VICE-PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE

ELIE FERZLI:

“JE RÉCLAME UN CABINET COMPRENANT DES TÉNORS
DE LA POLITIQUE, PANACHÉ DE TÉNORS DE LA TECHNOCRATIE”


“Il manque au gouvernement actuel la capacité d’engager le dialogue avec toutes les forces politiques du pays”, déclare M. Elie Ferzli, vice-président de l’Assemblée nationale.
Mais il pense que le “Cabinet des 16” doit avoir la possibilité de faire passer le budget 99, “car la sécurité véritable du Liban réside dans un budget équilibré, sinon la situation intérieure en souffrira.”
Tout en soutenant à fond et sans réserve le régime du président Emile Lahoud, il avoue ne pas être favorable aux gouvernements qui ne compteraient pas des ténors de la politique, tout en étant panachés de ténors de la technocratie. Son principal grief à propos du Cabinet Hoss est que “ses membres manquent d’expérience politique”.

A la question: Comment justifiez-vous l’accalmie sur le front de la néo-opposition au plan politique et même médiatique, après la cabale déclenchée contre le Pouvoir?, il répond: “Le calme actuel est dû à deux causes: Primo, “l’obsession des fonds publics”, celle du budget. Secundo, la nécessité ressentie de donner au gouvernement le temps d’élaborer la loi de finances, en prévision de batailles que les opposants ne manqueraient pas de déclencher ultérieurement.”
- Qu’est-ce qui, à votre avis, retarde la mise au point du projet de budget?
“Le budget doit assurer deux faits: réduire le déficit et inscrire dans les prévisions budgétaires des crédits qui n’y figuraient pas jusqu’ici, tels ceux devant acquitter les fonds dus aux hôpitaux et couvrir l’échelle des traitements dans le secteur public. Or, pour réduire le déficit budgétaire, il faut trouver de nouvelles recettes et ce dernier point est, je crois, la cause du retard mis à en finir avec la loi de finances.”
- Il serait question, dit-on, d’instituer de nouveaux impôts et taxes ou même de relever le prix de l’essence...
“L’institution de nouveaux impôts et de surtaxes me paraît inévitable. Quant au relèvement du prix de l’essence, c’est une question qui est encore à l’étude. A ce sujet, il importe de savoir, avant tout, quelles seront les conséquences de la majoration du prix de l’essence et en quoi consiste le plan futuriste dont parlent les milieux officiels.
“Il faut, aussi, équilibrer le budget, car la sécurité du pays en dépend; la situation du pays en dépendra. A ma connaissance, le gouvernement soumettra à la Chambre des députés un plan englobant les impôts et taxes, de même qu’un projet de loi relatif à la privatisation dont l’exposé des motifs permettra aux membres de l’Assemblée de se prononcer en faveur ou contre le texte gouvernemental.”
- D’aucuns font état de divergences entre le chef du gouvernement et le ministre des Finances à propos du projet de budget. Est-ce exact?
“Je ne dispose pas de renseignements à ce sujet, mais on dit que le ministre des Finances recherche des solutions autres que celles préconisées par le président du Conseil et certains membres du Cabinet.
“De toute façon, les divergences de vues sont un signe de vitalité et de bonne santé.”
- D’après des sources informées, 45% des prévisions budgétaires seraient consacrées aux traitements, 45% au service de la dette publique et 10% seulement aux services; cette dernière proportion suffit-elle à assurer les besoins du pays, étant donné la situation économico-sociale qui laisse à désirer?
“Le pays a besoin de services, c’est vrai mais, en même temps, d’austérité. Nous nous trouvons devant l’alternative suivante: sortir de la crise financière ou y persister. L’austérité est nécessaire. “Pas de dépense sans recettes”, disait M. Fouad Sanioura. Sans austérité, il n’est pas possible de réduire le déficit budgétaire.”
- On parle beaucoup d’infractions qu’auraient commises les précédents Cabinets: l’Assemblée n’a-t-elle donc pas exercé son droit de contrôle sur la gestion gouvernementale et n’assume-t-elle pas la responsabilité d’un tel état de choses?
“Il ne suffit pas de dire qu’il y a eu infractions ou abus, mais de les confirmer en vertu d’un arrêt judiciaire. La Cour des comptes et le Conseil de la fonction publique auraient, dit-on, émis des avis contraires à celui du précédent gouvernement dont il n’a pas tenu compte. En ma qualité de vice-président de la Chambre, je ne peux accuser personne, car nul jusqu’ici ne m’a fourni des preuves corroborant ses accusations.
“J’ai vécu l’expérience relative à l’affaire des “Puma” remontant au mandat de l’ex-président Amine Gemayel qui y était impliqué. Mais l’enquête l’a disculpé et je n’ai relevé dans le dossier aucun fait confirmant l’accusation qui était portée contre l’ancien chef de l’Etat.
“Il faut, je crois, changer ce discours. Vous pourriez reprendre ce qu’avait dit un jour le président Rafic Hariri, à savoir que le tiers des ministres sont des voleurs, mais il s’agit de le prouver.”
