Editorial


Par MELHEM KARAM 

LA SOLUTION EST DANS LE RETOUR À RAMBOUILLET 3
LE “FUHRER DES BALKANS... ET LE PIÈGE”!
Le monde entier vibre avec le peuple du Kosovo qui s’expose depuis neuf ans à des opérations de purification ethnique, avec ce qui s’ensuit comme exode, arrachement et massacres collectifs, la toute dernière ayant été l’attaque de la ville de Rejac où quarante Albanais sans défense sont tombés martyrs.
Les autorités serbes ont interdit aux contrôleurs internationaux déployés dans la région, d’entreprendre des investigations pour tirer au clair ce carnage. Depuis le temps du général Mikaelovitch et du maréchal Joseph Broz Tito, les Serbes sont connus pour leur fanatisme au nationalisme serbe et leur refus de toute autre ethnie et nationalité.
Surnommé le “Fuhrer des Balkans”, Slobodan Milosevic a interdit toute opposition sérieuse à Belgrade et l’a paralysée par la répression, le complot et les renseignements. Cependant, il importe de signaler que la politique américaine aux Balkans ayant incité les Etats européens à intervenir militairement - certains contre leur gré, dont la France, l’Italie et la Grèce - porte en elle-même une dualité flagrante et des antagonismes.
C’est que les opérations aériennes depuis soixante ans, soit depuis le bombardement allemand durant la Seconde Guerre; puis, le bombardement américain au Vietnam; soviétique en Afghanistan, la guerre du Golfe et les raids sur l’Irak, tous ont prouvé que la guerre aérienne ne change pas beaucoup les données politiques sur le terrain. Tous ces gouvernants ont survécu et n’ont pas été renversés par les bombardements.
Maintes fois, le président Bill Clinton a annoncé qu’il refusait d’engager un militaire sur terre au Kosovo, s’en tenant à la guerre aux jumelles au moyen des boutons électroniques. Et ce, de peur que les femmes, les mères et les sœurs manifestent en scandant: “Ramenez-nous nos enfants.”
Car les Américains souffrent encore du complexe du Vietnam et des opérations aériennes que les experts appellent demi-guerre ne pouvant déboucher sur la victoire. Les Serbes ont abattu, dans la nuit du 27 au 28 mars, le premier appareil furtif américain du type “F-117”, surnommé l’avion-fantôme (son prix est de 50 millions de dollars) et les premiers relevés effectués au cours des dernières heures ont montré qu’après le pilonnage dans le cadre de la première phase de l’opération de la “force déterminée”, la proportion des dégâts subis par l’infrastructure militaire serbe n’a pas excédé vingt pour cent (les pré-visions les estimaient à soixante pour cent). Et que le commandement militaire à Belgrade a eu recours au même scénario irakien dans la dissimulation et la répartition organisée des défenses anti-aériennes dans les quartiers non visés par les frappes aériennes, notamment près des faubourgs de la capitale yougoslave.
Au niveau politique, les raids ont contribué à consolider la cohésion entre Slobodan Milosevic et la rue serbe.
Le commandement américain, selon les politiciens spécialisés dans le recours à l’option militaire, a agi précipitamment, car les objectifs fixés sur le papier depuis six mois par l’état-major de l’OTAN, se sont avérés éloignés des objectifs définis sur le terrain. Il a été dit que les renseignements russes, à travers leurs agents dans les couloirs de l’OTAN, ont communiqué aux Serbes des indications minutieuses sur les plans atlantiques et la carte des cibles à détruire. C’est pourquoi, les planificateurs de l’OTAN ont renoncé à achever la première phase de l’opération et à passer à la seconde phase, celle-ci visant à frapper les casernes, les complexes militaires et les bataillons de l’armée serbe d’une faible altitude. Ceci inquiète les pilotes, car dans ce cas leurs appareils s’exposent aux défenses antiaériennes et deviennent une cible facile à atteindre.
Ces développements indiquent que l’opération de l’OTAN en Yougoslavie est ambiguë, dans son ordre opérationnel, ses phases militaires et ses objectifs politiques. Les experts affirment que, si le président Clinton persistait à s’opposer à l’envoi de forces terrestres, avec ce que cela comporte en pertes en hommes, cela provoquerait la plus grande catastrophe humaine; les Albanais de la province en paieraient le prix, parce que les Serbes se vengeraient d’eux spontanément.
