MOHAMED A. BEYDOUN:
 “LES OPTIONS ÉCONOMIQUES DU “CABINET DES 16” DOIVENT ÊTRE DIFFÉRENTES DE CELLES DU PRÉCÉDENT GOUVERNEMENT”


Membre du bloc parlementaire dont le président Nabih Berri est le chef de file, il se distingue par ses prises de position en flèche donnant parfois l’impression de se démarquer de ses collègues.
En fait, M. Mohamed Abdel-Hamid Beydoun se signale par son dynamisme et son esprit d’à propos, ses réactions vis-à-vis des problèmes de l’heure paraissant trop personnelles. A tel point que, souvent, on se demande si le député sudiste s’exprime sans en référer au chef du Législatif dont il est très proche.
Il s’est exprimé en toute franchise à propos des questions d’actualité: l’action du “Cabinet des 16”, la loi électorale en cours de gestation, l’accord de Taëf, la situation économico-financière, etc...

Tout d’abord, il émet des réflexions judicieuses à propos du fameux “communiqué de presse” du chef du gouvernement qu’il présente comme “le message du pardon adressé aux Libanais dont il veut faire ses seuls juges, alors qu’il devrait s’en remettre à l’Assemblée nationale.”
Il en déduit que le Premier ministre reconnaît la perte de crédit de son gouvernement au cours des deux derniers mois, à cause d’erreurs commises au plan de la réforme administrative. “Ceci, ajoute-t-il, nous réjouit, car le président Hoss veut traiter ces erreurs. Cependant, à notre avis, les responsables devraient appliquer rigoureusement la loi en remerciant les fonctionnaires ou en les mettant à la disposition de la présidence du Conseil.
“En réalité, ce qui s’est produit dans ce domaine, n’excède pas l’écorce, alors qu’on devrait opérer en profondeur, tel de modifier le mécanisme de travail et de renforcer les organismes de contrôle pour les rendre plus efficaces.
“Ainsi et à titre d’exemple, notre principal sujet de conflit avec le président Rafic Hariri, fut son refus de soumettre certains offices et services étatiques à la surveillance des organismes de contrôle.
“Le gouvernement n’a pas encore agi dans ce sens, se contentant de procéder à des permutations parmi les personnes inscrites au cadre administratif, sans apporter le changement souhaité aux systèmes régissant les institutions. Nous nous attendions à une refonte de la loi régissant la Cour des comptes, premier organisme de contrôle et au renforcement de ses attributions, ce dernier devant être rattaché à la Chambre des députés et non à la présidence du Conseil, comme c’est le cas maintenant.”
- La diffusion du “communiqué” par le président Hoss marquera-t-elle un nouveau style de travail, d’autant que le chef de l’Etat a réitéré son soutien à l’équipe ministérielle?
“On peut répondre à cette question par l’affirmative, si le gouvernement en fait un plan de travail au niveau de la réforme et, surtout, en vue de gérer les secteurs économico-financiers qui souffrent de marasme.
“Si le gouvernement continuait à effleurer les problèmes requérant des solutions urgentes sans les attaquer de front, il entretiendrait un climat pessimiste.”
- On constate, ces derniers temps, que vous n’épargnez pas le Cabinet; peut-on en déduire que vous avez rallié l’opposition?
“Le mouvement “Amal” a été l’un des premiers groupes politiques à apporter son soutien au gouvernement. Cependant, le loyalisme n’empêche nullement la critique, surtout quand elle est constructive et vise à rectifier les déviations et les erreurs.
“Puis, nous ne critiquons pas en vue de renverser le Cabinet. D’ailleurs, jusqu’ici le président Hoss ne nous a pas poussés à rallier l’opposition et nous espérons qu’il ne le fera pas. Nous voulons qu’il se décharge du dossier de la réforme pour s’attaquer à d’autres dossiers non moins importants, en explicitant sa conception de la manière de régler les problèmes d’ordre économique et financier et en tenant ses engagements consignés dans sa déclaration ministérielle.
“Je m’en tiendrai à trois d’entre eux seulement: Primo, la fixation d’un plafond pour les dépenses publiques, ce que le ministère des Finances n’a pas établi jusqu’ici.
Secundo, quel délai s’est-il imparti en vue de réduire le déficit budgétaire? Dans sa déclaration ministérielle, il parle d’une période allant entre cinq et sept ans, en supprimant les dépenses improductives et en augmentant les rentrées du Trésor. Or, le gouvernement n’a encore rien dit à ce sujet.
