FAUT-IL MOURIR POUR LE KOSOVO?
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![]() Une base aérienne à 20 km de Belgrade touchée par les bombardements.
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La guerre montée
par l’Otan sans l’aval des Nations Unies, a commencé pour éviter
une catastrophe humanitaire et contraindre Slobodan Milosevic à
signer l’accord de paix sur un statut d’“autonomie substantielle” au Kosovo.
Intervenu à trois reprises en vingt-quatre heures, au début
des raids aériens de l’Otan afin de “vendre son action” à
l’opinion publique américaine, le président Clinton a usé
de plusieurs registres, répétant que “si le président
Milosevic ne veut pas faire la paix, nous limiterons sa capacité
à faire la guerre (…) Je veux dire encore que notre but est
d’arrêter une catastrophe humanitaire”. S’adressant directement au
peuple serbe relayé par Madeleine Albright qui a tenu un discours
en serbo-croate, il a voulu le rassurer: “Je ne dirai jamais assez que
je respecte le peuple serbe, que nous respectons son histoire et sa culture.”
Tenant pratiquement le même discours, le président Chirac
a estimé que “cette action était nécessaire. Le choix
n’était pas entre la paix et les frappes aériennes, mais
entre les frappes maintenant et une guerre plus lourde plus tard, plus
globale et sans doute plus meurtrière (…) L’accord est sur la table,
le président Milosevic peut interrompre ces frappes. D’autant qu’il
s’agit d’un accord qui respecte pleinement l’intégrité de
la Serbie et la stabilité des Balkans”. Et Lionel Jospin d’ajouter:
![]() Après sa réunion avec Primakov, Milosevic semblait prêt à réduire les forces serbes au Kosovo, si l’OTAN arrêtait les attaques. |
![]() A Bruxelles, conférence de presse conjointe de Javier Solana et d’Emma Bonino. |
“L’irrationalité du régime de Milosevic ne nous a pas
laissé d’autre choix”.
Un choix dont le but déclaré a conduit à des résultats
inverses à ceux escomptés, entraînant un durcissement
de la répression serbe qui a déployé 40.000 soldats
au Kosovo, provoquant “au cours de ces derniers jours”, selon le porte-parole
de l’Otan, l’exode de plus de 100.000 personnes “chassées de chez
elles”, devant choisir entre la mort et le départ, laissant leurs
morts, leurs habitations incendiées, pillées et parcourant
des dizaines de kilomètres à pied pour atteindre les pays
limitrophes: l’Albanie, le Monténégro, la Macédoine.
Tragédie devant laquelle l’Otan demeure impuissant. Le général
Wesley Clark, commandant suprême des forces alliées en Europe,
reconnaît que l’Otan n’a “aucun moyen d’empêcher des tueries”!
“Il s’agit d’un commencement de “génocide”, indique le ministre
allemand de la Défense Rudolph Sharping dont le pays participe pour
la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale à un conflit
armé. A la suite de cette nouvelle “épuration ethnique”,
l’émotion a été vive au niveau de l’opinion publique
et de la presse européenne qui annonce l’échec programmé
de l’intervention, évoque un nouveau Saint-Barthélémy
et estime que “l’Otan s’est trompé de stratégie” dans “le
pire des scénarios”.
LE PATRIMOINE SERBE AU KOSOVO
Les Serbes sont viscéralement attachés au Kosovo parce qu’il représente pour eux le berceau de leur civilisation. Y sont conservés 1.300 monuments et vestiges de monuments médiévaux dont certains sont considérées comme des lieux saints orthodoxes. On retrouve à Decani, aux frontières avec l’Albanie, un monastère datant de 1327 et qui abrite plus de mille peintures murales, considérés comme les plus riches de tout le paysage byzantin. A Pec, capitale religieuse de la province, il existe un ensemble de chapelles et d’églises dont certains éléments datent du XIIIème siècle. A Milaseva est conservé un calice, offert en 1558 par Ivan le Terrible. |
LA GRANDE ALBANIE, UN MYTHE?
