“FORCE ALLIÉE” DANS LA POUDRIÈRE DES BALKANS

FAUT-IL MOURIR POUR LE KOSOVO?


Tous meurent pour la patrie. Les Serbes pour une patrie qu’on leur arrache. Les Albanais pour une patrie qu’on leur promet. Insidieusement, les forces de l’Alliance atlantique jouent un scénario macabre qui, au nom du droit, les transforme en une armée de l’UCK et les enfonce dans la poudrière des Balkans pour noircir les pages les plus sombres depuis la Seconde Guerre mondiale.
 
SOUS-PRESSE


A l’heure où nous bouclons, 
nous apprenons que l’OTAN confirme 
la capture des trois soldats 
américains par les forces serbes. 
La bande transmise aux médias 
ne disposait pas de son, mais de
commentaire de la télévision serbe.


  Une base aérienne à 20 km de Belgrade 
touchée par les bombardements.


 C’est un avion furtif F-117 qui s’est 
écrasé au nord de la Yougoslavie.

La guerre montée par l’Otan sans l’aval des Nations Unies, a commencé pour éviter une catastrophe humanitaire et contraindre Slobodan Milosevic à signer l’accord de paix sur un statut d’“autonomie substantielle” au Kosovo. Intervenu à trois reprises en vingt-quatre heures, au début des raids aériens de l’Otan afin de “vendre  son action” à l’opinion publique américaine, le président Clinton a usé de plusieurs registres, répétant que “si le président Milosevic  ne veut pas faire la paix, nous limiterons sa capacité à faire la guerre  (…) Je veux dire encore que notre but est d’arrêter une catastrophe humanitaire”. S’adressant directement au peuple serbe relayé par Madeleine Albright qui a tenu un discours en serbo-croate, il a voulu le rassurer: “Je ne dirai jamais assez que je respecte le peuple serbe, que nous respectons son histoire et sa culture.” Tenant pratiquement le même discours, le président Chirac a estimé que “cette action était nécessaire. Le choix n’était pas entre la paix et les frappes aériennes, mais entre les frappes maintenant et une guerre plus lourde plus tard, plus globale et sans doute plus meurtrière (…) L’accord est sur la table, le président Milosevic peut interrompre ces frappes. D’autant qu’il s’agit d’un accord qui respecte pleinement l’intégrité de la Serbie et la stabilité des Balkans”. Et Lionel Jospin d’ajouter:
 
 

Après sa réunion avec Primakov, Milosevic 
semblait prêt  à réduire les forces serbes au Kosovo, 
si l’OTAN arrêtait les attaques.

A Bruxelles, conférence 
de presse conjointe de Javier 
Solana et d’Emma Bonino. 

“L’irrationalité du régime de Milosevic ne nous a pas laissé d’autre choix”.
Un choix dont le but déclaré a conduit à des résultats inverses à ceux escomptés, entraînant un durcissement de la répression serbe qui a déployé 40.000 soldats au Kosovo, provoquant “au cours de ces derniers jours”, selon le porte-parole de l’Otan, l’exode de plus de 100.000 personnes “chassées de chez elles”, devant choisir entre la mort et le départ, laissant leurs morts, leurs habitations incendiées, pillées et parcourant des dizaines de kilomètres à pied pour atteindre les pays limitrophes: l’Albanie, le Monténégro, la Macédoine. Tragédie devant laquelle l’Otan demeure impuissant. Le général Wesley Clark, commandant suprême des forces alliées en Europe, reconnaît que l’Otan n’a “aucun moyen d’empêcher des tueries”! “Il s’agit d’un  commencement de “génocide”, indique le ministre allemand de la Défense Rudolph Sharping dont le pays participe pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale à un conflit armé. A la suite de cette nouvelle “épuration ethnique”, l’émotion a été vive au niveau de l’opinion publique et de la presse européenne qui annonce l’échec programmé de l’intervention, évoque un nouveau Saint-Barthélémy et estime que “l’Otan s’est trompé de stratégie” dans “le pire des scénarios”.
 
