DOUTANT DU SÉRIEUX DU POUVOIR DANS SA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

MOHAMED H. FADLALLAH:

“LES GRANDS DOSSIERS NE SERONT PAS OUVERTS, CAR LES AUTRES NE LE PERMETTRONT PAS”


Il est connu pour son franc-parler et son opinion claire ne tenant pas compte des tabous que beaucoup d’hommes politiques et de religion s’interdisent de dépasser. Sayed Mohamed Hussein Fadlallah émet des réflexions judicieuses portant sur les questions d’actualité au triple plan local, arabe et international: les relations libano-iraniennes, l’embargo imposé à l’Irak et à l’Iran, la visite du président Khatami à Rome et au Souverain Pontife, le fait pour les Etats arabes de ne pas coopérer pour atténuer le blocus dont pâtit le peuple irakien depuis une dizaine d’années, etc...
Mais “sa” révélation la plus surprenante est celle où il assure: “les S.R. américains protègent le régime de Bagdad et l’empêchent de tomber.”

• L’IRAN EXIGE DE L’AMÉRIQUE DE LEVER L’EMBARGO
POUR NORMALISER SES RELATIONS AVEC ELLE

• LE CONFLIT ENTRE LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE ET L’EEAU AUTOUR
DES TROIS ÎLES NE SERA PAS RÉSOLU PROCHAINEMENT

