MOHAMED SAAD AS-SALLAL:
“PAR SA POLITIQUE IRRATIONNELLE, LE RÉGIME
DE BAGDAD
REND IMPOSSIBLE TOUT DIALOGUE AVEC LE KOWEIT”
Diplomate
de carrière, diplômé en sciences politiques et économiques,
titulaire du doctorat en économie des pays développés,
M. Mohamed Saad As-Sallal fait partie du corps diplomatique koweitien depuis
1974.
Son premier poste d’attaché d’ambassade, il l’a occupé à Beyrouth en 1975. Puis, il a assumé les fonctions de troisième et deuxième secrétaires au Brésil (1977), de premier secrétaire à Moscou (1980), avant d’être ramené à l’Administration centrale. Il restera pendant quatre ans au département politique, avant d’être muté à New York en 1985, en tant que conseiller et chef de mission p.i. En 1992, il est transféré à Genève en qualité de représentant permanent auprès des Nations Unies et consul général à Berne. Cinq années plus tard, il était nommé ambassadeur à Madrid et, en 1998, à Beyrouth. “Ma nomination au Liban, confie-t-il, a été une surprise agréable, car je retournais au Liban vingt-trois ans après mon premier séjour dans ce beau pays. Je suis d’autant plus ravi qu’il s’est engagé résolument sur la voie du redressement après sa dure épreuve.” |
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A l’occasion du 8ème anniversaire de la libération
du Koweit, comment voyez-vous l’avenir des relations entre les pays membres
du conseil de coopération du Golfe et l’Irak?
L’Irak, bien sûr, est un pays arabe frère. Dans les pays
du Golfe et au Koweit, nous ressentons la souffrance du peuple irakien
avec qui nous avons des liens historiques.
La position des pays membres du CCG est claire à ce sujet: elle
distingue entre le peuple irakien et le régime de Bagdad. Cette
distinction s’est manifestée dès le début des événements
et même durant l’invasion du Koweit. Notre soutien aux Irakiens repose
sur le fait que c’est un peuple qui souffre, subissant des pressions et
des manigances exercées par le pouvoir. Le régime irakien
est à la base de tout le drame que vit son peuple.
Le pouvoir a entraîné, dès le départ, ses
citoyens dans un tourbillon d’atrocités, d’épreuves difficiles,
de divisions internes, de guerre à outrance avec l’Iran, avant de
les mener dans l’aventure mouvementée de l’occupation du Koweit,
provoquant ainsi la dislocation de l’unité arabe et de tous les
principes d’esprit de cohésion et de solidarité arabe, violant
tous les accords de la Ligue arabe et ceux des Nations Unies, ainsi que
le traité arabe de défense commune. Il faudrait que l’Irak
respecte fermement et scrupuleusement tous ses engagements: les résolutions
du Conseil de Sécurité sans aucune exception. L’Irak ne peut
appliquer les clauses qu’il souhaite, la décision à ce sujet
revient à la légalité internationale.
Le Conseil supérieur de coopération et les réunions
ministérielles ont, à l’unanimité, soutenu cette position
et déclaré que l’Irak doit respecter et non violer les résolutions
du Conseil de Sécurité et présenter des excuses verbales
au Koweit pour avoir commis cette faute injustifiable.
L’Arabie séoudite s’oppose à la participation des
capitaux étrangers dans sa production pétrolière.
Le Koweit adopte-t-il la même politique?
Notre politique, en ce sens, n’a pas changé. Mais il existe
une grande confusion chez les experts qui analysent la situation politico-économique
des pays du Golfe sur les perspectives du gouvernement koweitien en ce
qui concerne la participation des capitaux étrangers.
Le gouvernement a précisé par la voix du ministre du
Pétrole, que les projets couvrant le développement des champs
pétroliers, ainsi que leur exploitation dans les conditions actuelles,
ne signifient pas qu’il a renoncé à la nationalisation. Les
ressources pétrolières sont la propriété du
peuple koweitien et le seul but du recours à la participation des
capitaux étrangers a un avantage technique et financier; il assure
un développement et une certaine modernisation; ceci n’écarte,
certes, pas la nationalisation. D’ailleurs, ce sujet a été
tranché d’une façon définitive dans les années
70.
Le Koweit s’est dit prêt à participer à un sommet
arabe, en présence de l’Irak. Est-il toujours disposé à
le faire même après les menaces du président Saddam
Hussein de détruire les bases américaines sur les territoires
koweitien et séoudite?
La position du Koweit est claire et émane de principes connus.
