LES KURDES AUX CONFINS DU DÉSESPOIR, MAIS LA LUTTE CONTINUE
Comme une boule de feu, le désespoir de la diaspora kurde a gagné l’univers, aussi intense qu’il demeure sans issue pour un peuple qui semble maudit par la géographie et par l’Histoire et revendique un patrimoine vieux de trois mille ans.
 
 

A l’île-prison d’Imrali, Ocalan, menottes 
à la main, devant 
le drapeau turc.
 
 

 


Manifestation des Kurdes à Berlin.
 
 

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Grecs et Kurdes en colère brûlent les drapeaux israélien 
et turc à Athènes.

Cemil Bayik, chef de la branche militaire du PKK, parmi les successeurs possibles d’Ocalan.

Tempête politique en Grèce 
et limogeage de trois ministres. Le chef de la diplomatie grecque, Theodoros Pangalos, cède la place à Giorgos Papandreou.

 

Quelque 3.000 Kurdes de Syrie et du Liban 
ont manifesté à Beyrouth. Ils sont près de 100.000 au Liban.
 

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Les 23 à 26 millions de Kurdes, descendants des Mèdes de la Perse antique, comme tous les peuples de la terre, ont eu leurs héros, leurs conquérants (dont Saladin qui reprit en 1187 Jérusalem aux Croisés) et leurs martyrs, mais n’ont pas obtenu une patrie. Rien que des promesses et le rêve fugitif d’une terre concrétisé en 1920 par le traité de Sèvres entre la Turquie et les Alliés et qui prévoit “un plan pour l’autonomie locale des régions habitées par une majorité kurde”, ainsi que l’adhésion des Kurdes de Mossoul “à cet Etat kurde indépendant”. Un rêve qui était sur le point de prendre forme.
Mais Ataturk avait commencé à reconstruire un pays sur les décombres de l’Empire ottoman et il y réussissait bien. Plus besoin d’un Etat kurde, d’autant que le pétrole de Kirkouk était convoité par les Britanniques ayant obtenu un mandat sur l’Irak de la Société des nations. Le traité de Lausanne de 1923 allait effacer définitivement de la carte de la région, la terre promise.
Aujourd’hui, en dehors de leur diaspora, les Kurdes vivent à l’intersection de quatre pays: 12 à 15 millions en Turquie dont ils constituent près du quart de la population, 4 millions en Irak, 7 millions en Iran et 800.000 en Syrie. On les estime à 1.500.000 en Europe, la plus forte communauté se trouvant en Allemagne, est évaluée à 500.000 dont 10.000 militants actifs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) implantés en dix régions et trente territoires. Et c’est dans ce pays, à Berlin notamment où vivent 600.000 Turcs dont un tiers de Kurdes, que les manifestants ont été les plus actifs et les plus désespérés, trois d’entre eux étant tombés sous les balles des services de sécurité israéliens protégeant le consulat hébreu.
C’est par dizaines de milliers que les Kurdes d’Allemagne ont manifesté dans les principales villes du pays, criant leur douleur à la suite de la capture de leur leader Abdullah Ocalan. L’effervescence ayant atteint son paroxysme, le chancelier Gerhard Schröder qui voit, désormais, le projet de la double nationalité de sa coalition sérieusement menacé, voué au même sort que celui du nucléaire, a fini par hausser le ton: “Nous ne pouvons tolérer dans nos villes des conflits qui ne sont pas les nôtres.”
Aussi virulentes ont été les manifestations à Istanbul où vit une forte communauté kurde et où des heurts quasi quotidiens, parfois sanglants entre les militants indépendantistes du PKK et les forces de police, se sont soldés par quelque 2.000 arrestations. La colère, la douleur, la rancune, l’amertume habitent désormais les Kurdes qui ont promis de frapper les intérêts turcs dans le monde.
Mais la Turquie qui consacrait le tiers de son budget national à la lutte contre le PKK, tente d’engranger les dividendes de la capture de son “ennemi numéro un”. Tout en poursuivant une offensive contre les bases du PK dans le sud-est anatolien, elle tente de neutraliser définitivement les maquisards, annonce un plan de développement de leurs régions déshéritées et leur propose l’amnistie en vertu d’une loi qui serait votée à l’issue des législatives du 18 avril. “Vous, les jeunes dans les montagnes, leur a lancé le Premier ministre Bulent Ecevit plus que jamais populaire, je vous demande de vous rendre (…) Vous êtes arrivés au bout de l’impasse (…) Il est temps de sortir des griffes de ceux qui vous ont envoyés au front pendant qu’ils se prélassaient dans de luxueuses villas.”
Bulent Ecevit adressait un autre message à l’Europe, l’invitant à ne pas se laisser émouvoir par les “terroristes” kurdes  “en prenant des initiatives contre la Turquie”. Plus explicite encore, le président turc Suleyman Demirel a accusé la Grèce qui, en soutenant le terrorisme du PKK, “a montré qu’elle ne faisait pas partie du monde civilisé”. En effet, la Grèce ayant subi durement les retombées de la gestion cafouilleuse de l’affaire Ocalan qui a contraint le Premier ministre Costas Simitis de limoger trois de ses principaux ministres (Affaires étrangères, Intérieur et Ordre public), a inscrit cette affaire en début de semaine, à l’ordre du jour des réunions des ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur de l’Union européenne. Une déclaration commune condamnait ainsi le terrorisme, soutenait l’unité de la Turquie, proposait une contribution financière au développement du sud-est anatolien, réclamait pour Ocalan un procès équitable devant une Cour indépendante, le libre choix des avocats de la défense et des observateurs internationaux. A part des souhaits et des vœux pieux, l’UE ne pouvait offrir davantage au peuple kurde décapité.
Déjà soumis à l’interrogatoire de trois procureurs dans l’île-prison d’Imrali dans la mer Marmara déclarée zone de haute sécurité et protégée par des navires de guerre, Ocalan comparaîtra le 10 mars devant ses juges, protégé par une cage pare-balles en verre. Son procès devrait se prolonger jusqu’en mai. Et il encourt la peine de mort qui n’a guère été appliquée depuis 1984.
Le PKK peaufine, désormais, une stratégie de l’après-Ocalan. Trois dirigeants sont en lice pour la succession: Osman, le frère cadet d’Ocalan; Murat Karayhilan, commandant de la région turque frontalière de l’Irak et Cemil Bayik, commandant en chef de l’ARGK, branche militaire du PKK. La relève est assurée. Rien de nouveau sous le ciel du Bon Dieu. Depuis 1925, une trentaine de chefs rebelles kurdes ont été arrêtés et exécutés par la Turquie. Et la guerre du PKK a fait depuis quinze ans quelque 30.000 morts et trois millions de déplacés. La lutte continue. 


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