Bloc - Notes

ParALINE LAHOUD

ADIEU ABOU ABDALLAH

Quand il est monté  sur le trône, il avait l’âge des teenagers, l’âge où nos potaches commencent à se chercher à travers les perspectives d’une éventuelle carrière; l’âge où un garçon, à peine sorti de l’adolescence, ouvre les yeux sur la vie pour tenter de découvrir le monde qui l’entoure.
Lui, à 17 ans - était déjà roi. Il avait vu son grand-père, le roi Abdallah, tomber à ses côtés sous les balles d’un assassin et son père, le roi Talal, frappé de schizophrénie, prendre le chemin de l’exil. On lui prédisait un règne aussi éphémère et, à la Jordanie, une disparition tout aussi rapide de la carte politique du monde.
Il était déjà roi sans savoir, exactement, ce que cela voulait dire. Il n’avait aucun atout dans sa manche et à peine un droit d’entrée dans le club fermé des chefs d’Etat. Il n’avait pas un trône séculaire pour servir de garant à sa jeunesse, ni un pays blanchi sous le harnais de l’Histoire pour lui servir de carte d’introduction, ni un territoire reconnu par la géographie pour y ancrer ses droits. Ne lui reconnaissant que des antécédents désastreux - la perte du Hedjaz d’où son arrière-grand-père, fut chassé et le rêve grandiose sombré dans la débâcle de son grand-oncle, le roi Fayçal 1er -  on lui pronostiquait un avenir qui ne franchirait pas le seuil du lendemain, surtout dans un siècle tueur de monarchies.
De par sa taille (physique) et sa stature politique, on le désignait sous le sobriquet de “petit roi”. A l’ébahissement du monde, on découvre à sa mort, après presque un demi-siècle de règne, que ce “petit roi” fut un géant. Un de ces hommes-destin qui, de son poids-plume, a pesé lourdement sur le sort de la région et de ses peuples et contraint l’Histoire à virer de bord.
Enfin, pour couronner une carrière en tout point fabuleuse, même mort il aura réussi à faire de ce coin de désert, de Amman, cette ville qui n’existait presque pas lors de son avènement, la capitale de la planète, fait sans précédent dans les annales de l’Histoire.
Des quatre coins des cinq continents, des têtes couronnées, des chefs d’Etat prestigieux, des super-grands et des moins grands, des puissants et des démunis, des proches et des plus éloignés, des amis et même des adversaires politiques ont accouru pour lui rendre hommage et s’incliner devant sa dépouille. Tous, sauf nous... Pourquoi?
Pourquoi le Liban, seul, a-t-il boudé les funérailles du roi Hussein? Pourquoi notre pays n’était-il pas représenté au plus haut niveau? Pourquoi, nous qui vivons en coordination totale avec la Syrie, n’avons-nous pas mis nos pas dans ceux du président Assad et figuré à Amman aux côtés de ceux qui comptent? A cette question, un officiel aurait, paraît-il, répondu: “ - Il n’y a pas de raison précise”. Une précision lourde d’imprécision qui laisse la porte ouverte à toutes les suppositions.
Si le président de la République, pour une raison ou une autre, n’a pu se rendre en Jordanie, était-ce une raison pour y déléguer M. Murr? Non que le vice-président du Conseil soit une quantité négligeable, mais parce que dans les délégations arabes et autres, il n’existait personne de son rang, ce qui a dû être assez gênant pour lui. Même l’Irak avait envoyé le vice-président de la République. Là, on peut se demander ce que le président Hoss pouvait bien faire en Arabie séoudite, alors que les principaux dirigeants du royaume suivaient le convoi funèbre du roi de Jordanie! Pour cette circonstance, le président Assad est allé jusqu’à ajourner les élections présidentielles en Syrie; le président Clinton avait tourné le dos à un Sénat qui délibérait sur sa destitution; le président Eltsine avait quitté son lit aux soins intensifs, notre Premier ministre ne pouvait-il couper pour quelques heures sa visite à Riad?
D’autant plus que c’était pour nos nouveaux dirigeants une occasion irremplaçable pour faire connaissance avec les leaders de la planète et marquer notre place dans le concert des nations. Fallait-il être visionnaire pour le prévoir ou simplement le comprendre?
 Il n’empêche que le peuple libanais, dans toutes ses composantes, a profondément ressenti la perte qui frappe la Jordanie, a pleuré la mort d’un ami sûr et considéré la disparition du roi Hussein comme un deuil personnel.
Notre chagrin est doublé d’inquiétude. De quoi seront faits les futurs développements dans une région hypersensible où le Liban se trouve placé aux avant-postes de tous les dangers, sans ce modérateur que fut le roi? Ce grand roi, un être humain dans le plein sens du mot, a su gagner la place qui lui revient dans la conscience de sa nation et mérité sa part de paradis. 
Qu’il repose en paix! 

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