Faut-il
ou ne faut-il pas répondre à toutes les sorties de M. Walid
Joumblatt?
L’inconvénient de ne pas lui répondre, c’est de lui laisser
le champ libre pour semer le doute et le trouble dans les esprits. L’homme
dispose d’un talent particulier pour faire de la provocation tout en amusant
la galerie.
L’inconvénient de lui répondre à tous les coups,
c’est de se laisser entraîner dans des polémiques stériles
et, pour un gouvernement formé en vue d’une tâche difficile
et absorbante, d’être distrait de ses priorités.
Le Cabinet Hoss n’est pas, à une ou deux exceptions près,
un Cabinet de politiciens. Pour lui, le principal danger est d’être
mené sur un terrain où il n’aurait pas choisi de se battre.
Dans les premières semaines de son installation au palais présidentiel
de Baabda, on pouvait observer que le président Lahoud évitait
de se laisser photographier avec les visiteurs politiques. Les caméras
n’opéraient que pour les audiences données à des étrangers
ou à des représentants d’organismes non politiques. Depuis
quelque temps, on a l’impression que tout visiteur a droit à la
photo. Mais on n’a pas encore rétabli le pupitre du haut duquel,
à la sortie de l’audience présidentielle, tout un chacun
pouvait répondre aux questions des journalistes et même parler
au nom du chef de l’Etat. Il y avait là un abus évident développé
durant la présidence de M. Hraoui. Il faut espérer qu’on
n’y reviendra pas.
Il reste que le gouvernement lui-même aurait besoin d’urgence
de se définir une ligne de conduite sur la manière de s’exprimer.
Autrement, il risquerait de passer son temps à donner la réplique
à l’un ou l’autre de ses adversaires ou à céder à
toutes les sollicitations des chaînes de télévision
et des radios.
***
Ce qu’on appelle vie politique au Liban, n’est, la plupart du temps,
qu’un système de bavardage à jet continu.
A longueur d’année, tout est prétexte à discours
politiques. Les vendredis et les dimanches, comme à chaque circonstance
communautaire, c’est le tour de la hiérarchie religieuse de commenter
les événements. Il y en a même qui ne se contentent
pas de la prêche du jour du Seigneur. Puis, ils ont cédé
à la mode du pupitre dressé à la sortie pour permettre
à leurs visiteurs de raconter leur audience devant les micros.
Tous les jours, ce sont les députés qui inventent des
occasions pour se faire remarquer en s’exprimant en public. Télévisions,
radios, journaux, qui ont des creux à remplir, sont à la
poursuite d’interlocuteurs disposés à disserter sur la “situation”.
A longueur d’année, ce ne sont que visites aux présidents,
aux ministres, aux patriarches, aux muftis. Autant de prétextes
à photos et discours. Quand les journaux télévisés
déroulent tous les soirs la série des audiences officielles,
dont on est à peine informé de l’objet (mais ce n’est guère
nécessaire; l’important est d’être vu), une question vient
naturellement à l’esprit: quand est-ce que ces messieurs ont le
temps de travailler?
Tout le monde a quelque chose à réclamer, tout le monde
a quelque chose à critiquer ou à proposer, tout le monde
a un avis sur tout.
On peut se flatter de cette liberté de parole et appeler cela
“démocratie”. Mais la base de la vie démocratique, c’est
autre chose. C’est d’abord, le fonctionnement des institutions elles-mêmes:
l’assemblée législative, le gouvernement, le pouvoir judiciaire,
l’administration publique.
Tout le bavardage dont on vient de faire état se déroule
hors de ce cadre. Le gouvernement actuel a été constitué
pour le réformer, pour assainir ses rouages, pour le renforcer,
afin que règne la loi et que soient respectées la liberté
et l’égalité des citoyens.
On imagine les ministres chargés de réaliser cette œuvre
gigantesque plongés dans leurs dossiers, occupés à
débattre les problèmes législatifs, administratifs,
judiciaires, financiers, économiques... L’image qu’on nous en donne
est tout le contraire: harcelés par des visiteurs qui ne cherchent
qu’à se faire voir et forcés à longueur de journée
de s’expliquer avant même d’avoir agi.
La “transparence” que le nouveau sexennat a promise, c’est parfait,
mais ce n’est pas le robinet ouvert. Il y a un temps pour parler et il
y a un temps pour agir.
M. Hoss a formé ce qu’on appelle un Cabinet de travail par opposition
à un gouvernement politique ou de partis. Rien, absolument rien
ne devrait le distraire de sa tâche. Pour répondre aux questions
légitimes, il peut se doter d’un porte-parole et tenir les portes
des ministres closes.
Il est temps de se rendre compte du ridicule de ces images silencieuses
d’audiences où deux personnages, face à face, essaient de
se donner une contenance pendant que le cameraman opère.
***
Pour en revenir à Walid bey, disons qu’on se trouve devant un
cas exceptionnel.
Sa position politique est héritée d’un système
féodal et communautaire qu’il exploite à fond, sans se gêner
pour donner des leçons de liberté démocratique au
reste du pays. Sous prétexte que le régime politique libanais
demeure fondé sur un certain équilibre confessionnel, il
s’identifie à sa communauté de telle manière que quiconque
le contredit peut être accusé de vouloir léser cette
communauté. Mais il ne se prive pas de chercher querelle à
tout le monde.
Personnage bizarre et imprévisible. Il change d’alliance et
de cibles sans avoir à s’expliquer. Il est au-dessus de toute explication
comme il est hors normes. Inclassable. |
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