 
LE PATRIMOINE SERBE AU KOSOVO
Les Serbes sont viscéralement attachés au Kosovo parce qu’il représente pour eux le berceau de leur civilisation. Y sont conservés 1.300 monuments et vestiges de monuments médiévaux dont certains sont considérées comme des lieux saints orthodoxes. On retrouve à Decani, aux frontières avec l’Albanie, un monastère datant de 1327 et qui abrite plus de mille peintures murales, considérés comme les plus riches de tout le paysage byzantin. A Pec, capitale religieuse de la province, il existe un ensemble de chapelles et d’églises dont certains éléments datent du XIIIème siècle. A Milaseva est conservé un calice, offert en 1558 par Ivan le Terrible.
LA GRANDE ALBANIE, UN MYTHE?
Pour les sept millions d’Albanais répartis entre l’Albanie, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine, la Bulgarie, la Grèce, le rêve d’une Grande Albanie est persistant. Le Congrès de Berlin en 1878 qui avait commencé à répartir les dépouilles de l’empire ottoman avait oublié les Albanais dont la moitié furent regroupés dans un Etat créé en 1912. La Grande Albanie n’a existé que de 1941 à 1944 sous l’occupation italo-allemande. Au cours de cette période, en vertu de la déclaration de Bujan (1943-1944), des intellectuels albanais du Kosovo s’étaient promis de rattacher au lendemain de la libération, les territoires albanais du Kosovo à l’Albanie. Tito a ignoré cette déclaration et conservé le Kosovo qui serait devenu la 7ème République d’Albanie, n’était sa rupture en 1848 avec la Russie soviétique. Lors de l’éclatement de la Yougoslabie en 1991-1992, les Albanais du Kosovo ont manqué leur indépendance qu’ils continuent de réclamer bien qu’ils aient accepté, à contrecœur, le statut d’“autonomie substantielle” que leur accorde l’accord de Paris rejeté par la RFY.
LE DISPOSITIF DE L’US AIR FORCE
William Cohen, secrétaire américain à la Défense, a décidé le déploiement de trois appareils supplémentaires de guerre électronique, EA-6B Powler dans les opérations au Kosovo. L’entrée en ligne de ces avions spécialisés dans la neutralisation électromagnétique des batteries antiaériennes ennemies, confirme la puissance des sites de missiles yougoslaves qui constituent une menace sérieusement envisagée par l’Otan. Ces systèmes de missiles lourds sont complétés par de nombreux systèmes portables à guidage infrarouge (SAM-166 et -18).  Outre les trois EA-6B Powler, quatre avions de ravitaillement en vol KC-135 rejoindront également le dispositif aérien américain. Fort de quelque 200 appareils, celui-ci s’articule principalement autour de la 16th & Space Expeditionary Task Force déployée sur la base italienne d’Aviano. Elle comprend les 16th et 31st Air expeditionary Wing (AEW) et la 100th Expeditionary Air Refueling Wing. La 16th AEWet en œuvre des B-52 armés de missiles de croisière, des avions de reconnaissance U-2, des chasseurs multirôles F-15C/E et des ravitailleurs en vol KC-135. La 31st AEW dispose de chasseurs multirôles F-16 CJ/CG, d’avions d’appui-feu (close air support) et de contrôle aérien avancé O/A-10, d’appareils furtifs F-117, d’avions de guerre électronique EC-13OH, et de commandement et de contrôle EC-130E ainsi que des ravitailleurs KC-135 et KC-10. Quant à la 100th EARW, elle asssure des missions de soutien avec ses avions de reconnaissance RC-135 et de ravitaillement KC-135.

Le doute s’installe car les raids aériens qui ont indiqué leurs limites dans la guerre du Golfe ne sont efficaces que soutenus par un déploiement au sol, réclamé à cor et à cris par les Albanais et rejeté par les capitales occidentales. “Personne ne peut savoir comment le conflit va évoluer”, observe Laurent Fabius, tandis que Lionel Jospin précise que “nous avons bien l’intention de ne pas nous laisser entraîner là où nous ne voulons pas arriver”. “Le Kosovo, avait averti Zbigniew Brzenski, conseiller politique de Jimmy Carter, ce sera difficile, ce sera long, ce sera douloureux”. Tandis que le général Glosson, l’un des stratèges de la guerre du Golfe, a estimé qu’il “faudrait au moins trois semaines de bombardements pour infliger un coup sévère et durable à l’armée yougoslave”.