- Quand le chef du gouvernement tenait de pareils propos, le Parquet n’aurait-il pas dû entrer en action?
“J’avais répété maintes fois que nous vivions dans une obsession résultant du rattachement de la parité de la monnaie au problème gouvernemental, mais l’Etat a dépassé ce stade et s’est débarrassé de cette obsession. Je crois que, dorénavant, le rôle de la Chambre des députés sur le plan du contrôle de l’Exécutif sera renforcé. Je souhaite que quiconque a commis des infractions ou est coupable d’abus soit châtié, mais on ne peut ni ne doit condamner qui que ce soit sans preuves.”
- On parle, aussi, de transactions et d’adjudications effectuées de gré à gré...
“Un ministre peut procéder à de telles adjudications, mais non à des transactions. Tout en ne niant pas de telles infractions, je ne dispose pas de faits corroborant les allégations de certains qui auraient des motifs personnels de poursuivre d’anciens responsables.”
- Le président Omar Karamé assure disposer à ce sujet des documents et des preuves...
“Cela ne suffit pas; qu’il présente ces documents et ces preuves à qui de droit, sinon il serait plus fautif que ceux qu’il accuse et serait coupable de recel d’informations.”
- Comment peut-on traiter les infractions et irrégularités commises?
“En transposant le Liban de la logique de l’Etat-ferme à celle de l’Etat des institutions, d’où le rôle du président Emile Lahoud qui a prêté le serment de préserver la Constitution et d’appliquer la loi envers et contre tous. J’espère qu’il parviendra à concrétiser le discours d’investiture; en ce faisant, il laissera ses empreintes et rendra un grand service au pays.”
- Croyez-vous que l’enquête sur l’affaire des résidus pétroliers sera menée jusqu’à son terme, le président Karamé émettant des doutes à ce sujet?
“On ne peut juger personne avant que la Justice rende son arrêt: comment peut-on condamner un prévenu avant que le tribunal se prononce sur son cas en connaissance de cause?”
- Le blâme est souvent adressé aux médias après que ces derniers aient été utilisés par les responsables dans toute  campagne à propos d’un dossier déterminé...
“Les hommes politiques supportent une lourde responsabilité en donnant une image fausse d’une affaire ou en amplifiant les informations la concernant. Il ne faut donc pas blâmer le citoyen s’il doute de tout, surtout lorsque les responsables lui donnent une image fausse de la situation.”
- Dans le discours politique, on condamne, aujourd’hui, la politique financière des précédents Cabinets, notamment en ce qui concerne l’endettement, ce qui fait ployer le pays sous un énorme déficit. Qu’auriez-vous à dire à ce sujet?
“Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas tenu, à ma connaissance, des propos contredisant d’une manière radicale ceux du gouvernement qui l’a précédé, sauf en ce qui a trait à l’arrêt du gaspillage. Hier, nous avons approuvé des prêts à la demande du Cabinet Hoss et les commissions se réuniront demain, pour donner leur accord à des demandes de prêts destinés à l’enseignement technique et professionnel.
“La réduction du déficit était l’un des objectifs du précédent Cabinet, avec cette différence qu’il ne s’était pas engagé à agir dans ce sens, invoquant des prétextes d’ordre politique. Le gouvernement actuel est donc tenu de passer à l’action.
“Puis, je ne vois pas de changement dans la politique financière, qu’il s’agisse de la privatisation ou d’autres domaines. Soyons réalistes et rappelons-nous ce qu’a déclaré le président Hoss à la télévision, à savoir que la politique financière est stable, la différence existant dans l’engagement à appliquer la politique proclamée. Les précédents Cabinets ne l’ont  pas fait; attendons de voir ce que fera le “Cabinet des 16”, car ce qui nous importe par-dessus tout, c’est l’intérêt supérieur de la nation.”
- Comment expliquez-vous le fait pour l’Assemblée de n’avoir pas exercé son contrôle sur l’Exécutif?
“En tant que député, je ne supporte pas la responsabilité pénale de crimes perpétrés par tel ou tel ministre. J’assume une responsabilité politique, pour n’avoir pas renversé les gouvernements qui se sont succédé au Sérail. Mais que voulez-vous, telle est la spécificité du pays depuis 1943...”
- Pensez-vous que le gouvernement a échoué dans la réforme administrative?
“Le choc qu’on attendait de la réforme actuelle s’est produit, mais il est prématuré de dire que l’opération a atteint ses objectifs. La réforme est permanente et ne s’achève pas par le licenciement d’un fonctionnaire ou la mutation d’un autre. Elle doit mettre un terme à la corruption et placer l’administration à l’abri de la politique. Bref, je pense que des erreurs ont été commises, mais le gouvernement n’a pas échoué dans sa tentative de réformer les institutions étatiques. Attendons les prochaines semaines pour voir ce qui se passera.”

