tribune
L’INCROYABLE

On est si peu habitué à la stricte application des lois, surtout dans les milieux politiques et la haute administration, que les initiatives de l’actuel gouvernement sur le plan judiciaire déclenchent, à chaque coup, d’interminables spéculations sur les véritables intentions de M. Hoss.
Que veut-il? Que cherche-t-il? Jusqu’où ira-t-il?...
Mais je ne veux que l’application des lois. C’est ma politique; elle sera permanente. Et je m’en remets pour cela aux magistrats de l’ordre judiciaire.
M. Hoss a beau répéter cela, relayé souvent par l’un ou l’autre de ses ministres que les journalistes vont sonder et même par le président de la République que de nombreux notables et, surtout, les députés vont régulièrement tâter, rien n’y fait. On n’arrive pas à y croire. Prétendre, comme le font aujourd’hui, tous les détenteurs du pouvoir exécutif qu’on ne cherche qu’à établir la souveraineté de la loi dans un souci d’ordre et de transparence, ce n’est pas croyable; c’est impossible, il doit y avoir là-dessous des intentions cachées.
C’est maintenant, ce genre de réaction qui est le phénomène le plus remarquable.
Les journaux s’en font abondamment l’écho et les alimentent en même temps sans arrêt. C’est comme un circuit fermé. Et cela est beaucoup plus significatif que la bruyante agitation du petit monde de M. Hariri dont la gestion passée est mise en cause, implicitement et parfois clairement et directement, par ces affaires judiciaires.

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Faute de croire au souci de l’Exécutif de ne chercher qu’à établir le règne de la loi, sans épargner personne, faute de trouver une autre explication au zèle judiciaire du gouvernement, beaucoup s’empressent déjà de tirer cette conclusion: c’est le procès du régime du président Hraoui et de tous ceux qui y ont collaboré, qui est en cours.
On peut noter, en passant, que M. Hraoui, à l’inverse du petit monde de M. Hariri, s’abstient de participer à ces réactions. C’est apparemment la sagesse même d’un homme qui connaît bien son pays et possède une longue expérience de sa politique.
Mais ce n’est pas là le plus important. L’essentiel, c’est ceci:
- Que la Justice à qui le gouvernement s’en remet, soit capable, elle, d’aller jusqu’au bout de sa mission dans la plus parfaite transparence et en toute indépendance.
- Que la poursuite de l’action judiciaire et les réactions qu’elle suscite, ne détournent pas le gouvernement de sa propre mission qui est de gérer les affaires de l’Etat avec efficacité.
- Que l’action judiciaire se transforme ou non en procès du passé, la tâche essentielle pour le gouvernement concerne le présent et l’avenir. Tout le reste, spéculations et rumeurs, n’est que bavardages pour empoisonner l’atmosphère et gêner ce travail gouvernemental.
La tâche n’est déjà pas aisée à cause d’un lourd héritage financier et administratif. Ajoutez à cela une opinion publique qui n’a pas été habituée à une gestion de l’Etat au-dessus de tout soupçon et une classe politique prisonnière de traditions qui donnent la priorité aux intérêts personnels, tribaux et communautaires.
On a bien vu, durant les neuf dernières années, comment l’Assemblée nationale, à peu près unanime, se livrait à une critique véhémente de la gestion du gouvernement pour, ensuite, lui accorder sa confiance sans nullement se préoccuper de cette manifestation d’incohérence. Ce comportement est dans la tradition de la vie parlementaire au Liban depuis toujours. On comprend donc pourquoi, aujourd’hui, vouloir s’en remettre à la justice pour juger certains aspects légaux de la gestion gouvernementale, paraît inouï, voire scandaleux! C’est contraire à toutes les traditions qui veulent que le prince puisse tout se permettre, puisqu’il est censé être au service du pays (quitte à se servir au passage avec sa famille et ses amis).

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Que vient faire donc la Justice dans ce microcosme politique? Troubler le jeu? C’est ce qu’on n’est pas disposé à accepter. Modifier ce genre d’état d’esprit est l’entreprise la plus révolutionnaire que le nouveau pouvoir semble ambitionner. Il y arrivera peut-être s’il obtient des résultats concrets et tangibles dans ses efforts d’épuration.
Si la souveraineté de la loi n’est pas établie du haut au bas de l’échelle sociale, il n’y aurait rien de fait. Et l’on risquerait de revenir au système traditionnel fondé sur ce principe machia-vélique: “Si le fait l’accuse (le prince) le résultat l’excuse”... pas toujours d’ailleurs! Mais qui s’en soucie?...
Alors, M. Hariri triomphera. Mais à quel prix!... 


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