Pour les sept millions d’Albanais répartis entre l’Albanie, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine, la Bulgarie, la Grèce, le rêve d’une Grande Albanie est persistant. Le Congrès de Berlin en 1878 qui avait commencé à répartir les dépouilles de l’empire ottoman avait oublié les Albanais dont la moitié furent regroupés dans un Etat créé en 1912. La Grande Albanie n’a existé que de 1941 à 1944 sous l’occupation italo-allemande. Au cours de cette période, en vertu de la déclaration de Bujan (1943-1944), des intellectuels albanais du Kosovo s’étaient promis de rattacher au lendemain de la libération, les territoires albanais du Kosovo à l’Albanie. Tito a ignoré cette déclaration et conservé le Kosovo qui serait devenu la 7ème République d’Albanie, n’était sa rupture en 1848 avec la Russie soviétique. Lors de l’éclatement de la Yougoslabie en 1991-1992, les Albanais du Kosovo ont manqué leur indépendance qu’ils continuent de réclamer bien qu’ils aient accepté, à contrecœur, le statut d’“autonomie substantielle” que leur accorde l’accord de Paris rejeté par la RFY. |
LE DISPOSITIF DE L’US AIR FORCE
William Cohen, secrétaire américain à la Défense, a décidé le déploiement de trois appareils supplémentaires de guerre électronique, EA-6B Powler dans les opérations au Kosovo. L’entrée en ligne de ces avions spécialisés dans la neutralisation électromagnétique des batteries antiaériennes ennemies, confirme la puissance des sites de missiles yougoslaves qui constituent une menace sérieusement envisagée par l’Otan. Ces systèmes de missiles lourds sont complétés par de nombreux systèmes portables à guidage infrarouge (SAM-166 et -18). Outre les trois EA-6B Powler, quatre avions de ravitaillement en vol KC-135 rejoindront également le dispositif aérien américain. Fort de quelque 200 appareils, celui-ci s’articule principalement autour de la 16th & Space Expeditionary Task Force déployée sur la base italienne d’Aviano. Elle comprend les 16th et 31st Air expeditionary Wing (AEW) et la 100th Expeditionary Air Refueling Wing. La 16th AEWet en œuvre des B-52 armés de missiles de croisière, des avions de reconnaissance U-2, des chasseurs multirôles F-15C/E et des ravitailleurs en vol KC-135. La 31st AEW dispose de chasseurs multirôles F-16 CJ/CG, d’avions d’appui-feu (close air support) et de contrôle aérien avancé O/A-10, d’appareils furtifs F-117, d’avions de guerre électronique EC-13OH, et de commandement et de contrôle EC-130E ainsi que des ravitailleurs KC-135 et KC-10. Quant à la 100th EARW, elle asssure des missions de soutien avec ses avions de reconnaissance RC-135 et de ravitaillement KC-135. |
Le doute s’installe car les raids aériens qui ont indiqué leurs limites dans la guerre du Golfe ne sont efficaces que soutenus par un déploiement au sol, réclamé à cor et à cris par les Albanais et rejeté par les capitales occidentales. “Personne ne peut savoir comment le conflit va évoluer”, observe Laurent Fabius, tandis que Lionel Jospin précise que “nous avons bien l’intention de ne pas nous laisser entraîner là où nous ne voulons pas arriver”. “Le Kosovo, avait averti Zbigniew Brzenski, conseiller politique de Jimmy Carter, ce sera difficile, ce sera long, ce sera douloureux”. Tandis que le général Glosson, l’un des stratèges de la guerre du Golfe, a estimé qu’il “faudrait au moins trois semaines de bombardements pour infliger un coup sévère et durable à l’armée yougoslave”.
LE DISPOSITIF DE L’ARMÉE DE L’AIR FRANÇAISE
L’armée de l’air de l’opération “Trident” de frappes contre les positions yougoslaves comprend huit Mirages 2000 C/B de défense aérienne, quatre 2000-D spécialisés dans l’attaque au sol et un Transall Gabriel de guerre électronique qui sont déjà en alerte pour participer au dispositif allié aux côtés des Super-Etendard du porte-avions Foch. Des Jaguar, actuellement assignés à l’opération “Salamandre” au-dessus de l’ex-Yougoslavie pourraient se joindre à l’opération. Le “black-out” total observé par l’état-major sur le dispositif Resco (recherche et sauvetage en zone non-contrôlée) témoigne de l’importance que représentent ces unités spécialisées face aux risques que constitue l’arsenal antiaérien yougoslave. |
SLOBODAN MILOSEVIC: FICHE D’IDENTITÉ
Né: le 29 août 1941 à Pozarevac en Serbie d’un père prêtre orthodoxe et d’une mère enseignante. Religion: serbe orthodoxe. Etudes: droit à l’Université de Belgrade et diplôme en 1964. Activités professionnelles: 1968-78, directeur d’une compagnie d’extraction de gaz; 1978-82, membre du conseil de direction de la Beobank(United Bank de Belgrade). Carrière politique: 1984, leader du Parti communiste à Belgrade; 1987, leader du Parti communiste serbe; 1989, élu président de la République serbe; 1997, élu président de la République fédérale de Yougoslavie. Bureau: Boulevard Lenjina N° 2, Belgrade 11017, Yougoslavie. Famille: épouse Mirjana Markovic, père d’un garçon et d’une fille. |
A Belgrade (2,5 millions d’habitants sur un total de 11 millions que
constitue la population yougoslave) où le gouvernement a décidé
de consacrer “toutes ses ressources à la défense du pays”,
on assimile tout simplement Clinton à un nouveau Hitler et l’offensive
de l’Otan à l’expansionnisme nazi au cours de la Seconde Guerre
mondiale. Dimanche dernier, à l’invitation de la municipalité
de la capitale, 10.000 personnes ont participé à un concert
de rock anti-Otan à la place de la République, espace où
tous les jours ils étaient venus, au cours de l’hiver 1996-97, exprimer
leur colère contre Milosevic, cet ancien apparatchik converti dans
le nationalisme autour duquel ils ont soudé aujourd’hui leurs rangs.
Ils ont gardé en mémoire la date du 28 juin 1389 où
la défaite du Kosovo polje (champ des merles) face aux Ottomans
marquait le départ de leur civilisation. C’est le berceau de cette
civilisation que le maître de Belgrade tente de sauvegarder en dessinant
par la terreur et les atrocités les frontières d’un nouveau
canton. Pendant ce temps, les Albanais du Kosovo (500.000 ont déjà
quitté leurs foyers depuis un an), quittent leur terre dans les
larmes et le sang, espérant que leur long calvaire finira par leur
donner une patrie.