UNE MAGISTRALE PLAIDOIRIE DE CLINTON:
SON DISCOURS SUR L’ÉTAT DE L’UNION EN PLEIN PROCÈS DE L’“IMPEACHMENT”

Combien de fois se sont-ils levés pour l’ovationner?Tous ou presque tous. Pendant 1 heure 17 minutes,ils se sont levés cent fois (les démocrates surtout) et l’ont applaudi à tout rompre. Il avait, cette fois-ci comme toujours, un accent unique pour évoquer les problèmes         des Américains et les rêves de grandeur de l’Amérique, à poursuivre au XXIème siècle, car “nous voulons pour notre descendance un pays meilleur que le nôtre”. Ce même accent qui faisait un tabac depuis les rangs de l’école et qui l’a conduit, lui petit orphelin de Hope, soutenu par une mère-courage mais handicapé par un beau-père alcoolique, à gouverner l’Arkansas et ensuite l’Amérique.
 

 
 
Clinton triomphant, saluant des deux mains 
le Congrès.
 
Clinton indiquant les priorités des Américains.
 
BClinton et Al Gore applaudissant avec ceux 
qui les applaudissent.
 
Clinton a rendu un vibrant hommage à son épouse. Hillary 
a eu droit à un “standing ovation”.
 
Point de presse du “manager” républicain 
Charles T. Canady à l’issue de trois jours de plaidoiries.
 
Au tour des démocrates de fourbir leurs armes. 
Le sénateur Carl Levin multiplie les arguments.
 
Le “procès du siècle”
 conduit par le chef de la Cour Suprême, 
William Rehnquist.
Henry Hyde,chef de la Commission judiciaire 
et l’un des treize procureurs lisant 
les chefs d’accusation.
 
Trent Lott, chef de la majorité républicaine 
au Sénat dépassé par les Conservateurs.
 
 
 
