, renforçant l’idée que l’action syrienne persiste à se métamorphoser en facteur de stabilité garantissant les équilibres. La Syrie se comporte sur la base que le pouvoir libanais est l’instance valable habilitée à régler les problèmes libanais. Ceci s’est répercuté, positivement, sur le rôle de la Syrie au Liban et sur son image dans le monde.
Je suis optimiste, en définitive, parce que je sens que ce qu’espéraient les Libanais en 1989 de René Mouawad, est en voie de se réaliser en 1999 par l’intermédiaire d’Emile Lahoud. Et que l’actuel chef de l’Etat mène une action large et efficace, en vue du retour aux racines libanaises; de passer de l’état de guerre à l’état de paix. Il clôture un siècle riche en rêves et en drames et s’apprête à s’engager dans un nouveau siècle plein de difficultés et d’espoirs.
***

D’aucuns pourraient dire que l’excès d’optimisme est aussi préjudiciable que l’excès de pessimisme. L’excès d’optimisme empêche de voir les grands problèmes et l’excès de pessimisme annihile les grands rêves.
Cela est, logiquement vrai, mais ne s’applique pas, nécessairement, à la prescience. Je suis optimiste par ma prescience, même si je reste réservé et prudent par ma raison. Entre la prescience et la raison, je ne recours pas à la première pour le plaisir de fuir la seconde; je me fie à la prescience, parce qu’elle est plus sincère que la raison et les instincts.
Elle est plus proche de l’inspiration que du calcul. La raison se noie dans le temps et le lieu, alors qu’elle se perd dans les événements si importants soient-ils. Quant à la prescience, elle tend vers l’avenir, la vision et ne désespère pas.
Je suis optimiste, parce que j’ai foi en ce que le Liban est une patrie définitive pour tous les Libanais; que l’Etat libanais est un projet ayant rallié tous les citoyens; que le pouvoir actuel est résolu à préserver la patrie et à œuvrer en vue de l’édification d’un Etat digne de ce nom.
Je suis optimiste, parce que j’ai foi en la capacité du Libanais à se relever et que le rêve libanais peut rendre possible, l’impossible. 

Photo Melhem Karam

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