Deux Mig de cette armée avaient eu l’audace de pénétrer dans l’espace aérien de la Bosnie, et ont été abattus par des chasseurs américains F-15C, ce qui a été considéré comme un “défi sérieux” par le Pentagone. Celui-ci a été moins loquace lorsque la DCA yougoslave a abattu dans la nuit de samedi un chasseur bombardier furtif F-117 dans le nord du pays près du village de Budjanovic. Cet avion qui avait effectué 1300 sorties lors de la guerre du Golfe était abattu pour la première fois. Il fait partie de la nouvelle génération d’avions furtifs conçus pour échapper à la détection des radars. Surnommé “l’invisible”, il rappelle, par ses formes lugubres et sa couleur noire, la chauve-souris. Le porte-parole du Pentagone Kenneth Bacon, peu loquace, a indiqué que “nous ne savons pas ce qui a causé sa chute. Il est prématuré de formuler un jugement (…) Je pense que nous sommes satisfaits de la façon dont l’opération se déroule et du volume des informations”. Devant l’impatience des journalistes qui cherchent à en savoir plus, le général Henry Shelton avait expliqué au début de l’opération “Force Alliée” ou “Force déterminée”: “Comme toujours, nous répugnons à fournir toute information de caractère tactique ou opérationnelle qui pourrait accroître l’efficacité de nos adversaires ou compromettre les capacités des forces de l’Otan à mener leur mission”. Justification qui laisse sceptique Ivan Eland, directeur d’un centre d’analyses à Washington (CATO), qui estime que “lorsqu’ils peuvent crier victoire, il le font. Je les soupçonne d’éprouver davantage de difficultés que prévu à se débarrasser de la défense antiaérienne serbe”.
Effectivement, alors que les forces de l’Otan sont entrées dans la phase 2 de leur intervention visant la “destruction de toutes les forces serbes” (tanks, artillerie, armes lourdes, transports, centres mobiles de commandement), elles n’ont pas achevé la phase 1 qui visait, selon le général Wesley Clark, à éliminer, selon une “approche graduée” la défense antiaérienne serbe.
Conduite par treize pays de l’Alliance atlantique, “Force alliée” commence à présenter des félures. La Grèce qui n’y participe pas, en solidarité avec ses frères orthodoxes dont elle est particulièrement proche, appelle à la cessation des hostilités et au retour de la négociation. L’Italie, par la voix de Massimo d’Alema, souhaite la fin proche de l’opération, tandis que l’équipe gouvernementale se voit menacée par le départ de ses ministres communistes. La France, à son tour, souhaite une solution pacifique. C’est dans ce sens que le président Chirac est entré en contact avec Primakov.
La Russie multiplie les initiatives et les déclarations. Après les  “mesures extrêmes” annoncées par le président Eltsine, revenu au devant de la scène à la faveur de l’opération de l’Otan, sa demande de convocation urgente du Conseil de sécurité pour l’arrêt immédiat des hostilités soutenue par la Chine et qui est restée inopérante, elle s’est radoucie en accordant, pour un temps, la priorité à ses problèmes économiques que Michel Camdessus, directeur du Fonds monétaire international est venu traiter sur place en débloquant des crédits. Mais la Douma dominée par les communistes s’est réunie autour de Primakov et a voté le report du traité de non-prolifération nucléaire, dénonçant l’agression contre le pays slave frère. Le peuple quant à lui est continuellement mobilisé. Des volontaires s’inscrivent comme volontaires dans les registres des partis pour aller combattre en Serbie. Tandis qu’une mobilisation quasi quotidienne dans les rues de Moscou dénonce l’agression, notamment devant l’ambassade américaine. Ne baissant pas les bras, avant de prononcer mardi un important discours, le président russe a dépêché à Belgrade son Premier ministre Evgueni Primakov porteur de propositions concrètes, suivi des ministres des Affaires étrangères et de la Défense.
Des manifestations tournant parfois à l’émeute ont gagné les grandes villes et capitales. De Paris à New Delhi en passant par Skopje en Macédoine (pays vulnérable qui compte deux millions d’habitants dont 30% d’Albanais qui a obtenu son indépendance en 1991 et qui se trouve aujourd’hui sous la protection de l’Otan), Athènes, Rome, Toronto, New York, Washington. Ici et là, l’opinion publique commence à fléchir. Aux Etats-Unis où la cote de popularité de Clinton a perdu quelques points, 43% des Américains sont favorables aux bombardements contre 40% qui y sont défavorables. Tous rejettent un déploiement au sol de leurs “boys” dont 58.000 n’étaient pas rentrés chez eux il y a quinze ans lors de la guerre du Vietnam. Au syndrome vietnamien était venu s’ajouter, avec une acuité toute relative, le syndrome irakien et l’horrible souvenir des 50 Marines terrassés à Mogadiscio en Somalie. Une guerre, pourquoi faire? Les Français la désapprouvent à 48% tandis que 65% d’entre eux craignent l’extension du conflit.
 