• LA SÉCURITÉ DU LIBAN RÉSIDE DANS UN BUDGET ÉQUILIBRÉ,
  SINON LA SITUATION DU PAYS EN SOUFFRIRA

• LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE PENSE QUE LA PRIVATISATION
NE S’EFFECTUE PAS EN VERTU D’UNE LOI UNIQUE


- Certains leaders politiques et instances religieuses jugent que le “Cabinet des 16” pêche par “manque de représentation politique”. Qu’en pensez-vous?
“Il n’est pas recommandé de former des gouvernements au Liban dont la politique ne serait pas le cachet distinctif. Car l’Autorité chez nous est représentée par le Conseil des ministres réuni et les communautés nationales ne se considèrent pas représentées, si le Cabinet ne comprend pas les ténors de la politique; d’où le sentiment de prostration qu’elles ressentent.
“Ceci doit être pris en considération, sans croire que la présence de technocrates n’est pas nécessaire. Ces derniers devraient prendre en charge les départements en contact direct avec l’administration étatique.
“Ils n’ont jamais pu exercer le rôle politique requis dans le passé; ils ne le pourront pas à l’avenir. C’est mon point de vue et je ne fais pas allusion à l’actuel gouvernement, mais je parle de la question d’une manière générale et je réclame la formation d’un Cabinet comprenant des ténors de la politique et de la technocratie.
“Quoi qu’il en soit, je ferais tout mon possible pour soutenir ce gouvernement et lui assurer le succès. Je défie quiconque de dire qu’un climat propice aux tentatives de réforme au Liban, au triple niveau politique, parlementaire et populaire ait été assuré comme c’est le cas pour le Cabinet actuel.
“Je tiens à préciser ici que tous les bénéficiaires de l’administration durant le régime précédent étaient les symboles des grandes communautés, non les députés; je veux dire par là les “symboles de la troïka.”
- Est-il vrai que le Cabinet Hoss serait changé ou remanié après la ratification du projet de budget 99?
“Je ne peux me prononcer sur ce point, mais cela pourrait être logique, le vote du budget définissant des options économiques et financières claires pour la prochaine étape.”
- Prévoyez-vous le retour du président Hariri au Sérail dans un proche avenir?
“Si je répondais à votre question par l’affirmative, cela signifierait que j’ai retiré ma confiance au Cabinet Hoss. Toujours est-il que le retour de M. Hariri est toujours possible, comme c’est le cas des anciens chefs de gouvernement. Lorsque les circonstances auront mûri, il lui sera possible de revenir au pouvoir.”
- Comment expliquer votre récente rencontre avec Walid Joumblatt après avoir été reçu par le chef de l’Etat, d’autant que le directeur de la Sûreté générale a conféré avec le leader du PSP? Peut-on s’attendre à la reprise du dialogue entre Baabda et Moukhtara?
“Le dialogue avec une personnalité ayant la stature de Walid Joumblatt est naturel et l’étonnant est qu’il n’ait pas lieu; le plus tôt serait le mieux. C’est pourquoi je le souhaite. Naturellement j’y travaille et l’atmosphère est positive.”
- Est-elle positive dans les deux camps?
“Naturellement. Le président de la République est le père  de tous les Libanais et veut maintenir de bons rapports avec tout le monde; que serait-ce quand il s’agit d’un leader politique comme Walid bey qui réalise l’importance et l’utilité du dialogue politique qui dit: “Nous voulons l’élément capable de dialoguer, politiquement, au niveau de l’Etat?” D’où la nécessité d’engager le dialogue avec toutes les parties. Walid bey a déjà eu un entretien avec le général Jamil Sayed, directeur général de la Sûreté, mais cela ne suffit pas; il faut que le climat politique soit propice au dialogue.
“Je crois que ce dernier faisait défaut, non seulement avec M. Joumblatt, mais avec le parlement aussi. La cause réside, sans doute, dans le fait pour le Cabinet Hoss d’avoir été accaparé par des problèmes de toute nature requérant des solutions urgentes, ce qui ne lui a pas donné le temps de s’occuper d’autre chose. Puis, plusieurs  ministres manquent d’expérience politique, mais cela viendra petit à petit. Nous dirons, alors, aux responsables: il vaut mieux, à présent, passer à l’action.”
- Qu’auriez-vous à dire à propos de la réforme électorale, l’une des questions qui obsèdent Walid Joumblatt?
“Jusqu’à présent, cette question n’a pas été tranchée et est encore à l’étude. M. Joumblatt a un point de vue et d’autres ont le leur. Actuellement, ce sujet est débattu dans les cercles politiques et sur les pages des journaux. Lorsque le projet de loi y relatif sera communiqué à la Chambre et le débat institué à l’échelle nationale, j’émettrai mon avis à son sujet.”
- Pour quelle circonscription va votre préférence?
“Je préfère la petite circonscription, mais la formule préconisant l’élection à un double échelon: le caza; puis, le mohafazat mérite d’être examinée.”
 

Propos recueillis par
HODA CHEDID

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