Il est certain jusqu’à cet instant, que les Américains ne sont nullement disposés à sacrifier aucun de leurs soldats au Kosovo, zone propice à la guérilla et non à la guerre des armées régulières. Les frappes aériennes seules ne sont pas efficaces dans une région à découvert, comme c’est le cas en Irak; elles ne suffisent pas à trancher le conflit dans l’intérêt de la population de la province.
Il ressort de tout cela que le nouveau concept dans les Etats démocratiques évolués interdit aux hommes politiques de sacrifier leurs soldats, l’esprit combatif dans le monde démocratique étant devenu quasi-inexistant. Le substitut est le recours aux techniques électroniques. Les Etats prospères envoient, aujourd’hui, leurs citoyens en tant que touristes à l’étranger, non en tant que combattants.
De même, l’éveil populaire dans ces démocraties occidentales interdit aux gouvernants d’envoyer facilement les soldats à la guerre. Ainsi, la précipitation américaine a-t-elle ouvert une brèche dans une région enflammée par le conflit des nationalismes, des identités culturelles, des ethnies et des religions depuis le XIIIème siècle.
De même, la politique américaine qui pactise avec le peuple allemand, n’a pas réalisé rapidement le succès attendu, pour ne pas dire qu’elle a échoué. Les observateurs attribuent cela à ce que l’administration américaine adopte encore les deux poids et deux critères ou mesures.
Quant à la cause de l’échec direct, il impose une observation: la direction américaine qui supervisionne l’opération est toute composée de juifs: Madeleine Albright, Richard Halbrook, l’adjoint d’Albright pour les affaires des Balkans, artisan de l’accord de Dayton ayant réussi en Bosnie en 1995. Mais il a fait échouer la conférence de Rambouillet qui s’est tenue il y a un mois et une semaine en France. (La cause des divergences est que les Américains se sont attachés à la demande relative au déploiement de 28.000 soldats de l’OTAN pour superviser l’application de l’accord sur l’autonomie. Les Albanais ont donné leur accord, alors que les Serbes se sont opposés au déploiement militaire).
Richard Hill, représentant de l’Amérique au sein du groupe de contact, porteur du dossier des Balkans; Martin Indyck, adjoint d’Albright au Proche-Orient et dans le Golfe; Dennis Ross, coordonnateur des négociations de paix palestino-israéliennes; William Cohen, secrétaire à la Défense et Sandy Berger, conseiller pour la sécurité nationale, sont juifs.
Tous font grief à l’Amérique d’avoir entrepris, hâtivement, les opérations militaires, ce qui a donné des résultats contraires aux prévisions: elle a rendu le sujet plus complexe, accru le nombre des sinistrés et aggravé le drame.
A présent, il est demandé de retourner à la table des négociations, c’est-à-dire à Rambouillet 3, à condition que chacune des deux parties obtienne le minimum de ses revendications: le régime d’autonomie pour les Albanais dans le cadre de la souveraineté yougoslave, l’insistance à accorder l’indépendance au Kosovo, en l’arrachant à la Yougoslavie comme l’exigent nombre d’observateurs.
Tout cela constitue un précédent dangereux dans la région, tout en ouvrant la voie à des requêtes illimitées. Les Kurdes réclament un Etat indépendant en Turquie et l’opposition formule la même demande au sud du Soudan. Les Kurdes réclament, également, un Etat indépendant au nord de l’Irak et les dissidents veulent créer un Etat indépendant au Costarica; ainsi que les Basques espagnols. En Belgique, les Wallons et les Flamands veulent un Etat indépendant. L’Irlande, placée sous le protectorat du Royaume-Uni demande à se séparer de la couronne britannique.

***

Les Américains veulent-ils balkaniser l’Europe, comme certains se le demandent, conséquemment à une détermination prise à l’avance? Ou bien la tentative n’est-elle pas délibérée et résulte d’un comportement erroné ou d’une évaluation imprécise de la situation?

P.S.: Une coquille s’est glissée dans l’éditorial de notre dernière livraison. A la première ligne, il fallait lire: “La corruption (et non l’homme) est devenue un récit et un style”. Nous nous excusons de cette erreur auprès de nos lecteurs qui l’auront rectifiée d’eux-mêmes.

Photo Melhem Karam

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