LE DISPOSITIF DE L’ARMÉE DE L’AIR FRANÇAISE
L’armée de l’air de l’opération “Trident” de frappes contre les positions yougoslaves comprend huit Mirages 2000 C/B de défense aérienne, quatre 2000-D spécialisés dans l’attaque au sol et un Transall Gabriel de guerre électronique qui sont déjà en alerte pour participer au dispositif allié aux côtés des Super-Etendard du porte-avions Foch. Des Jaguar, actuellement assignés à l’opération “Salamandre” au-dessus de l’ex-Yougoslavie pourraient se joindre à l’opération. Le “black-out” total observé par l’état-major sur le dispositif Resco (recherche et sauvetage en zone non-contrôlée) témoigne de l’importance que représentent ces unités spécialisées face aux risques que constitue l’arsenal antiaérien yougoslave.
SLOBODAN MILOSEVIC: FICHE D’IDENTITÉ
Né: le 29 août 1941 à Pozarevac en Serbie d’un père prêtre orthodoxe et d’une mère enseignante.
Religion: serbe orthodoxe.
Etudes: droit à l’Université de Belgrade et diplôme en 1964.
Activités professionnelles: 1968-78, directeur d’une compagnie d’extraction de gaz; 1978-82, membre du conseil de direction de la Beobank(United Bank de Belgrade).
Carrière politique: 1984, leader du Parti communiste à Belgrade; 1987, leader du Parti communiste serbe; 1989, élu président de la République serbe; 1997, élu président de la République fédérale de Yougoslavie.
Bureau: Boulevard Lenjina N° 2, Belgrade 11017, Yougoslavie.
Famille: épouse Mirjana Markovic, père d’un garçon et d’une fille.

A Belgrade (2,5 millions d’habitants sur un total de 11 millions que constitue la population yougoslave) où le gouvernement a décidé de consacrer “toutes ses ressources à la défense du pays”, on assimile tout simplement Clinton à un nouveau Hitler et l’offensive de l’Otan à l’expansionnisme nazi au cours de la Seconde Guerre mondiale. Dimanche dernier, à l’invitation de la municipalité de la capitale, 10.000 personnes ont participé à un concert de rock anti-Otan à la place de la République, espace où tous les jours ils étaient venus, au cours de l’hiver 1996-97, exprimer leur colère contre Milosevic, cet ancien apparatchik converti dans le nationalisme autour duquel ils ont soudé aujourd’hui leurs rangs. Ils ont gardé en mémoire la date du 28 juin 1389 où la défaite du Kosovo polje (champ des merles) face aux Ottomans marquait le départ de leur civilisation. C’est le berceau de cette civilisation que le maître de Belgrade tente de sauvegarder en dessinant par la terreur et les atrocités les frontières d’un nouveau canton. Pendant ce temps, les Albanais du Kosovo (500.000 ont déjà quitté leurs foyers depuis un an), quittent leur terre dans les larmes et le sang, espérant que leur long calvaire finira par leur donner une patrie.


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