“Tertio, en ce qui concerne la privatisation, un courant favorable se dessine au sein de la Chambre en ce qui concerne des secteurs ne nécessitant pas l’institution de nouveaux impôts et taxes dont pâtiraient les citoyens. Aussi, chaque secteur doit-il être étudié à part.
“Cela dit, il y a lieu de s’arrêter à une déclaration du président Hoss dont il ressort que sa politique économico-financière ne diffère de celle du président Hariri que sur le plan de la gestion. Pourtant, la déclaration ministérielle laisse prévoir des orientations différentes de celles du précédent gouvernement.
“Nous demandons qu’une ligne sépare les deux politiques d’une manière très claire.”
- Etes-vous pour l’exécution de tous les projets élaborés sous le précédent régime?
“Le hic de l’affaire réside dans l’ordre des priorités et, aussi, dans le système fiscal. L’Etat compte-t-il instituer de nouveaux impôts et taxes ou accroître les charges sous lesquelles ploient les contribuables, afin de pouvoir financer les projets en question?
“Dans sa déclaration ministérielle, le président Hoss a promis une fiscalité équitable. Puis, il importe d’opter pour les projets dont l’exécution profitera aux régions sous-développées. M. Hoss ne fournit pas les éclaircissements réclamés par les citoyens et c’est ce qui est à l’origine de la plainte, laquelle risque de se généraliser.”
- Des rumeurs sont propagées à propos de la raison véritable ayant amené le président Berri à rendre visite au président Hoss au Grand Sérail...
“Ces rumeurs sont propagées sciemment par des milieux connus, à l’effet de semer les germes de la division entre les chefs du gouvernement et du Législatif. A vrai dire, nous ne lions pas la dignité des communautés au maintien d’un nombre de fonctionnaires ou à leur remplacement.
“Ici, je voudrais préciser que le plan d’action du Cabinet n’est pas clair, c’est pourquoi, des nominations sont mal interprétées. Certaines d’entre elles suscitent une vague de mécontentement contre M. Michel Murr que d’aucuns accusent d’avoir amené ses hommes et exclu des fonctionnaires intègres.
“Je le répète: le gouvernement                    doit tenir un langage clair et dissiper l’impression qu’il agit dans le domaine de la réforme sur base de considérations discrétionnaires. En tant que bloc parlementaire, nous souhaitons disposer d’armes nous permettant de prendre la défense du gouvernement, sinon il nous sera difficile de le soutenir. La visite du président Berri au Grand Sérail avait, justement, pour but de mettre les choses au clair et de rectifier le tir du président Hoss.”
- Le froid qui caractérisait leurs rapports s’est-il donc dissipé?
“Aucun froid ne caractérisait leurs rapports, bien que bon nombre de fonctionnaires mis au rancart ou licenciés se réclament de “Amal”. M. Berri a sacrifié certains de ses partisans, en vue de soutenir le Cabinet. Mais le président Hoss est appelé à ne pas provoquer au niveau de la rue, des tensions qui se retourneraient contre son équipe ministérielle.
“Nous avons compris de M. Hoss qu’il s’en remettra aux institutions et restreindra la pratique politique aux limites du jeu parlementaire.”
- Comment évaluez-vous le rôle du parlement dans cette phase, d’autant qu’on fait état d’un courant en son sein hostile au projet relatif au Conseil national de l’audiovisuel?
“Le gouvernement a avoué s’être trompé sur ce point et la Chambre a accepté son excuse. A mon avis, le Liban ne peut recouvrer sa vitalité, si la politique continue à être basée sur le compromis entre les personnes, les pôles du pouvoir, les forces politiques ou les blocs parlementaires. Ceci rend les décisions suspectes ou ajourne les solutions.
“Il nous faut restreindre l’action politique au cadre du jeu parlementaire, comme c’est le cas dans tout pays démocratique. C’est la clé de toute solution à nos problèmes, car si ce jeu suit son cours normal, l’opposition et le loyalisme auront la possibilité de s’exercer sans accroc.”
- Qu’auriez-vous à dire à propos de la réforme électorale, étant donné que votre bloc parlementaire paraît hostile à l’adoption du caza en tant que circonscription?
“L’idée du caza transgresse l’accord de Taëf qui s’est prononcé en faveur du mohafazat. Malheureusement, notre ami et allié Walid Joumblatt est acquis à la petite circonscription. Nous devons veiller, aujourd’hui plus que jamais, à respecter l’accord de Taëf dans son esprit et sa lettre, afin de pouvoir renforcer l’entente nationale, le plus important à notre sens est que le système libanais repose sur trois règles: le parlementarisme, la démocratie et la république.
