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PROCÈS D’INTENTION ET PROCÈS JUDICIAIRES
Durant les neuf dernières années, on n’a pas cessé de reprocher aux détenteurs du pouvoir de ne pas suivre strictement les clauses de l’accord de Taëf, d’en négliger plusieurs de ses principes, voire de violer carrément la lettre et l’esprit de ce pacte de réconciliation nationale. Personne ne réagissait d’une façon quelconque à ces critiques. On n’en avait cure.
A peine le nouveau sexennat est-il inauguré, à peine le nouveau gouvernement entreprend-il une œuvre de redressement que les mêmes reproches lui sont adressés. Par qui? Par deux des principaux responsables du précédent sexennat: Hariri et plus nettement encore, Joumblatt.
En fait, il ne s’agit encore que d’un procès d’intention. M. Hariri le fait au nom de sa communauté qu’il estime, dit-on, en danger d’être marginalisée; il semble craindre que l’harmonie qui règne actuellement entre les deux chefs de l’Exécutif, le président de la République et le président du Conseil, ne se traduise par la prédominance du premier sur le second. On ne saurait mieux mésestimer et la force de caractère de M. Salim Hoss et ses propres idées politiques. C’est, aussi, suggérer que les tiraillements entre les présidences, comme ce fut le cas si souvent dans le passé récent, seraient la règle idéale. Bizarre!
Quant à M. Joumblatt, il en est à voir partout un esprit de “croisade”; à dénoncer une tentative “d’avortement” de Taëf, un danger de “terreur” et de “dictature”, etc... etc...
Tout cela dégage une nauséabonde odeur de querelle confessionnelle artificiellement montée.
Pour ne pas dramatiser, disons seulement que ce n’est pas très digne de la part de personnages occupant une place de grande responsabilité dans la société politique du pays.
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A l’opposé, on voit un autre des héros de la  défunte “troïka”, le président de la Chambre, apporter un appui ostentatoire au sexennat et à la politique d’assainissement de l’Administration. 
M. Berri répète à qui veut bien l’entendre qu’il est le “levier de l’Etat”.
Qu’est-ce à dire?
Que si le président Lahoud et le président Hoss, contrairement aux apparences, relâchaient leur action, M. Berri serait là pour leur donner un nouveau souffle?
En fait, M. Berri voudrait d’abord couper court aux tentatives faites pour le dresser contre l’Etat.
Louable intention, en tout cas.
Ce qui serait encore davantage louable, ce serait de clarifier les objectifs des uns et des autres. Et ce qui serait souhaitable et correspondrait tout à fait aux espoirs de “changement”, ce serait d’œuvrer à l’assainissement du climat politique sans quoi l’assainissement des institutions, dont la nécessité est reconnue par tout le monde, deviendrait une entreprise hasardeuse. Mais on fait exactement le contraire: le pays unanime n’avait pas encore fini de se réjouir du discours présidentiel du 24 novembre et d’applaudir à la formation du nouveau Cabinet, que l’atmosphère était empoisonnée par les discours quotidiens de M. Hariri et les propos accusateurs de M. Joumblatt distribués à droite et à gauche... jusqu’au Koweit.
Chacun invoque Taëf. Mais qu’est-ce que Taëf? Un pacte de réconciliation nationale traduit dans une nouvelle Constitution. Pendant longtemps, on a dénoncé la mauvaise application de ce texte. Cela n’a pas gêné les Hariri et les Joumblatt de demeurer au pouvoir. 
Dès son élection, le président de la République prête le serment de veiller au respect de cette loi fondamentale. Il en est le gardien. Et il prononce un discours énergique soulignant que nul n’est au-dessus de la loi et, surtout, pas lui-même. Le nouveau chef du gouvernement est dans le même état d’esprit. Et ce qu’on sait de leur personnalité et de leur passé inspire confiance dans leur engagement.
Le moins qu’on puisse dire sur les querelles qu’on leur cherche est qu’elles ressemblent à ce qu’on appelait jadis “une querelle d’Allemand”. En tout état de cause, les plus acharnés aujourd’hui à entretenir le doute sur l’œuvre entreprise et à lancer des accusations, ont tout l’air de se désigner comme les responsables des déviations qu’il s’agit justement de corriger.
Après tout, c’est tout naturel.

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On a parlé de transparence. Les discours politiques des mécontents en manquent singulièrement. Quelles sont leurs intentions? Quels sont leurs objectifs. Que défendent-ils? Que proposent-ils? De continuer comme avant?...
M. Joumblatt a multiplié les accusations. M. Hariri a procédé par insinuations. M. Berri qui, lui, se déclare satisfait, se dresse en ange gardien des institutions.
On se croirait en campagne électorale. Les citoyens qui applaudissaient à la promesse de “changement”, se trouvent subitement l’objet d’une véritable entreprise de racolage, de mobilisation.
Quels sont les intérêts en jeu? On commençait à fonder un espoir sur la primauté de l’intérêt national à travers la refonte de l’Etat. A peine l’œuvre dans ce sens est-elle mise en chantier que de puissants intérêts égoïstes se gendarment pour la saper.
Que cherche-t-on? A provoquer l’ouverture de vrais procès judiciaires qui viendraient mettre un terme aux procès d’intention? Certains le réclament, tel un Omar Karamé déjà à l’affût de ce genre de développement. Mais on aura peut-être la sagesse de s’épargner cette sorte de guerre. Avec l’aide, bien sûr, du grand frère. Les navettes que les mécontents reprennent entre Beyrouth et Damas n’indiquent-elles pas qu’on y compte bien? 

 
 

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