LA PREMIÈRE DES PRIORITÉS |
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Comme
les maris trompés des vaudevilles, nous sommes non seulement les
derniers à l’apprendre, mais ceux destinés à servir
d’objet de moqueries aux uns et aux autres.
Les uns, c’est-à-dire les “haririens” nous ont laissés - par des agissements irresponsables - en plein processus de faillite. Les autres, les “hosséens”, qu’on nous a présentés comme les premiers de la classe, n’en finissent plus de s’exclamer, de déplorer et de gémir, nous laissant mariner dans notre jus. A les entendre, à les voir, on dirait que frappés de stupeur devant une situation qui les dépasse, ils n’en sont pas encore revenus. Pendant ce temps, la paupé-risation qui, de rampante est en voie de devenir galopante, fait peser une grave menace sur l’ordre social dans son ensemble. Il est inutile de nous le dire et le redire, d’expliquer et de ressasser, d’agiter des bilans et de dresser des réquisitoires. Nous savons tous ce qu’il en est. Nous savons que nous avons été exploités, grugés, dépouillés, ça fait le compte et ça suffit. Ce qu’il nous faut, c’est non pas de savoir où nous en sommes, mais comment en sortir. Et cela personne ne prend la peine de nous le dire, pour la bonne raison que personne ne semble en avoir la moindre idée. Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour voir à quoi la population est réduite. Des magasins désertés par une clientèle qui semble avoir émigré sur une autre planète. Et quand un passant s’aventure par le plus grand des hasards dans une boutique, c’est simplement pour regarder et s’en aller, sans même s’enquérir des prix, puisque de toute façon, il n’a pas de quoi les payer. Les commerçants bâillent aux corneilles devant leurs vitrines qui proclament des rabais jusqu’à 70%. Les grandes surfaces voient le nombre des consommateurs réduits de plus de la moitié. Et ceux qui s’y hasardent se contentent des bas de gamme, puisque meilleur marché. Quant aux prix, grâce aux droits de douane exorbitants, ils galopent, alors que le pouvoir d’achat opère, à étapes forcées, une marche d’écrevisse. On raconte, aussi, que depuis le 1er janvier, six usines ont déjà fermé leurs portes et licencié ouvriers et employés. Sans compter les magasins aux rideaux baissés qui affichent liquidation sur liquidation ou même des fermetures définitives. Jusqu’aux centres commerciaux, qui étaient le théâtre d’embouteillages monstres aux heures de pointe, assistent à une circulation fluide où les automobilistes ne sont arrêtés que par les feux rouges. Un importateur de produits pharmaceutiques confie que les commandes des pharmacies en médicaments de première nécessité ont baissé de 50%. D’autres importateurs, même ceux dans l’alimentaire, disent que leurs dépôts regorgent de marchandises qu’ils n’arrivent plus à écouler. Jusqu’aux opérations chirurgicales - quand elles ne sont pas d’urgence - qui sont remises à plus tard. Oui, bien sûr, évidemment, ce n’est pas la faute au gouvernement Hoss. Ce n’est pas lui qui nous a menés là où nous sommes. Mais n’est-il pas (le gouvernement actuel) venu justement avec une équipe de technocrates pour tenter de nous sortir de la mélasse dans laquelle nous nous débattons ou, du moins, pour instaurer un climat de confiance qui nous fasse espérer que nous en sortirons? Le président Hoss jouit auprès de tous d’un préjugé favorable. Nous croyons dans sa bonne foi et nous voulons bien lui faire crédit. Mais quand nous voyons un ministre, grand argentier de surcroît, lever les bras au ciel en signe d’impuissance - au cours d’une conférence de presse - pour nous expliquer que nous avons accumulé une dette énorme et qu’il ne sait vraiment pas comment nous pourrons la payer, nous avons le souffle bloqué et les jambes fauchées. Quand nous entendons un autre ministre nous servir en guise de plan pour le sauvetage de l’économie des mesures destinées au contrôle du prix des concombres et autres salades, quand pour renflouer les caisses béantes sur le vide de l’Etat, on nous rebat les oreilles du mot “privatisation” qui n’est encore qu’un gargarisme et un vœu pieux plutôt qu’une politique économique nettement articulée, on se sent l’envie de s’arracher les cheveux ou, du moins, ce qui nous en reste. La priorité des priorités n’était pas de limoger une demi-douzaine de directeurs généraux et quelques autres menus fretins pour se cacher ensuite frileusement sous les couvertures, de peur de prêter le flanc à la critique. Ni de chercher l’épreuve de force en jouant à “je te tiens, tu me tiens par la barbichette”, mais d’offrir à une population qui, selon le mot de Tristan Bernard, “mange de la vache enragée et encore pas tous les jours”, une raison d’espérer pour l’aider à tenir le coup. En un mot, on ne se précipite pas pour nettoyer l’écurie quand le feu est à la maison. |
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