“Au sommet du système, il existe des règles confessionnelles, mais ses piliers restent les principes républicains, parlementaires et démocratiques. Lorsque la démocratie ne peut être conciliée avec le confessionnalisme, la première doit prévaloir, de même que la république.
“L’exception dans notre système consiste à préserver la représentation communautaire au sommet; autrement dit à la répartir au plan commu-nautaire. Des tentatives sont effectuées, actuellement, à l’effet de renverser l’équation de fond en comble; en d’autres termes, de considérer le confessionnalisme comme la règle du système, l’exception étant la république et la démocratie. Ceci est un fait très grave pouvant porter préjudice au Liban et compromettre son avenir.
“La nouvelle loi électorale doit tendre à renforcer la répu-blique, le parlementarisme et la démocratie. S’ils veulent améliorer leur situation politique, les Libanais doivent faire évoluer tous les aspects de la vie politique, en la basant sur les partis et non sur les communautés.
“La transformation des blocs confessionnels en partis requiert des décisions au niveau du sommet; c’est-à-dire des décisions que prendrait le gouvernement et qui seraient entérinées par la Chambre des députés.
“Nous nous préoccupons d’assurer la liberté à fonder les partis et, aussi, de limiter les candidatures (aux élections) à leurs représentants, comme c’est le cas dans les démocraties occidentales. En France, l’Etat finance une partie des campagnes électorales des partis.
“Il devrait en être de même au Liban, car ceci encouragera la création des partis, les personnes, n’ayant pas la possibilité de couvrir ces campagnes, seront portées à y adhérer et, partant, à poser leur candidature aux élections.
“Nous devons considérer la loi électorale comme faisant partie de l’opération visant à faire évoluer et moderniser notre vie politique, car cette évolution favorisera l’abolition de la féodalité politique dont notre pays a pâti durant de longues années.
“Ceci aidera, d’autre part, à modifier le rôle du député: ce dernier est, actuellement, forcé de rendre service aux électeurs, au lieu de se consacrer, exclusivement à sa mission fondamentale qui consiste à légiférer et à contrôler l’Exécutif.
“C’est la raison pour laquelle notre bloc parlementaire est contre la petite circonscription où deux facteurs: l’argent et l’esprit tribal (ou familial) jouent un rôle primordial dans la consultation populaire. De ce fait, le député limite son action à sa propre circonscription, sans se          soucier de l’étendre à l’échelle nationale.
“Nous avons donc besoin d’une nouvelle conception du rôle et de la mission des membres de l’Assemblée, car avant l’accord de Taëf, le Liban était une république dont le souci majeur était de marginaliser le rôle de la Chambre au profit du président de la République et du gouvernement, sans lui permettre de contrôler l’Exécutif et, partant, la vie politique.
“La représentation proportionnelle convient mieux à notre pays parce que ce système repose sur l’entente nationale. Il est de l’intérêt des Libanais de transposer le Liban du système majoritaire au système proportionnel, parce que ce dernier représente toutes les catégories et les franges politiques sans exception.”
- Vous êtes donc contre une loi électorale comportant des exceptions?
“On ne doit pas y penser, surtout sur la base confessionnelle. Je ne voudrais pas, par exemple, que Walid Joumblatt se confine dans sa position de leader druze, alors qu’il doit avoir une stature nationale.”
- On vous prête l’intention de soumettre au gouvernement une proposition en rapport avec la réforme administrative; en quoi consiste-t-elle?
“Je ne conçois pas le recrutement des fonctionnaires de la première catégorie sans un concours en bonne et due forme auquel auraient droit de participer les candidats répondant à des critères définis à l’avance. Toute autre manière de recruter les fonctionnaires relèverait du clientélisme. Tel est l’essentiel de ma proposition.”
- Le ministère de la Réforme administrative ne devrait-il pas avoir son mot à dire?
“Ce département ministériel peut en prendre connaissance, mais le ministre ne devrait pas en décider. Cette tâche incomberait à des commissions spécialisées à qui reviendrait le droit d’examiner les dossiers des postulants. A la lumière du rapport de cette commission, le ministre transmettrait ses observations au Conseil des ministres. Ceci assurerait l’égalité des chances aux candidats.
“Dans ma proposition, je préconise aussi que le gouvernement hâte la création de l’Institut national d’administration publique, à qui incomberait la tâche de former des fonctionnaires d’un haut niveau dont nous pourrions être fiers”.
 
Propos recueillis par
Hala Husseini

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