Durant
les neuf dernières années, on n’a pas cessé de reprocher
aux détenteurs du pouvoir de ne pas suivre strictement les clauses
de l’accord de Taëf, d’en négliger plusieurs de ses principes,
voire de violer carrément la lettre et l’esprit de ce pacte de réconciliation
nationale. Personne ne réagissait d’une façon quelconque
à ces critiques. On n’en avait cure.
A peine le nouveau sexennat est-il inauguré, à peine
le nouveau gouvernement entreprend-il une œuvre de redressement que les
mêmes reproches lui sont adressés. Par qui? Par deux des principaux
responsables du précédent sexennat: Hariri et plus nettement
encore, Joumblatt.
En fait, il ne s’agit encore que d’un procès d’intention. M.
Hariri le fait au nom de sa communauté qu’il estime, dit-on, en
danger d’être marginalisée; il semble craindre que l’harmonie
qui règne actuellement entre les deux chefs de l’Exécutif,
le président de la République et le président du Conseil,
ne se traduise par la prédominance du premier sur le second. On
ne saurait mieux mésestimer et la force de caractère de M.
Salim Hoss et ses propres idées politiques. C’est, aussi, suggérer
que les tiraillements entre les présidences, comme ce fut le cas
si souvent dans le passé récent, seraient la règle
idéale. Bizarre!
Quant à M. Joumblatt, il en est à voir partout un esprit
de “croisade”; à dénoncer une tentative “d’avortement” de
Taëf, un danger de “terreur” et de “dictature”, etc... etc...
Tout cela dégage une nauséabonde odeur de querelle confessionnelle
artificiellement montée.
Pour ne pas dramatiser, disons seulement que ce n’est pas très
digne de la part de personnages occupant une place de grande responsabilité
dans la société politique du pays.
***
A l’opposé, on voit un autre des héros de la défunte
“troïka”, le président de la Chambre, apporter un appui ostentatoire
au sexennat et à la politique d’assainissement de l’Administration.
M. Berri répète à qui veut bien l’entendre qu’il
est le “levier de l’Etat”.
Qu’est-ce à dire?
Que si le président Lahoud et le président Hoss, contrairement
aux apparences, relâchaient leur action, M. Berri serait là
pour leur donner un nouveau souffle?
En fait, M. Berri voudrait d’abord couper court aux tentatives faites
pour le dresser contre l’Etat.
Louable intention, en tout cas.
Ce qui serait encore davantage louable, ce serait de clarifier les
objectifs des uns et des autres. Et ce qui serait souhaitable et correspondrait
tout à fait aux espoirs de “changement”, ce serait d’œuvrer à
l’assainissement du climat politique sans quoi l’assainissement des institutions,
dont la nécessité est reconnue par tout le monde, deviendrait
une entreprise hasardeuse. Mais on fait exactement le contraire: le pays
unanime n’avait pas encore fini de se réjouir du discours présidentiel
du 24 novembre et d’applaudir à la formation du nouveau Cabinet,
que l’atmosphère était empoisonnée par les discours
quotidiens de M. Hariri et les propos accusateurs de M. Joumblatt distribués
à droite et à gauche... jusqu’au Koweit.
Chacun invoque Taëf. Mais qu’est-ce que Taëf? Un pacte de
réconciliation nationale traduit dans une nouvelle Constitution.
Pendant longtemps, on a dénoncé la mauvaise application de
ce texte. Cela n’a pas gêné les Hariri et les Joumblatt de
demeurer au pouvoir.
Dès son élection, le président de la République
prête le serment de veiller au respect de cette loi fondamentale.
Il en est le gardien. Et il prononce un discours énergique soulignant
que nul n’est au-dessus de la loi et, surtout, pas lui-même. Le nouveau
chef du gouvernement est dans le même état d’esprit. Et ce
qu’on sait de leur personnalité et de leur passé inspire
confiance dans leur engagement.
Le moins qu’on puisse dire sur les querelles qu’on leur cherche est
qu’elles ressemblent à ce qu’on appelait jadis “une querelle d’Allemand”.
En tout état de cause, les plus acharnés aujourd’hui à
entretenir le doute sur l’œuvre entreprise et à lancer des accusations,
ont tout l’air de se désigner comme les responsables des déviations
qu’il s’agit justement de corriger.
Après tout, c’est tout naturel.
***
On a parlé de transparence. Les discours politiques des mécontents
en manquent singulièrement. Quelles sont leurs intentions? Quels
sont leurs objectifs. Que défendent-ils? Que proposent-ils? De continuer
comme avant?...
M. Joumblatt a multiplié les accusations. M. Hariri a procédé
par insinuations. M. Berri qui, lui, se déclare satisfait, se dresse
en ange gardien des institutions.
On se croirait en campagne électorale. Les citoyens qui applaudissaient
à la promesse de “changement”, se trouvent subitement l’objet d’une
véritable entreprise de racolage, de mobilisation.
Quels sont les intérêts en jeu? On commençait à
fonder un espoir sur la primauté de l’intérêt national
à travers la refonte de l’Etat. A peine l’œuvre dans ce sens est-elle
mise en chantier que de puissants intérêts égoïstes
se gendarment pour la saper.
Que cherche-t-on? A provoquer l’ouverture de vrais procès judiciaires
qui viendraient mettre un terme aux procès d’intention? Certains
le réclament, tel un Omar Karamé déjà à
l’affût de ce genre de développement. Mais on aura peut-être
la sagesse de s’épargner cette sorte de guerre. Avec l’aide, bien
sûr, du grand frère. Les navettes que les mécontents
reprennent entre Beyrouth et Damas n’indiquent-elles pas qu’on y compte
bien? |
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