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QUAND ON N’A PAS D’IDÉES MAIS DES AVIONS...

Belgrade après Bagdad, Milosevic après Saddam Hussein. Tout le monde a déjà fait le rapprochement. Quoique l’origine et les données des deux problèmes soient différentes, les points de ressemblance entre les deux situations sont assez frappants pour inciter à une nouvelle réflexion sur la conduite de la politique américaine dans les périodes de crise internationale.
En résumé, on constate ceci: dans une première phase, les efforts diplomatiques pour résoudre les problèmes pacifiquement sont hésitants, voire même inexistants dans le cas du Kosovo. Washington laisse faire d’autres intervenants plus ou moins influents et, par cette apparente indifférence, encourage le plus intransigeant des partenaires au conflit à ne rien céder; car, dès lors que la plus grande puissance ne bouge pas, les adversaires croient pouvoir pousser les enchères jusqu’à l’extrême limite de leurs forces respectives. Quand la diplomatie américaine se décide, enfin, à jeter son poids dans la balance, c’est déjà trop tard et elle se voit obligée, pour devenir crédible, d’agiter la menace d’un recours à la force. C’est alors l’impasse.
L’intervention militaire, dans la phase suivante de ce jeu au bord du gouffre, ne peut rien résoudre comme on l’a vu en Irak, comme on le pressent déjà dans les Balkans. Elle n’apparaît plus que comme un sanglant et dévastateur exercice militaire pour tester de nouvelles armes et de nouvelles tactiques de combat.
Les réactions populaires déclenchées dans de nombreux pays d’Europe, alliés des Etats-Unis, contre les bombardements de la Serbie témoignent bien du refus de cette politique incohérente, alors même que nul ne songe à approuver un Milosevic - pas plus qu’on n’a approuvé un Saddam Hussein quand on a manifesté contre “le renard du désert”.
Un manifestant dans je ne sais plus quelle capitale européenne brandissait l’autre jour cette pancarte d’un méchant humour: “La Serbie n’est pas Monica!”
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Pour justifier aux yeux de l’opinion américaine ces recours à l’action militaire, le discours officiel de la Maison-Blanche avance chaque fois la notion de défense des “intérêts nationaux” de l’Amérique.
On vient de l’entendre, une fois de plus, à propos d’un autre cas qui est en passe de ressembler aux précédents: l’Amérique vient de décider de livrer à Israël cinquante avions de combat d’une valeur de deux milliards de dollars. Les “intérêts nationaux” des Etats-Unis, précise la Maison-Blanche, sont en jeu dans cette partie du monde où l’Etat hébreu est qualifié de meilleur allié. Ainsi, est justifiée cette livraison d’armes à la veille des élections israéliennes.
Le “processus de paix” au Proche-Orient est censé comporter, entre autres conditions, une limitation des armements. Ce processus est en panne. Et quoique M. Clinton promet de le faire aboutir avant la fin de son mandat, il se préoccupe toujours de renforcer la supériorité militaire d’Israël sur tous ses voisins réunis (alors même qu’ils ne le sont jamais). Aucun de ces voisins (réunis ou pas) n’est pourtant, aujourd’hui, en situation de menacer Israël; au contraire, tous lui offrent la paix s’il veut bien accepter les principes de Madrid et les résolutions internationales. Les bombardiers israéliens ne se manifestent plus que dans le ciel du Liban pour tuer des civils et brûler des vergers.
Mais au-delà des pays arabes réduits au rôle de solliciteurs, M. Clinton songe peut-être à l’Iran. M. Netanyahu ne vient-il pas de se rendre à Moscou pour demander à M. Eltsine de ne pas contribuer au développement de l’arsenal militaire de Téhéran?
Par la même occasion, M. Netanyahu se préoccupait, certes, de gagner à sa cause l’électorat juif d’origine russe. En tout cas, ces cinquante avions de combat offerts par M. Clinton viennent à point nommé pour alimenter la campagne électorale de l’homme qui est promis à devenir vis-à-vis de la Cisjordanie, ce qu’un Milosevic est à l’égard du Kosovo. Déjà, le premier avait servi de modèle au second pour les tactiques de négociations et de dérobades.
Les promesses de paix risquent, ainsi, de se transformer en promesses d’intransigeance et de raidissement.
On le voit déjà au sujet de Jérusalem et du projet d’Etat palestinien. Pour poursuivre “l’épuration ethnique”, Milosevic entretient chez les Serbes une sorte de mythologie religieuse à l’égard du Kosovo. M. Netanyahu n’est pas éloigné de cette dérive quand il s’agit de ce qu’il appelle la Judée-Samarie.
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A la différence de ce qui s’est passé dans la première phase du  drame yougoslave, la diplomatie américaine est directement, entièrement et depuis toujours impliquée dans la situation au Proche-Orient. Et si elle a déjà passé à la phase militaire vis-à-vis de l’Irak, en revanche, vis-à-vis d’Israël, elle s’est démunie de tout moyen de pression. Elle est mise en échec et il y a fort à parier qu’elle le sera longtemps encore au risque de s’apercevoir un jour que ni cinquante avions, ni dix fois cinquante ne peuvent constituer une véritable garantie pour ses “intérêts nationaux”.

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