Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD

LES LAISSÉES POUR COMPTE

On se demandera peut-être à quel propos nous avons choisi de parler aujourd’hui de la condition féminine au Liban. Qu’est-ce qui dans l’actualité nous incite à le faire? Rien de vraiment spécial ou de fracassant. Mais faut-il qu’une femme ait volé le pétrole de l’Etat, trempé dans “la fuite” du gaz, pillé la caisse des municipalités, traficoté on ne sait quoi à l’électricité, trempé dans la mafia de l’environnement pour qu’elle occupe une place au premier rang des sujets dont on devrait parler? Ou bien nous faut-il pour être “in” garder au chaud un scandale bien juteux pour le servir à nos lecteurs au petit déjeuner?
A part donc les scandales, la maladie de Georges Corm et les démangeaisons allergiques de certains opposants, on parle beaucoup actuellement d’une nouvelle loi électorale, une loi qui - à en croire les responsables - promet de changer le panorama politique et social de ce pays. La Libanaise ne devrait-elle pas savoir et pouvoir y occuper la place qui lui revient de droit?
Nous ne sommes plus au Moyen Age, ni à l’époque des cavernes où seule la force physique consacrait la supériorité masculine. Les femmes, à travers les siècles, en sont arrivées à défier tous les tabous et à rejeter certains interdits qui font d’elle une handicapée à vie et lui refusent le statut d’un être humain à part entière, pour en faire une sorte de poulinière uniquement destinée à la reproduction.
Nous ne parlons pas du harcèlement sexuel ni de l’aggravation des peines encourues pour viol. Le délit de harcèlement sexuel n’existe pas chez nous. Quant aux peines sanctionnant un viol, elles sont tellement ridicules qu’elles apparaissent plutôt comme un encourage-ment tacite.
Il s’agit du faisceau de lois discriminatoires, datant de l’époque ottomane, qui immobi-lisent la femme dans un carcan d’infériorité, en dépit d’une Constitution qui reconnaît l’égalité totale entre les citoyens, qu’ils soient hommes ou femmes.
Des acquis substantiels ont déjà été réalisés dans ce domaine grâce, surtout, à un véritable parcours de combattant auquel se sont livrées des générations de Libanaises pour obtenir une parcelle des droits dont jouissent leurs compatriotes masculins. Mais un long chemin reste à faire.
Qu’en est-il, par exemple, de la tutelle des enfants mineurs? Un père est automa-tiquement le tuteur légal de ses enfants, alors qu’une mère doit obtenir, à travers une démarche officielle auprès d’un tribunal, cette tutelle et uniquement en cas d’absence du père.
En outre, en cas de divorce, les enfants sont confiés au père - quel qu’il soit et quoi qu’il vaille - les garçons à partir de l’âge de 7 ans, les filles à partir de 9 ans. Une parenthèse doit être ouverte ici pour mentionner que l’on voit de plus en plus de pères violer leurs enfants mineurs, alors qu’on n’a jamais entendu parler d’une mère violant son petit garçon. De plus, il existe entre l’enfant et sa mère un lien organique symbolisé par le cordon ombilical, auquel aucun homme ne peut prétendre.
Autre déni de justice. Pourquoi une femme ne peut-elle donner sa nationalité à ses en-fants, alors qu’un père jouit, indiscutable-ment, et automatiquement de ce droit? Pourquoi une Libanaise, mariée à un non-Libanais, est-elle contrainte de renouveler chaque année le permis de séjour de ses enfants, alors que l’ex-gouvernement avait donné en masse la nationalité à des étrangers qui n’ont jamais résidé au Liban et n’y ont ni liens, ni racines?
Pourquoi une femme adultère est-elle mise en prison, alors que l’homme peut accumuler les maîtresses sans s’attirer autre chose que l’envie, voire l’admiration de ses congénères? Pourquoi les autorités judiciaires sont-elles aussi permissives - je dirais compréhensives - envers cette abomination que sont les crimes d’honneur, dont les seules victimes sont des femmes? Pourquoi dans les délits de prostitution, c’est la femme qu’on arrête et jamais l’homme, alors qu’il faut quand même être deux pour danser le tango?
Pourquoi une femme n’a-t-elle pas le droit d’avoir recours à l’IVG (interruption volontaire de la grossesse) en cas de malformation du foetus, si la grossesse met sa vie en danger, ou encore si cette grossesse est le résultat d’un viol?
Une montagne de pourquoi en vrac sous le nez de nos gouvernements et de nos parlements sexistes en diable qui s’obstinent à nager à contre-courant du droit et de l’évolution et finissent par justifier ce jugement de Georges Duhamel “(Ici) l’erreur est de règle, la vérité est (chez eux) l’accident de l’erreur.”

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