tribune
À PROPOS DU SIRE DE MOUKHTARA
Faut-il ou ne faut-il pas répondre à toutes les sorties de M. Walid Joumblatt?
L’inconvénient de ne pas lui répondre, c’est de lui laisser le champ libre pour semer le doute et le trouble dans les esprits. L’homme dispose d’un talent particulier pour faire de la provocation tout en amusant la galerie.
L’inconvénient de lui répondre à tous les coups, c’est de se laisser entraîner dans des polémiques stériles et, pour un gouvernement formé en vue d’une tâche difficile et absorbante, d’être distrait de ses priorités.
Le Cabinet Hoss n’est pas, à une ou deux exceptions près, un Cabinet de politiciens. Pour lui, le principal danger est d’être mené sur un terrain où il n’aurait pas choisi de se battre.
Dans les premières semaines de son installation au palais présidentiel de Baabda, on pouvait observer que le président Lahoud évitait de se laisser photographier avec les visiteurs politiques. Les caméras n’opéraient que pour les audiences données à des étrangers ou à des représentants d’organismes non politiques. Depuis quelque temps, on a l’impression que tout visiteur a droit à la photo. Mais on n’a pas encore rétabli le pupitre du haut duquel, à la sortie de l’audience présidentielle, tout un chacun pouvait répondre aux questions des journalistes et même parler au nom du chef de l’Etat. Il y avait là un abus évident développé durant la présidence de M. Hraoui. Il faut espérer qu’on n’y reviendra pas.
Il reste que le gouvernement lui-même aurait besoin d’urgence de se définir une ligne de conduite sur la manière de s’exprimer.
Autrement, il risquerait de passer son temps à donner la réplique à l’un ou l’autre de ses adversaires ou à céder à toutes les sollicitations des chaînes de télévision et des radios.

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Ce qu’on appelle vie politique au Liban, n’est, la plupart du temps, qu’un système de bavardage à jet continu.
A longueur d’année, tout est prétexte à discours politiques. Les vendredis et les dimanches, comme à chaque circonstance communautaire, c’est le tour de la hiérarchie religieuse de commenter les événements. Il y en a même qui ne se contentent pas de la prêche du jour du Seigneur. Puis, ils ont cédé à la mode du pupitre dressé à la sortie pour permettre à leurs visiteurs de raconter leur audience devant les micros.
Tous les jours, ce sont les députés qui inventent des occasions pour se faire remarquer en s’exprimant en public. Télévisions, radios, journaux, qui ont des creux à remplir, sont à la poursuite d’interlocuteurs disposés à disserter sur la “situation”.
A longueur d’année, ce ne sont que visites aux présidents, aux ministres, aux patriarches, aux muftis. Autant de prétextes à photos et discours. Quand les journaux télévisés déroulent tous les soirs la série des audiences officielles, dont on est à peine informé de l’objet (mais ce n’est guère nécessaire; l’important est d’être vu), une question vient naturellement à l’esprit: quand est-ce que ces messieurs ont le temps de travailler?
Tout le monde a quelque chose à réclamer, tout le monde a quelque chose à critiquer ou à proposer, tout le monde a un avis sur tout.
On peut se flatter de cette liberté de parole et appeler cela “démocratie”. Mais la base de la vie démocratique, c’est autre chose. C’est d’abord, le fonctionnement des institutions elles-mêmes: l’assemblée législative, le gouvernement, le pouvoir judiciaire, l’administration publique.
Tout le bavardage dont on vient de faire état se déroule hors de ce cadre. Le gouvernement actuel a été constitué pour le réformer, pour assainir ses rouages, pour le renforcer, afin que règne la loi et que soient respectées la liberté et l’égalité des citoyens.
On imagine les ministres chargés de réaliser cette œuvre gigantesque plongés dans leurs dossiers, occupés à débattre les problèmes législatifs, administratifs, judiciaires, financiers, économiques... L’image qu’on nous en donne est tout le contraire: harcelés par des visiteurs qui ne cherchent qu’à se faire voir et forcés à longueur de journée de s’expliquer avant même d’avoir agi.
La “transparence” que le nouveau sexennat a promise, c’est parfait, mais ce n’est pas le robinet ouvert. Il y a un temps pour parler et il y a un temps pour agir.
M. Hoss a formé ce qu’on appelle un Cabinet de travail par opposition à un gouvernement politique ou de partis. Rien, absolument rien ne devrait le distraire de sa tâche. Pour répondre aux questions légitimes, il peut se doter d’un porte-parole et tenir les portes des ministres closes.
Il est temps de se rendre compte du ridicule de ces images silencieuses d’audiences où deux personnages, face à face, essaient de se donner une contenance pendant que le cameraman opère.

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Pour en revenir à Walid bey, disons qu’on se trouve devant un cas exceptionnel.
Sa position politique est héritée d’un système féodal et communautaire qu’il exploite à fond, sans se gêner pour donner des leçons de liberté démocratique au reste du pays. Sous prétexte que le régime politique libanais demeure fondé sur un certain équilibre confessionnel, il s’identifie à sa communauté de telle manière que quiconque le contredit peut être accusé de vouloir léser cette communauté. Mais il ne se prive pas de chercher querelle à tout le monde.
Personnage bizarre et imprévisible. Il change d’alliance et de cibles sans avoir à s’expliquer. Il est au-dessus de toute explication comme il est hors normes. Inclassable. 


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