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LE CHANGEMENT EN MARCHE
Après l’immense chantier de la reconstruction, dont le héros fut longtemps M. Hariri, voici l’inauguration d’un nouveau chantier, infiniment plus grand et plus difficile, celui de la reconstruction de l’Etat (politique, économique, financier, administratif, humain et, pour tout dire, moral). Le premier était une affaire d’argent, de fer et de ciment; le second réclame, d’abord, de la matière grise, de la lucidité et du courage. Ces ingrédients étaient sans doute nécessaires dans le premier cas aussi, mais sous une forme différente. En tout cas, c’est sur le courage moral qu’on insistera maintenant.
Pour s’atteler à ce nouveau chantier, le président Lahoud a fixé le cap et fait appel à un homme sérieux et de haute moralité: M. Hoss.
A une ou deux exceptions douteu-ses, M. Hoss s’est entouré d’hommes compétents. Son gouvernement forme une équipe de travail et non de politiciens. Il s’est mis aussitôt à l’œuvre. Sa méthode a été définie clairement: inventaire des problèmes, suivi d’un changement du personnel dirigeant des services administratifs, d’une part et, d’autre part, de projets de loi, dont l’aboutissement dépendra de la coopération de l’assemblée législative.
On touche ainsi du doigt la nature du changement espéré et promis et les limites de ce changement. Quand on s’engage à bâtir “l’Etat des institutions”, on est bien tenu de suivre les procédures institutionnelles. Le passage par l’étape législative en est une incontournable. La Chambre, qui est le lieu par excellence de la politique politicienne, suivra-t-elle la voie que l’Exécutif entend tracer? Pourra-t-elle se hausser au même diapason? C’est-à-dire transcender les intérêts personnels?
La docilité de la majorité parlementaire a rarement (sinon jamais) fait défaut à l’Exécutif. Mais souvent, elle a été payée d’un prix trop élevé. On peut penser et espérer qu’elle ne posera pas de problème au début d’un sexennat qui s’annonce avec la volonté résolue de moraliser la vie politique.
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La comparaison entre le passé et le présent s’imposera encore longtemps à l’esprit. Les réalisations de Hariri dans le domaine de la reconstruction urbaine ne sont pas niées, quoique l’ordre des priorités des projets exécutés et leur coût soient très contestés. Ce sont les méthodes et les conséquences financières (et partant morales) qui sont appelées à changer.
M. Hariri lui-même admettait déjà la nécessité d’un budget d’austérité pour 1999, par exemple. Mais un homme qui dispose personnellement de moyens pour mener grand train, comment peut-il être crédible quand il préconise l’austérité à ses ministres, à ses hauts fonctionnaires, au pays?
Il admettait, aussi, la nécessité d’une administration épurée et compétente. Mais habitué, pour faire aboutir ses projets dans les délais les plus courts, à ne reculer devant aucun  obstacle pour arriver à ses fins, comment pouvait-il exiger des autres rigueur administrative et morale?
Là où un Hoss apparaît tout de suite comme l’homme du renouveau institutionnel, Hariri demeure le représentant d’une autorité passéïste, d’un système de gouvernement du type personnel caractéristique de l’Orient éternel.
Dans l’état social de ce pays, M. Hoss est invité à se constituer une assise pour mieux réussir que son prédécesseur, lequel avait assuré son succès en tirant parti, sans état d’âme, de toutes les faiblesses humaines.
Gouverner, c’est l’art de mener les hommes. L’un a voulu le faire par l’incitation de l’intérêt personnel; l’autre entend le faire par l’appel au sens du devoir au service de l’intérêt national. Au surplus, il y a entre les deux hommes un fossé constitué par un état d’esprit: le souci de la paix sociale chez l’un animé par un sentiment de compassion envers les classes défavorisées; chez l’autre, la conviction que l’initiative privée et la lutte pour la vie sont les seuls moteurs du progrès. Ainsi, il se donnait en exemple (en réponse à un journaliste d’une télévision française qui l’interrogeait sur l’appauvrissement des classes moyennes): Travailler et compter sur l’aide de Dieu; c’est ainsi que j’ai moi-même fait ma fortune, disait-il à peu près.
Ce n’est pas à l’esprit de M. Hoss, ni à la majorité de ses ministres que viendrait spontanément une telle réflexion.
Mais à quoi bon reprocher à M. Hariri ce capitalisme anachronique? Il y croit. Et son propre modèle lui suffit.

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Qui a le plus de chance de réussir? Quelle est la bonne méthode pour conduire le Liban en 1999? Celle de M. Hariri ou celle du tandem Lahoud-Hoss?
L’espoir suscité par l’élection du président Lahoud et par la formation du Cabinet Hoss indique bien que le pays était fatigué du système précédent et que les objectifs que s’assigne le nouvel Exécutif correspondent bien à l’attente des Libanais. Sont-ils seulement conscients du prix que la nouvelle méthode exigera d’eux en matière de respect des lois? De discipline civique?
Il existe dans le pays une nouvelle génération peut-être moins politisée que l’ancienne et plus ambitieuse d’un Etat moderne, respectueux des droits des citoyens et des devoirs des fonctionnaires. Cette nouvelle génération pourra-t-elle peser dans la balance?
Trouvera-t-elle le moyen de se manifester pour aider au nettoyage des écuries? 

 
 

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