Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD

DIEU ME PARDONNE!

Au moins Michel Murr, lui, reste égal à lui-même. Ce qui est loin d’être le cas de tous ceux qui s’agitent ou qui tiennent le haut du pavé, dans notre microcosme politique.
Ainsi, Walid Joumblatt qui, depuis l’avènement du présent régime, exécute une sorte de danse du scalp avec des virages vertigineux, vient, semble-t-il, de mettre fin à sa traversée du désert en offrant au chef de l’Etat le calumet de la paix et en parlant de pluralisme. Renversant, venant d’un homme qui a toujours abominé ce mot. Il est vrai qu’il s’agit, en l’occurrence, de pluralisme politique et non culturel. Mais, à moins d’un nouveau virage, le premier pas est fait. Comme le disait la mère de Napoléon: pourvu que ça dure!
Le président Hoss aussi qui, jusqu’à présent, au cours de sa carrière, a compté ses mots autant que ses pas, semble de temps à autre être sous le coup d’une poussée d’urticaire qui lui fait faire des actes qu’il regrette ensuite, comme on l’a vu pour l’épuration de l’administration.
Sans compter Georges Corm. Cet homme d’études et de réflexion, ce brillant théoricien qui a l’habitude de cogiter dans le cadre rigoureux d’une pensée logique, qu’est-il allé faire dans cette galère? Ne lui a-t-on jamais dit qu’au Liban il y avait un monde entre la théorie et la pratique et que la politique est l’art du possible? Nous lui souhaitons un prompt rétablissement et le retour rapide au sens des réalités libanaises.
Pour en revenir à Michel Murr, lui par contre, n’est pas le genre à lâcher prise chaque fois qu’il tombe sur un os. L’homme a de l’allant et, surtout, du répondant, témoin son record de longévité au pouvoir. Il ne faut pas compter sur lui non plus pour jouer à la modeste violette. Ce que d’ailleurs, il vient de nous signifier, dans une récente déclaration, à propos d’un rapport de l’Administration américaine relatif aux violations des droits de l’homme au Liban. Furieux, M. Murr a donné de la voix et du poing sur la table. Il a accusé, ce faisant, une certaine opposition d’être derrière ce rapport, dans le but de discréditer le pays. D’indigné, il est devenu franchement menaçant pour lancer à ces opposants: “Nous ne leur dirons pas: Dieu vous pardonne, car Dieu est juste. Il ne pardonne pas aux pécheurs. Il les punit”.
Nous savions tous, depuis presque une décade, que M. Murr était et est toujours vice-président du Conseil des ministres de la République libanaise. Mais nous ne savions pas qu’il avait accédé au rang de vice-Dieu-le-Père et porte-parole du Très-Haut, ni que c’était à lui que furent remises les clés du Royaume. Nous ne savions surtout pas que Dieu le Père était en bisbille avec son Fils qui, à Simon-Pierre lui demandant s’il fallait pardonner à ses ennemis sept fois, répondait: “Non pas seulement sept fois, mais soixante-dix fois sept fois”...
Cependant, la question n’est pas là. Nous laissons au ministre de l’Intérieur le soin de définir de nouveaux dogmes et de remettre la théologie à jour. Ce qui nous préoccupe à nous, ce sont les droits de l’homme. Sont-ils vraiment respectés au Liban?
Qu’en est-il de ceux qu’on arrête pour une simple distribution de tracts politiques? Qu’en est-il de l’état des prisons qui, quoiqu’en dise M. Murr, est lamentable? Qu’en est-il des passages à tabac dans les postes de police, des arrestations arbitraires, des détentions préventives à durée illimitée? Qu’en est-il de la discrimination entre les régions, entre les classes sociales, entre les délinquants, entre les hommes et les femmes, entre les “pro” et les “anti”, entre ceux qu’on défère devant les tribunaux et ceux à qui on fiche la paix, ceux qu’on reçoit et ceux qui n’ont aucune chance d’être reçus, ceux qu’on écoute et ceux qu’on n’entend pas, ceux - à crime égal - qu’on charge de toutes les turpitudes et ceux qu’on absout de tous les forfaits?...
Le patriarche Sfeir n’a-t-il pas déploré, lors de son dernier sermon, certaines “poursuites judiciaires, les jugements qui ne respectent pas toujours les droits de l’homme”? Paroles auxquelles répondent celles de cheikh Nasrallah qui, au cours de la célébration du Achoura, a lancé: “Juger les criminels est nécessaire, mais il faut les juger tous, les meurtriers, les voleurs, les prévaricateurs quels qu’ils soient, si haut placés qu’ils soient, sans distinction de classes, d’affiliation politique ou d’appartenance confessionnelle”...
Nous convenons avec M. Murr que le rapport de l’Administration US était plutôt cynique, vu que l’Amérique n’est pas, spécialement, qualifiée pour se faire la championne du droit des gens et des peuples. Et qu’au point de vue viol des droits de l’homme, les divers gouvernements des Etats-Unis ont un riche passé dans le domaine et un présent plus riche encore.
Quant à moi, qui ai pris la liberté de me risquer sur ce terrain glissant, il ne me reste plus qu’à élever ma prière vers le ciel pour demander que “Dieu me pardonne”, dans la rassurante perspective qu’il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints.

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