tribune
UN JEU VICIÉ
PeParmi les nombreux problèmes auxquels doit faire face le Cabinet Hoss, l’essentiel est celui de la confiance. Il ne s’agit pas de la confiance purement formelle et arithmétique de la Chambre; celle-là, il l’aura toujours. On n’a jamais vu l’Assemblée mettre un gouvernement en minorité; elle peut seulement, dans les commissions, gêner son travail de légifération.
La confiance dont il a besoin est celle du pays. Et ce n’est pas la même chose. C’est celle qui s’est exprimée après l’élection présiden-tielle et qui fut, à l’origine, ce qui a pu justifier la composition de ce gouvernement. (Qu’on se rappelle comment la confiance des députés allait, d’abord, à M. Hariri pour passer subitement à M. Hoss). Perdre cette confiance populaire, c’est ébranler le fondement du sexennat lui-même, car il est clair que la présidence de la République et le ministère forment, comme jamais auparavant, une véritable entité dans l’opinion publique, quoique le chef de l’Etat veuille demeurer à égale distance des partis.
C’est précisément là-dessus que, dès sa formation, le Cabinet Hoss s’est trouvé confronté à ses adversaires mobilisés pour susciter un climat de suspicion. Tous les discours, toutes les spéculations sur les intentions des ministres, sur leurs capacités, sur leurs projets, toutes les rumeurs répandues, toutes les questions soulevées par la presse et reformulées sans répit tous les jours malgré les éclaircissements répétés sans relâche par les responsables, visent à entretenir le doute et la méfiance dans l’esprit public.

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Le discours présidentiel du 24 novembre avait dressé un tableau exhaustif des besoins et des espoirs de la population. Il a ainsi pavé la voie à une sorte de surenchère qui n’a pour but que de saper tout effort de redressement en multipliant les revendications.
L’intervention de M. Omar Karamé au sujet de l’eau polluée de Tripoli illustre bien cette situation. Le député de cette ville menaçait de passer à l’opposition en accusant le gouvernement d’indifférence. Il oubliait seulement que si l’eau de Tripoli n’est plus buvable, c’est bien parce que depuis des années, personne n’a fait le nécessaire alors, qu’actuellement, tout est mis en œuvre pour résoudre le problème le plus vite possible.
En ce qui concerne M. Karamé, on ne saurait penser qu’il s’agit de mauvaise foi, mais d’une impatience que favorise, justement, cette orchestration des doutes et de la méfiance organisée par les adversaires du gouvernement. Et si un allié de M. Hoss y a si facilement cédé, que faut-il attendre de personnages moins bien disposés?
C’est un signe.
Agressé comme il le fut dès sa formation, le gouvernement a cru pouvoir faire front en multipliant les explications; en exposant sans méfiance ses projets et ses intentions; en tablant sur la “transparence” dans un pays qui n’y est pas habitué, confiant dans la bonne foi de l’opinion. Il n’a pas pris garde à l’incapacité du citoyen ordinaire de se défendre contre la démagogie de ceux qui cherchent à exploiter des espoirs parfaitement légitimes.
La gestion de l’Etat pendant les dernières années a profité à tant de politiciens, de fonctionnaires et d’hommes d’affaires, que le gouvernement se trouve aujourd’hui face à un véritable mur d’intérêts spontanément coalisés pour l’empêcher d’ébranler la base de leur puissance.
Cette difficulté vient s’ajouter à la multiplicité et à l’immensité des tâches que suppose une politique de réformes dans tous les domaines et de stricte application des lois à tout le monde.
Pour une telle œuvre, le gouvernement, M. Hoss l’a dit plus d’une fois, a besoin de temps et de sérénité. On voit bien que ses adversaires ne veulent pas lui donner ce temps. Ils le harcèlent et le font harceler par tous ceux qui ont quelque chose à réclamer de l’Etat. Les groupements qui se hâtent maintenant de formuler des revendications ne sont pas toujours politiques et ne sont pas nécessairement impliqués dans les luttes pour le pouvoir. Mais les bonnes dispositions du gouvernement leur ont donné l’espoir d’être entendus. Il faut croire qu’ils ne l’étaient pas auparavant et qu’ils n’avaient aucun espoir de l’être.

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En somme, ce fameux discours du 24 novembre a rompu les digues. Il a donné l’impression que tous les espoirs étaient permis.
Mais comme il est impossible de satisfaire tout le monde d’un seul coup - (d’un coup de baguette magique, a-t-on bien souligné) - ce sont ceux qui cherchent à déconsidérer le gouvernement et à lui faire échec, qui se précipitent dans la brêche pour exploiter les inévitables lenteurs d’une grande entreprise de véritable réforme.
Jamais les luttes pour le pouvoir n’ont été aussi vicieuses, parce que jamais jusqu’ici l’argent n’y avait joué un rôle aussi puissant que présentement.
Il faut y prendre garde. 


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