JUSQU’AUX LIMITES DE LA RAISON |
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A
part Israël, qui a intérêt à faire retomber le
pays dans le cycle de la violence? Qui voudrait à nouveau voir se
creuser les tranchées et s’élever les barricades?
Pendant neuf ans, nous avons vécu avec l’espoir qu’une certaine époque était à jamais révolue. Bien que nous ayons dû subir, au cours de ces neuf années, des gouvernements monochromes et portés nettement à l’arbitraire, l’opposition d’alors - qui comptait autant de musulmans que de chrétiens - avait eu le bon sens de se cantonner dans l’essentiel: les problèmes issus de la guerre, la reconstruction, l’économie, le social, les libertés publiques, les droits de l’homme... Les crises - et il y en eut - n’avaient jamais franchi les limites des portes interdites. Puis, vint l’alternance, changement normal dans une démocratie, sans que certains en parlent avec des trémolos dans la voix, comme d’“un coup d’Etat blanc”. Au lendemain de la victoire alliée, en 1945, Winston Churchill, le véritable vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, se vit récusé par les électeurs britanniques et remplacé par Clement Attlee et personne ne songea à traiter Attlee de suppôt de satan. Charles de Gaulle, qui sauva la France du péril nazi, fut désavoué sur un simple référendum et dût se retirer à Colombey-Les-Deux Eglises. Et personne n’eut l’idée de traiter Pompidou, qui lui succéda d’Attila ou d’usurpateur. Ceci en tenant compte du fait que nous n’avons hélas! parmi nos récents recalés, ni un de Gaulle, ni un Winston Churchill. L’accession d’Emile Lahoud au pouvoir n’a donc rien d’inusité ou d’extravagant. En outre, contrairement à ce que certains ténors de l’opposition actuelle laissent entendre, elle n’a pas été voulue par les seuls chrétiens. Il est arrivé à Baabda parce que chrétiens et musulmans - et musulmans plus que chrétiens - l’ont quasiment plébiscité. L’homme n’a manifesté tout au long de sa carrière aucune tendance à la dictature. D’un autre côté, on voit mal un Salim Hoss jouer les Timur Leng et se précipiter, sabre au clair, pour trancher les têtes qui ne s’inclineraient pas devant lui. Est-ce à dire qu’il faille chanter alléluia à tout ce qu’ils font ou disent? Certainement pas. S’il n’y avait pas eu une opposition, il aurait fallu la créer. C’est plus sain et c’est un garde-fou nécessaire en démocratie. Cependant, il n’est pas dit qu’une opposition qui se respecte ou qui prétend se faire respecter doive remplacer l’argument par l’invective et la critique par l’insulte. Il n’est pas dit, non plus, qu’un Walid Joumblatt qui a de la culture et une longue tradition de tolérance, héritage de Nazira Joumblatt, ne puisse rien trouver de mieux pour exprimer son opposition qu’une panoplie - très riche il est vrai - d’injures, allant des “semblants d’hommes” décernée aux nouveaux ministres, au “Phénicien” réservée, celle-là, au seul Georges Corm. Comme si être phénicien était une tare. Et pourquoi pas Gaulois, ou Saxon, ou Perse ou même Kurde par exemple? De plus, comment se fait-il que son allié de la veille, Nabih Berri s’est brusquement transformé en “Judas Iscariote”, alors que lui se serait volontiers assimilé à Jésus de Nazareth, si toutefois le Christ n’avait pas eu le tort d’être chrétien. Et à ce propos, pourquoi prendre le risque de pousser une opposition qui doit rester politique sur le terrain glissant et éminemment dangereux du confessionnalisme qui, au cours de notre Histoire, nous a valu les pires catastrophes. Sommes-nous condamnés à des malédictions cycliques? Craindre une éventuelle loi électorale qui réduirait certains leaderships à leurs justes proportions ou voir relever de leurs fonctions une poignée de directeurs généraux justifie-t-il le fait de tenter de scier la branche sur laquelle nous sommes assis, toutes confessions confondues? Plus personne n’ignore que le seul moyen de dresser les Libanais les uns contre les autres est de jouer sur la corde confessionnelle. La perversité aidant, cela peut aller jusqu’à faire d’une religion un argument racial, ouvrant ainsi la voie à la hideur d’une purification ethnique. C’était cela “liquider l’autre sur la base de sa carte d’identité”. N’est-ce pas pour y mettre fin, pour sauver ce qui pouvait encore l’être, que les députés, convoqués en Arabie séoudite, avaient accepté - la plupart, la mort dans l’âme - le diktat américano-arabe de Taëf avec son arbitraire, sa Constitution absurde et ses incohérences, incohérences dans lesquelles nous nous débattons jusqu’aujourd’hui. Qui a intérêt à nous ramener à l’avant-Taëf, à nous entraîner vers cette spirale de la terreur dans laquelle nous avons, pendant plus de quinze ans, été pris en otages corps et biens par les escadrons d’une “solution finale”? Flirter avec un revolver chargé à bloc est bien plus dangereux que de jouer à la roulette russe. |
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