Nous n’avons jamais voulu boycotter les conférences arabes, quel
qu’en soit le niveau. Nous avons émis certaines réserves
quant au but et à la portée de ces réunions, le sommet
devant être au préalable bien préparé, afin
que ses travaux ne soient pas détournés de leur vrai but
et n’approfondissent pas davantage la division dans les rangs arabes.
Il n’est pas nécessaire de tenir des réunions au niveau
des dirigeants, sans une bonne préparation, l’échec pouvant
amener à des catastrophes. Les sommets arabes ne constituent pas
des rencontres sociales. Il faut que le but soit bien défini, afin
de dépasser toutes les erreurs passées et savoir traiter
les sujets d’une façon raisonnable. Nous sommes pour la tenue d’un
sommet, à condition qu’il soit bien préparé. Sinon,
il est préférable de ne pas le tenir.
NOUS SOMMES OPTIMISTES QUANT AU
NOUVEAU RÉGIME ET ENCOURAGEONS
LE DÉVELOPPEMENT DE NOS RELATIONS...
Y aurait-il moyen de régler le conflit entre le Koweit et
l’Irak? Dans la négative, quel serait l’obstacle majeur?
Les obstacles sont nombreux et suscités du côté
irakien.
L’Irak a violé les résolutions du Conseil de Sécurité
d’une façon continue et méthodique, à commencer par
le problème des frontières, pour finir par les menaces contre
les pays du Golfe, en particulier le Koweit et l’Arabie séoudite,
ainsi que les pays frontaliers.
Ces résolutions stipulent que l’Irak doit manifester son désir
de paix, selon le décret 687 exigeant l’arrêt des combats
et un cessez-le-feu. L’Irak ne s’est pas contenté de passer outre
à ces accords, mais a soulevé de nouveau la question des
frontières. Ceci continue à provoquer la division dans les
rangs arabes. Ajoutons à cela les récriminations de la presse
et les attaques menées contre les pays arabes. Toutes ces violations
écartent la possibilité d’une éventuelle rencontre
entre les pays du Golfe, le Koweit et l’Irak en tête.
L’exemple le plus évident est l’affaire des détenus.
Comment peut-on négocier avec un régime qui détient,
neuf ans après l’invasion, des centaines de personnes? On peut imaginer
le drame que vivent ces prisonniers de guerre, leurs familles avec tous
les problèmes légaux et humains y relatifs.
“C’est une affaire importante de politique intérieure, le Koweit
ne peut faire des concessions à ce sujet. L’Irak doit, selon la
convention internationale et le traité de Genève, procéder
à la libération immédiate de tous les détenus
de guerre ou, au moins, fournir des informations à leurs parents,
afin qu’ils connaissent leur sort et que les organisations internationales
puissent s’occuper de leur courrier. Or, jusqu’à présent,
les familles des détenus ignorent tout de leur sort. L’Irak refuse
de donner ces informations et boycotte toutes les réunions du comité
international de la Croix-Rouge. De plus, il politise l’affaire des détenus
et ceci prouve ses mauvaises intentions.
Le manque de confiance, les attaques non justifiées, le ton
des discours de Saddam à son peuple et à l’étranger
n’ont pas changé. L’Irak est source des perturbations et d’angoisse.
Il menace la sécurité et l’économie dans toute la
région. Ceci se répercute sur la solidarité arabe
compromise par la politique irrationnelle qu’exerce le pouvoir irakien.
La rencontre avec les responsables irakiens s’avère donc impossible.
Comment peut-on avoir confiance en un régime qui ne cesse de
menacer d’attaquer ses voisins? De répéter des slogans outrageux
et d’organiser des défilés célébrant le jour
de l’occupation du Koweit qu’ils considèrent comme “le jour du grand
appel”? Nous avons dit à nos frères arabes que ce régime
ne peut jamais changer, car sa nature est basée sur l’occupation,
les menaces et l’agression. Impossible de se retrouver, à la seule
condition qu’il change d’attitude.
Comment se présentent les relations entre le Koweit et le
Liban, surtout avec l’accession du président Emile Lahoud à
la magistrature suprême?
Les relations libano-koweitiennes sont anciennes, stables et enracinées.
Chaque nouveau régime contribue à les consolider, d’autant
qu’elles ont dépassé le cadre officiel. Ce sont des relations
de peuple à peuple. Les deux pays ont conservé tout au long
de l’Histoire, des relations exemplaires en raison de la ressemblance des
situations vécues, leurs peuples appartenant au même rythme
de pensée, de politique, d’économie et de démocratie.
