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UN PARALLÈLE EXEMPLAIRE

Pendant de longues années, les Finances de l’Etat ont été incarnées par M. Sanioura, qui n’était que la doublure de M. Hariri. Aujourd’hui, c’est M. Georges Corm qui est en charge de cet important département. La succession qu’il assume, on nous l’explique tous les jours, est très lourde. L’Etat est très gravement endetté et des doutes pèsent sur la gestion des deniers publics des dernières années.
M. Sanioura avait été très critiqué au parlement chaque fois qu’il prenait la parole et sa cote dans l’opinion publique était au plus bas. A tort ou à raison, il avait fini par personnifier le poids des impôts indirects, l’augmentation continue du prix des services publics, en un mot: la cherté de la vie.
Les arguments de M. Sanioura pour se justifier et se défendre étaient mal reçus. Il n’arrivait jamais à convaincre. Curieusement, cet homme que ceux qui le connaissent bien jugent compétent, sincère et dévoué à la chose publique, ne réussissait pas à inspirer confiance. Le métier d’homme politique est ainsi souvent ingrat, comme l’est aussi parfois le visage.
Maintenant que, pour redresser une situation financière catastrophique, M. Corm a tout l’air de reprendre quand même certaines des idées de M. Sanioura comme, par exemple, les privatisations et de nouveaux impôts, il est mieux écouté et on dirait que le public lui fait confiance. Tout respect gardé, il a une bonne bouille, comme on dit familièrement.
Mais encore?... On l’écoute mieux apparemment pour deux raisons. La première: il sait présenter ses projets dans le cadre d’un programme à longue échéance (cinq ans), d’une réforme de la fiscalité et de la gestion budgétaire avec une idée directrice de justice sociale, souci tout à fait étranger au petit monde de M. Hariri, thuriféraire d’un capitalisme pur et dur.
Seconde raison: il apparaît comme un expert dans son domaine, sans lien politique avec des hommes d’affaires dont la seule évocation du nom suscite la méfiance et l’inquiétude. On peut penser qu’il n’a en tête que le service national. Il n’a pas d’autre couverture que sa bonne volonté et sa compétence.
Se trompera-t-il dans ses prévisions, dans l’élaboration et dans l’exécution de son programme? C’est un autre problème qu’on pourra examiner le moment venu. Pour l’heure, ce qu’on veut noter ici, c’est l’importance (et les conditions) du facteur confiance. S’agissant d’argent, c’est cela l’essentiel.
Et c’est peut-être cela que M. Sanioura n’était pas en situation de bien évaluer. Il s’est appuyé trop visiblement sur la seule popularité de M. Hariri, laquelle tenait moins à sa qualité de gestionnaire des finances publiques qu’à celle de gestionnaire de sa fortune personnelle, ce qui n’est évidemment pas du tout la même chose.

***

Question de confiance donc. 
Ce constat fait à propos de M. Corm vaut, sans doute, pour la majorité des membres du gouvernement.
On ne met pas en doute, ni leur compétence, ni leur expérience, ni leur désintéressement. Et leur fortune personnelle (on ne sait d’ailleurs pas lequel d’entre eux en possède une) ne joue aucun rôle ni dans leur accession au pouvoir, ni dans leur manière d’affronter les problèmes de l’Etat, ni dans leurs rapports avec les autres. L’arrogance leur est étrangère.
On leur reproche déjà certaines maladresses et des lenteurs. C’est important, mais ce n’est pas là l’essentiel. L’essentiel est qu’ils ne perdent jamais de vue l’objectif pour lequel ce gouvernement a été constitué comme il l’a été: la réforme en profondeur du fonctionnement de l’Etat et la modification de l’attitude du citoyen ordinaire, comme du fonctionnaire à l’égard de la loi.
Au-delà de ce qu’on appelle “l’épuration de l’administration”, il s’agirait, en somme, de l’assainissement des mœurs. L’égalité devant la loi et le respect des règlements ne font pas partie des habitudes des Libanais. Cela ne veut pas dire qu’ils y sont imperméables. Tout le monde a eu l’occasion de le constater: quand un Libanais se trouve à l’étranger, généralement, dans un pays d’Europe ou d’Amérique du Nord, par exemple, il est sans difficulté respectueux des lois et des règlements. Il sait très bien que, là, il ne peut pas échapper à la sanction en cas d’infraction.
Pourra-t-on jamais arriver à créer, ici, le même état d’esprit?
Le Libanais, si vous l’interrogez, dira qu’il n’aspire qu’à cela: le règne de la loi. Mais dès qu’il a un problème, il aura tendance à choisir la solution qui lui permettrait d’arriver à ses fins en contournant cette loi.
Car si l’Etat, sa loi et ses agents n’inspirent pas suffisamment confiance, faute de compétence, de rectitude, de célérité, on cherche naturellement à se dispenser de les respecter.
Pour sortir de ce cercle vicieux, il faudra un effort de rééducation pour de longues années. Mais il faut bien commencer un jour.

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