Dans la nuit du 19 janvier, devant les parlementaires et sénateurs du Congrès et en direct sur les chaînes de télévision, le président Bill Clinton s’est adressé à ses concitoyens lors du traditionnel discours sur l’Etat de l’Union qui constitue un grand moment dans la vie politique du pays. Ce discours, préparé des mois durant par ses collaborateurs qui ont sondé les priorités des Américains, a été élaboré en fonction d’une situation exceptionnelle, étant destiné à la nation en plein procès d’“impeachment”.
Une situation quasi irréelle: Clinton s’adressant à ses juges et jurés d’une tribune où les accusations l’ont déjà accablé et transcendant un psychodrame pour évacuer ses contingences. Le président a réussi à définir les grandes lignes d’une vision futuriste qui concerne les préoccupations immédiates de ses concitoyens, à savoir: l’éducation, la lutte contre la drogue et la violence, la sécurité sociale et médicale, l’intégration des immigrés, la préservation de l’environnement, la sécurité, etc... S’il n’a pu convaincre ses adversaires républicains qui ont aussitôt répliqué à son discours, son message est parvenu aux Américains. Et l’on s’attend à un nouveau “boom” dans sa remontée dans les sondages.
Sans faire une allusion directe au procès en cours, le président Clinton a tendu la main au nouveau Congrès avec lequel il entend travailler pour construire ensemble le XXIème siècle, “mettre fin à nos divisions” et “vivre comme une seule nation”.
Toute la planète a défilé dans ce discours. Tout d’abord, les réalisations des six dernières années dont “toutes les nations seraient fières”: la paix en Irlande du Nord, la remise sur rails du processus de paix au Proche-Orient, la fin de la guerre en Bosnie. Et toutes les ambitions aussi: la sécurité en Europe garantie par l’OTAN, la démocratie en Afrique, le maintien de la coopération avec le Japon et, aussi, la Chine dont la stabilité ne devrait pas étouffer la liberté, la situation dans les Caraïbes, la reconstruction de l’Amérique centrale dévastée par le cyclone Mitch et la lutte contre le terrorisme.
La sécurité à l’extérieur, mais également à l’intérieur du pays avec l’augmentation des effectifs et équipements de la police, la protection des jeunes, car “si vous voulez garder votre liberté, vous devez être libérés de la drogue”, il faut “faire de nos écoles les lieux les plus sûrs de notre communauté” et mettre les armes hors de leur portée.
L’Amérique en pleine croissance ne s’est jamais si bien portée, constate Clinton. 60% de l’excédent budgétaire qui atteint les 70 milliards de dollars, devrait être consacré au renforcement du système de sécurité sociale qui ne saurait ignorer la génération des “babyboomers”. “C’est votre temps et le mien”, a-t-il dit au Congrès, sans oublier de lancer une fleur à son vice-président Al Gore féru d’environnement et, surtout, à son épouse Hillary. “Je veux marquer une pause et saluer Hillary qui a su honorer le passé et imaginer le futur” et qui a tant fait à l’intérieur comme à l’extérieur de notre foyer. Ce qui vaut une immense “standing ovation” à la First Lady entourée de quelques invités-témoins venus de tous les horizons.
En attendant que les Américains assimilent le discours et évaluent ses conséquences aussitôt banalisées par les républicains, la parole est à la défense du président qui réfute, point par point, les plaidoiries des procureurs, estimant sans fondement les deux chefs d’accusation et affirmant qu’ils ne justifient en aucun cas la destitution du président.
Le “procès du siècle” a commencé le jeudi 14 janvier sous la présidence de William Rehnquist, président de la Cour suprême, avec les plaidoiries des treize procureurs de la Chambre des représentants conduits par Henry Hyde. Elles ont repris dans un document de 130 pages résumant le rapport Starr les chefs d’accusation retenus à l’encontre du président Clinton, le 19 décembre dernier, par la Chambre des représentants. A l’issue d’une accusation étalée sur trois jours, utilisant partiellement les 24 heures qui leur étaient imparties, ces procureurs ont demandé la destitution du président, coupable, ont-ils clamé, de parjure et d’obstruction à la justice.
Les cent sénateurs, juges et jurés, ont subi leurs interventions souvent au bord de l’ennui, de même que les 200 journalistes supplémentaires accrédités pour couvrir l’événement qui relève de la politique-spectacle et n’apporte aucun élément nouveau à un scandale où depuis un an tout a été dit. Cet événement, unique depuis 1968, qui a vu le président Andrew Johnson échapper à l’“impeachment” à une voix près, n’a été suivi en fait que par 20% des Américains qui l’ont placé au douzième rang de leurs priorités.
C’est que les Américains ne sont pas dupes. Malgré le matraquage publicitaire auquel les médias et les ultra-républicains les ont soumis depuis un an, ils ont refusé de suivre le courant, gardant leur confiance au président qui, selon un sondage CNN-USA Today, est au faîte de la popularité avec une cote ascendante de 67%.
Les Américains savent pertinemment bien que leur président a entretenu une relation sexuelle avec la jeune stagiaire de la Maison-Blanche, Monica Lewinsky; qu’il a menti à la justice et n’aurait pas dû le faire, mais ils estiment également que ce délit ne justifie pas la destitution. Pourquoi devrait-il partir avant terme? L’Amérique a un pouls de santé exceptionnel: taux de croissance exaltant, inflation en baisse, un chômage au-dessous des 4,5%. Rien que le mois dernier, 380.000 emplois avaient été créés. Que demande le peuple? Bien que religieux et croyant, il réprouve l’utilisation de la religion à des fins politiques comme le fait actuellement la droite chrétienne.
Le célèbre “anchor” présentateur-vedette de la CBS, Dan Rather qui avait couvert en 1974 le Watergate et suit le “procès du siècle”, mesure toute l’indifférence des téléspectateurs à l’événement. Il s’en était déjà aperçu, le 19 décembre dernier, lorsque la CBS avait choisi de diffuser un match de football, tandis que les autres chaînes avaient retransmis en direct le débat-vote de la Chambre des représentants, son audimat avait été cinq fois supérieur à celles-ci. En fait, la “tempête” annoncée n’a pas soufflé et “n’intéresse personne”.
Toujours à la recherche du “smoking gun”, l’argument-clé qu’ils espèrent depuis douze mois, les ultra-républicains s’obstinent à réclamer la comparution de témoins. Le Sénat pourrait se prononcer à la majorité simple, à l’issue des plaidoiries qui s’achèvent le 25 janvier. Entre-temps, les avocats de la défense contre-attaquent vigoureusement durant trois jours. Les sénateurs démocrates leur ont pavé la voie en ironisant: si les procureurs avaient été si convaincants, pourquoi appellent-ils au secours des témoins? “Lewinsky a été interrogée 22 fois, Betty Currie, 9 fois, Vernon Jordan 5 fois et leurs réponses sont restées complètement consistantes”. Cela ne semble guère suffisant, la comparution de Monica pourrait faire sensation, de même que celle de Bill Clinton. Mais le président qui argue de la séparation des pouvoirs, refusera de se laisser entraîner dans ce cirque.
Les républicains, à moins d’un élément-surprise qui vienne bouleverser la donne, n’ont aucune chance, selon l’arithmétique, de faire passer la destitution. Ils sont 55 contre 45 démocrates et la défection de 12 voix démocrates pour réunir les 67 voix votant la destitution par les deux-tiers des 100 sénateurs, est tout à fait improbable. Ils n’ont pas compris le message que les Américains leur avaient adressé le 3 novembre dernier en les sanctionnant par les urnes. Leur semi-défaite pourrait être annonciatrice d’une autre grande défaite se profilant à l’horizon de l’an 2000. Non seulement Al Gore accéderait à la Maison-Blanche, mais les démocrates pourraient reconquérir le Congrès et permettre à Clinton de prendre sa revanche en entrant de plain-pied dans l’Histoire.


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