POUR L’OTAN, LA GUERRE À CONTRECŒUR

Les pays du Groupe de contact: Allemagne,     Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Russie, auront tout essayé, conférence-marathon de Rambouillet (6-23 février), conférence de Paris (15-19 mars) pour élaborer et faire signer un accord de paix sur le Kosovo. Leur stratégie nuancée a réussi à faire plier les Albanais du Kosovo qui ont mis en sourdine leurs exigences d’indépendance et fini par signer l’accord. Mais elle s’est heurtée à l’intransigeance serbe que les menaces de frappes aériennes de l’Otan ont laissé de marbre.

 

Pour défendre l’intégrité de son territoire, le président serbe Slobodan Milosevic semble prêt à affronter la guerre des tout-puissants conduits par les Etats-Unis, lesquels sont perçus comme les protecteurs des Albanais. Il considère le Kosovo comme le berceau de la civilisation serbe. Et s’il devait le perdre, ce serait par la guerre et dans l’honneur. Il rejette, désormais, non seulement le déploiement militaire de l’Otan, mais l’accord lui-même dans lequel il entrevoit un processus inéluctable d’indépendance. Une volonté de marchandage ne serait pas étrangère à son durcissement. Pourquoi la Republika Srpska, entité serbe de Bosnie-Herzégovine, ne serait-elle pas rattachée à la RFY, puisque c’est selon les ethnies que commencent à être tracées les frontières? Et puisqu’il y a partage en perspective, pourquoi la riche région de Vuctrim où se trouvent la plupart des monastères serbes ne serait-elle pas détachée du Kosovo pour constituer un canton serbe?
Toutes ces intentions sont prêtées au président serbe dont l’armée a déployé plus de 40.000 hommes au Kosovo et mené les plus féroces offensives depuis un an. Du jamais vu, peut-être dans cette province où les violences se sont propagées depuis la Drenica (centre du pays) vers le chef-lieu Pristina avec des maisons brûlées, des morts et des blessés ainsi qu’un exode massif de la population. Depuis le début de la dernière offensive, 26.000 Kosovars ont fui leurs villages en direction de la Macédoine (70.000 en un mois), un drame qui se déroule dans la neige, augurant d’une tragédie humaine sans précédent.
Pendant ce temps, l’émissaire américain Richard Holbrooke, architecte des accords de Dayton en novembre 1995 et du cessez-le-feu en octobre 1998, est revenu à Belgrade pour une mission de la “dernière chance” après en être reparti bredouille, tout récemment, à la suite de huit heures d’entretiens infructueux. Déjà quatre heures d’entretiens qui n’ont servi à rien, suivis d’intenses pourparlers afin d’éviter le pire: les bombardements de l’Otan.
Réuni à Bruxelles, le Conseil permanent de l’Otan a décidé d’étendre la délégation de pouvoirs de Javier Solana, afin qu’il soit en mesure d’engager de vastes bombardements aériens en Yougoslavie, des frappes non seulement sur la redoutable défense antiaérienne mais, aussi, sur l’ensemble des forces armées serbes. 400 bombardiers et avions de combat qui se trouvent en Méditerranée attendent l’ordre d’attaque. Les tirs de missiles Tomahawk à partir des navires en mer, seraient suivis par les opérations des chasseurs bombardiers.
 

Aux quartiers généraux de l’Otan à Bruxelles,
ultimes préparatifs. Au centre, Javier Solana, secrétaire 
général de l’Alliance atlantique, encadré du général 
Wesley Clark, commandant suprême en Europe 
et de Richard Holbrooke.

Holbrooke reçu par Milosevic 
avec Christopher Hill

L’Otan risque sa crédibilité. Ayant agité la menace d’intervention depuis l’automne dernier et peaufiné sa stratégie, elle ne pourrait pas plier devant le refus de Milosevic (il a déjà provoqué, en l’espace d’un an, l’évacuation de Belgrade du personnel diplomatique non-essentiel des puissances occidentales) qui reçoit le soutien entier de la population. Celle-ci, contrairement à la panique qui l’a gagnée en octobre dernier, attend dans le calme, la suite des événements, habituée déjà aux menaces, aux sanctions et davantage sensibilisée aux difficultés économiques de la vie quotidienne.
Si en Europe, l’unanimité semble faite autour de l’intervention de l’Otan, les dissensions se font jour aux Etats-Unis où une bonne frange du Congrès demeure sceptique quant à l’opportunité de cette intervention. Le président Clinton qui a reçu plusieurs jours d’affilée des personnalités du Congrès, a tenté de lever leurs réserves en leur indiquant qu’“il y a une forte unité parmi les Alliés de l’Otan et qu’on ne doit pas laisser se poursuivre en toute impunité l’attitude de Milosevic”. Mais “que se passerait-il si on n’obtenait rien avec les bombardements?”, s’est interrogée une sénateur républicaine relayée par le représentant du Texas qui déplore les massacres autant que le génocide et observe que “bombarder des pays souverains pour des raisons confuses et avec des objectifs flous ne peut que diminuer le prestige des Etats-Unis dans le monde”. L’engagement en Bosnie a déjà coûté 10 milliards de dollars au contribuable américain; celui du Kosovo risque d’être encore plus onéreux, peut-être une réédition du Vietnam. Ensuite, comment parler de génocide au Kosovo et fermer les yeux sur la tragédie des Kurdes et même celle de Sierra Leone où des victimes tombent chaque mois en nombre égal à celui d’un an au Kosovo? Henry Kissinger estime, pour sa part, que le Kosovo “ne menace pas plus les Etats-Unis que Haïti ne menace l’Europe.”
 

Primakov, en route pour les USA, a fait demi-tour 
et est rentré à Moscou après la décision de l’OTAN 
de frapper les cibles militaires en Yougoslavie.

Les 1380 observateurs de l’OSCE 
déployés au Kosovo ont plié bagage.

 
Mais les dés sont jetés. Ce n’est plus la crédibilité des Etats-Unis, de l’Europe, de l’Alliance atlantique qui est en jeu, mais tout l’équilibre des Balkans où les frontières tracées par les intérêts des grandes puissances ne sont jamais heureuses.

par EVELYN MASSOUD


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