•  LES S.R. AMÉRICAINS PROTÈGENT LE RÉGIME
DE BAGDAD ET EMPÊCHENT SA CHUTE

A la question: Comment évaluez-vous la visite du président iranien, Mohamed Khatami, à Rome et serait-elle le prélude à sa visite aux Etats-Unis?, il répond: “La révolution islamique ne voulait pas, du temps de l’ayatollah Khomeiny, s’isoler. Au contraire, elle voulait s’ouvrir sur l’univers, surtout sur l’Europe, parce qu’elle n’avait pas adopté une attitude hostile à Téhéran, bien qu’elle avait aidé, de temps à autre, l’agression irakienne contre le territoire iranien.
“Aussi, l’Iran a-t-il envisagé de raffermir ses relations avec le continent européen, en particulier avec l’Allemagne et la France: la première se distinguait par des rapports privilégiés avec Téhéran et la seconde a manifesté de la souplesse au double plan politique et économique, à tel point que Paris s’est rebellé contre la “loi d’Amato”, laquelle menace de sanctionner toute firme américaine qui s’aviserait de traiter avec la République islamique. De cette façon, la France a contribué à geler cette loi.
“Bien plus, l’Iran en dépit de bien des aléas, dont l’affaire de Salmane Rushdi et des incidents survenus en territoire allemand, a émis le désir de s’ouvrir aux produits européens, le marché iranien étant vital et important pour ces derniers. Puis, l’expérience et la technicité sont nécessaires pour l’industrie pétrolière iranienne.
“De ce fait, l’Europe a profité du blocus des USA sur l’Iran et la visite du président Khatami ouvre la voie à plus de coopération et d’échanges, d’autant que la personnalité du chef de l’Etat iranien a dissipé certaines réserves de la part des Européens.
“Par ailleurs, les Etats-Unis manifestent un complexe de supériorité à l’égard de la République islamique qui exige la levée de l’embargo exercé sur elle par Washington, notamment sur les dépôts bancaires de l’Iran, depuis la chute du chah. Téhéran attend donc de la capitale fédérale de favoriser le dégel que souhaitent les milieux d’affaires américains, car ils voudraient récupérer le marché iranien.
“Je crois que l’Amérique souscrira, à plus ou moins brève échéance aux conditions posées par l’Iran pour renouer avec lui. Car ce dernier a prouvé sa stabilité et sa capacité à déjouer tous les complots ourdis contre lui au cours des vingt dernières années.
- Comment voyez-vous l’avenir des relations entre l’Iran et les pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), surtout si le conflit autour des trois îles devait se perpétuer?
“Je pense que la région du Golfe cohabitera longtemps encore avec ce conflit, car nul ne peut lui trouver une solution dans un avenir prévisible. Dans le même temps, la conjoncture régionale et internationale ne favorise pas l’émergence d’une tension dans les relations entre la République islamique et les pays du CCG.
“Cependant et comme c’est souvent le cas, lorsque l’Amérique se retire d’une zone déterminée en n’importe quel point du globe, elle y maintient des “bombes à retardement” qu’elle fait exploser au moment opportun.
“A titre d’exemple, le conflit autour des trois îles remonte au temps du chah: pourquoi réclame-t-on, en ce moment précis, la restitution des îles Moussa, de la grande et de la petite Tomb? Tout simplement, parce qu’on veut maintenir la tension dans cette région, ne serait-ce que de l’ordre de vingt pour cent.
“Cette crise est donc appelée à durer pendant quelque temps, comme c’est le cas à Chypre. Aussi, doit-on s’attendre à ce qu’elle soit immobilisée, bien que l’Iran et l’EEAU aient la possibilité de la trancher par les voies pacifiques si on leur laisse la possibilité de le faire.”
- L’Iran tient-il à ces îles pour y empêcher l’installation de bases militaires qui lui seraient hostiles?
“Je ne le pense pas. En fait, la République islamique est persuadée que ces îles font partie intégrante de son territoire, ce que contestent certains nationalistes arabes. Un dialogue direct s’impose donc à ce propos sur la base d’études juridico-politico-historiques.”
- Peut-on s’attendre à un changement de discours de la part des Américains après la visite du président Khatami à Rome?
“Il va sans dire que le monde n’est pas une société de bienfaisance et se meut sur base des intérêts. Nous savons que l’économie influe sur la politique, non le contraire et l’Europe qui s’oriente vers l’unité monétaire à travers l’Euro, se préoccupe de renforcer ses positions économiques au Moyen-Orient.
“Cela apparaît dans la tendance des Européens à se rapprocher des Etats de la région, bien qu’en ce qui a trait au conflit israélo-arabe, l’Europe ne peut rien entreprendre que par le biais de l’Amérique. Ceci explique la politique française à l’égard de l’Irak.
“Dans le même temps, l’Iran se soucie de consolider ses rapports au Moyen-Orient et avec le continent asiatique dans son ensemble, c’est pourquoi, il renforcera ses relations avec l’Europe et l’Asie dans le domaine économique.”
- L’Irak s’expose à des frappes aériennes américano-britanniques, alors que le monde arabe se distingue par son apathie ou son indifférence à l’égard d’un Etat frère; jusqu’à quand cette situation se poursuivra-t-elle?
“Je n’imagine pas un monde arabe dans le sens politique réaliste, par rapport à ses causes chaudes. Certains responsables pourraient prétendre qu’il s’agit moins de l’Irak et de son peuple, que du régime de Bagdad, pour justifier leur inertie et entreprendre quelque opération visant à lever l’embargo dont pâtit le peuple irakien.
“Tout en déplorant le fait pour l’Irak d’avoir attaqué un Etat frère, nous pensons que les pays arabes auraient pu atténuer le blocus et exercer des pressions à l’effet de favoriser une solution réaliste de la crise. D’autant que trois membres permanents du Conseil de Sécurité: la France, la Russie et la Chine font montre de détermination en vue de pousser vers cette voie, davantage que le monde arabe.
“L’attitude des pays arabes étonne d’autant plus quand on sait que l’Amérique œuvre dans le cadre d’une stratégie ayant pour but de servir ses propres intérêts et ceux d’Israël. C’est pourquoi, nous affirmons que les “zones d’exclusion” en Irak où l’Amérique prétend opérer les frappes aériennes, sous prétexte de protéger les Kurdes et les chiites, ont plutôt pour objectif de soutenir le régime irakien contre toute action qu’entreprendrait l’opposition, contrairement à ce que laisse croire Washington.
“L’action menée par les Américains en territoire irakien ou aux frontières de l’Irak, ont pour but en fait d’affaiblir, financièrement, les pays du Golfe; de permettre aux USA de faire prédominer sa politique et de servir ses intérêts en même temps que ceux de l’Etat hébreu.”
- Vous attendez-vous à ce que les dossiers de tous les corrompus ou corrupteurs soient ouverts ou bien seulement ceux des éléments ne bénéficiant d’aucune protection?
“Ce que nous en entendons dire porte à penser que le processus enclenché est appelé à se perpétuer. Mais sommes-nous arrivés, au Liban, à une étape où il est possible d’appliquer la loi dans toute sa rigueur et de supprimer toutes les barrières entravant le processus de la réforme administrative et le cours de la Justice?”
- Vous ne paraissez pas optimiste quant à la prochaine étape?
“Je ne me montre ni optimiste, ni pessimiste. Je suis plutôt réaliste. Quoi qu’il en soit, le début de l’opération d’assainissement est prometteur; il reste à savoir si toutes les parties appuieront le nouveau régime ou lui mettront des bâtons dans les roues. La conjoncture régionale pourrait ne pas permettre l’ouverture des dossiers de la corruption d’une manière totale. Le Liban, nous ne le savons que trop, vit encore en période de convalescence au plan politique et ne supporte pas encore de fortes secousses.”

Propos recueillis par
NADIM ABOU-GHANEM

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