Nous sommes optimistes quant au nouveau régime et encourageons
le développement de nos relations...
Tous les gouvernements ont offert de grandes facilités aux investisseurs
et touristes koweitiens se rendant au Liban; par conséquent, nos
relations avec le nouveau gouvernement persistent et se raffermissent.
Il n’existe aucun contentieux entre nos deux pays. Nous souhaitons
augmenter les chiffres d’affaires et les investissements, développer
le secteur touristique et de plus en plus de touristes koweitiens et du
Golfe affluent en grand nombre au Liban. Dès leur arrivée
et jusqu’à leur départ, ils sont impressionnés par
la chaleur de l’accueil et les facilités des services assurés.
Ils considèrent le Liban comme leur seconde patrie qu’ils ont quittée
dans les années 70 et 80.
Le Koweit participe-t-il à la réalisation des projets
dans la reconstruction au Liban?
Les citoyens et les responsables libanais connaissent la dimension
de la participation koweitienne dès les premiers instants où
la situation s’est rétablie dans ce beau pays.
Le Koweit participe dans les divers secteurs, ceux de l’infrastructure,
des routes, du téléphone, de l’électricité,
des hôpitaux et des centres hospitaliers. Cette contribution se présente
sous forme de donations gratuites ou, parfois, de prêts avantageux.
A quels problèmes, le gouvernement koweitien est-il confronté,
nécessitant des solutions urgentes?
Le problème majeur est celui de la baisse du prix du pétrole
qui atteint, non seulement le Koweit, mais aussi tous les pays producteurs.
C’est un problème mondial, l’or noir constituant notre source principale
de revenus. Cette crise affecte le budget de l’Etat, ainsi que les grandes
charges au niveau de la sécurité, de la politique et de l’économie.
En raison de la reconstruction, l’occupation ayant amené une
destruction totale, le problème devient primordial: le Koweit s’emploie
à diminuer les dépenses en suivant une politique d’austérité.
Quant au problème du chômage, l’Etat cherche à
encourager par des méthodes modernes, le secteur privé afin
d’absorber la main-d’œuvre nationale, ainsi que les nouveaux diplômés
et techniciens.
Le Koweit est-il en faveur de la proclamation, par Yasser Arafat,
de l’Etat palestinien le 4 mai prochain? Et comment concevez-vous le règlement
du problème de Jérusalem?
Historiquement, la position du Koweit en faveur de la cause palestinienne
est nette. Nous appuyons les résolutions du Conseil de Sécurité
et celles de Madrid. Nous encourageons toutes les parties à œuvrer
pour une solution pacifique, garantissant les droits des Arabes dans les
territoires occupés, en particulier, à Jérusalem qui
représente, en vérité, une affaire intéressant,
non seulement les Palestiniens, mais tous les Arabes, les chrétiens
et les musulmans dans le monde entier.
Jérusalem, terre sainte, est la ville des trois religions et
ne doit pas être soumise à des tractations politiques.
Nous sommes pour la terre en échange de la paix, ceci englobant,
également, le sud du Liban occupé et la Békaa-ouest.
Nous appuyons sans réserve, les résolutions 425 et 426.
Quant aux autres territoires arabes occupés, nous demandons
l’application des résolutions 242 et 338. Nous demandons, également,
à tous les pays concernés, surtout aux Etats-Unis d’Amérique,
qui parrainent le processus de paix, de déployer tous les efforts
pour en hâter le processus conformément aux principes définis
à Madrid.
Nous soutenons les Palestiniens, leur juste cause, la libération
de leur territoire et la proclamation d’un Etat indépendant.
Comment voyez-vous l’avenir du monde arabe en général
et celui des pays du Golfe, en particulier?
Nous leur souhaitons un avenir rayonnant et devons agir dans ce sens.
Il ne faut pas se contenter de souhaits; nous pensons que l’origine du
problème vient, principalement, de l’absence d’une vraie solidarité
arabe qui doit se baser sur des principes clairs:
- ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures des autres
pays;
- droit des pays de choisir leur système politique;
- respect des droits internationaux.
Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?
“C’est le jour de la libération du Koweit, le 26 février
1990. J’étais en mission aux Nations Unies et ce fut le couronnement
des efforts internationaux, une victoire collective et une incarnation
vraie des principes des Nations Unies, ainsi que la fin des hostilités.
Sans les Nations Unies, le monde serait une jungle où le grand dévorerait
le petit.