Après
l’immense chantier de la reconstruction, dont le héros fut longtemps
M. Hariri, voici l’inauguration d’un nouveau chantier, infiniment plus
grand et plus difficile, celui de la reconstruction de l’Etat (politique,
économique, financier, administratif, humain et, pour tout dire,
moral). Le premier était une affaire d’argent, de fer et de ciment;
le second réclame, d’abord, de la matière grise, de la lucidité
et du courage. Ces ingrédients étaient sans doute nécessaires
dans le premier cas aussi, mais sous une forme différente. En tout
cas, c’est sur le courage moral qu’on insistera maintenant.
Pour s’atteler à ce nouveau chantier, le président Lahoud
a fixé le cap et fait appel à un homme sérieux et
de haute moralité: M. Hoss.
A une ou deux exceptions douteu-ses, M. Hoss s’est entouré d’hommes
compétents. Son gouvernement forme une équipe de travail
et non de politiciens. Il s’est mis aussitôt à l’œuvre. Sa
méthode a été définie clairement: inventaire
des problèmes, suivi d’un changement du personnel dirigeant des
services administratifs, d’une part et, d’autre part, de projets de loi,
dont l’aboutissement dépendra de la coopération de l’assemblée
législative.
On touche ainsi du doigt la nature du changement espéré
et promis et les limites de ce changement. Quand on s’engage à bâtir
“l’Etat des institutions”, on est bien tenu de suivre les procédures
institutionnelles. Le passage par l’étape législative en
est une incontournable. La Chambre, qui est le lieu par excellence de la
politique politicienne, suivra-t-elle la voie que l’Exécutif entend
tracer? Pourra-t-elle se hausser au même diapason? C’est-à-dire
transcender les intérêts personnels?
La docilité de la majorité parlementaire a rarement (sinon
jamais) fait défaut à l’Exécutif. Mais souvent, elle
a été payée d’un prix trop élevé. On
peut penser et espérer qu’elle ne posera pas de problème
au début d’un sexennat qui s’annonce avec la volonté résolue
de moraliser la vie politique.
***
La comparaison entre le passé et le présent s’imposera
encore longtemps à l’esprit. Les réalisations de Hariri dans
le domaine de la reconstruction urbaine ne sont pas niées, quoique
l’ordre des priorités des projets exécutés et leur
coût soient très contestés. Ce sont les méthodes
et les conséquences financières (et partant morales) qui
sont appelées à changer.
M. Hariri lui-même admettait déjà la nécessité
d’un budget d’austérité pour 1999, par exemple. Mais un homme
qui dispose personnellement de moyens pour mener grand train, comment peut-il
être crédible quand il préconise l’austérité
à ses ministres, à ses hauts fonctionnaires, au pays?
Il admettait, aussi, la nécessité d’une administration
épurée et compétente. Mais habitué, pour faire
aboutir ses projets dans les délais les plus courts, à ne
reculer devant aucun obstacle pour arriver à ses fins, comment
pouvait-il exiger des autres rigueur administrative et morale?
Là où un Hoss apparaît tout de suite comme l’homme
du renouveau institutionnel, Hariri demeure le représentant d’une
autorité passéïste, d’un système de gouvernement
du type personnel caractéristique de l’Orient éternel.
Dans l’état social de ce pays, M. Hoss est invité à
se constituer une assise pour mieux réussir que son prédécesseur,
lequel avait assuré son succès en tirant parti, sans état
d’âme, de toutes les faiblesses humaines.
Gouverner, c’est l’art de mener les hommes. L’un a voulu le faire par
l’incitation de l’intérêt personnel; l’autre entend le faire
par l’appel au sens du devoir au service de l’intérêt national.
Au surplus, il y a entre les deux hommes un fossé constitué
par un état d’esprit: le souci de la paix sociale chez l’un animé
par un sentiment de compassion envers les classes défavorisées;
chez l’autre, la conviction que l’initiative privée et la lutte
pour la vie sont les seuls moteurs du progrès. Ainsi, il se donnait
en exemple (en réponse à un journaliste d’une télévision
française qui l’interrogeait sur l’appauvrissement des classes moyennes):
Travailler et compter sur l’aide de Dieu; c’est ainsi que j’ai moi-même
fait ma fortune, disait-il à peu près.
Ce n’est pas à l’esprit de M. Hoss, ni à la majorité
de ses ministres que viendrait spontanément une telle réflexion.
Mais à quoi bon reprocher à M. Hariri ce capitalisme
anachronique? Il y croit. Et son propre modèle lui suffit.
***
Qui a le plus de chance de réussir? Quelle est la bonne méthode
pour conduire le Liban en 1999? Celle de M. Hariri ou celle du tandem Lahoud-Hoss?
L’espoir suscité par l’élection du président Lahoud
et par la formation du Cabinet Hoss indique bien que le pays était
fatigué du système précédent et que les objectifs
que s’assigne le nouvel Exécutif correspondent bien à l’attente
des Libanais. Sont-ils seulement conscients du prix que la nouvelle méthode
exigera d’eux en matière de respect des lois? De discipline civique?
Il existe dans le pays une nouvelle génération peut-être
moins politisée que l’ancienne et plus ambitieuse d’un Etat moderne,
respectueux des droits des citoyens et des devoirs des fonctionnaires.
Cette nouvelle génération pourra-t-elle peser dans la balance?
Trouvera-t-elle le moyen de se manifester pour aider au nettoyage des
écuries? |
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