LE CONFLIT ENTRE DANS SA 5ÈME
SEMAINE
L’alliance entend poursuivre sa stratégie aérienne. Et
l’exode des Albanais du Kosovo se poursuit: plus de 30.000 Kosovars ont
rejoint l’Albanie le dernier week-end. Ils auraient atteint depuis le conflit,
le nombre de 900.000. L’inquiétude s’empare, de plus en plus, des
organisations sanitaires et du HCR (Haut Commissariat de l’ONU pour les
Réfugiés). Tout au long de ces dernières journées
et rien n’indique que cela devrait changer bientôt, des dizaines
de milliers d’Albanais ont quitté le Kosovo pour rejoindre l’Albanie
et la Macédoine - mais le flot s’est brusquement interrompu dans
la nuit. Officiellement, la Yougoslavie n’a pas fermé ses frontières;
toutefois, il semble que les Serbes empêchent les bus et les trains
de franchir la frontière. “Nous sommes très préoccupés.
Nous n’exerçons aucune influence dans la partie serbe de la frontière”,
a déclaré le porte-parole du HCR.
Or, les derniers chiffres fournis par celui-ci, depuis le début
des frappes le 24 mars, plus de 600.000 Kosovars ont quitté la province.
La plupart se trouvent en Albanie, environ 400.000. Mais, aussi, la Macédoine
en a accueilli plusieurs dizaines de milliers, plus de 150.000. C’est énorme
pour un petit pays. Cet afflux de réfugiés inquiète
de plus en plus les Macédoniens. A Skopje, l’envoyé spécial
de la CNN relate que pour une bonne majorité de Macédoniens,
la limite du tolérable est dépassée! “L’arrivée
de ce nombre élevé de réfugiés dans un pays
de 2.000.000 d’habitants, va compromettre les rapports communautaires”,
prédit un étudiant, pris au hasard. “Nous risquons l’implosion
à notre tour, renchérit un autre habitant, d’âge mûr.
Car si la guerre en Yougoslavie n’a pas encore créé de fractures
politiques, ici, entre Slaves-macédoniens et Albanais, un long conflit
ou de nouvelles brutalités contre des Albanais, à l’instar
de l’horreur du camp de Blace risquent de miner ce fragile équilibre.
“Mais, les autorités de Skopje refusent d’ouvrir de nouveaux camps
car, “le HCR et l’OTAN n’ont pas évacué assez de réfugiés
en Europe”, affirme dans la presse locale le ministre de la Défense.
En visite à Skopje, son homologue français, Alain Richard,
s’est voulu rassurant. “Il faut tenir compte du besoin de stabilité
de la Macédoine, menacée, potentiellement, par les Yougoslaves
et par des mouvements de guérillas, a-t-il dit en substance; mais
faut-il aussi traiter humainement les réfugiés”.
Ceux-ci pourraient être redéployés dans la région
- par exemple vers l’Albanie et ainsi alléger la pression sur la
Macédoine, pièce-clé du dispositif des Occidentaux
qu’il s’agit visiblement de ménager. Ceci, d’une part. De l’autre,
sur le plan militaire, l’OTAN poursuit son action: “Nous poursuivons la
même stratégie: celle d’une campagne aérienne tous
azimuts”. Propos tenus par le secrétaire de l’Alliance atlantique,
Javier Solana.
![]() La résidence de Milosevic détruite par un raid de l’OTAN. |
![]() Le métropolite D. Mitrophan conduisant une marche de protestation serbe face à la Maison-Blanche. |
Pas question donc pour le moment d’engager une action terrestre. Les
bombardements se poursuivent et après trente nuits de frappes, l’OTAN
peut affirmer avoir réduit à néant les défenses
antiaériennes yougoslaves. La semaine dernière, les initiatives
diplomatiques s’étaient multipliées. L’ONU, l’Allemagne,
les Etats-Unis, la France chacun a évoqué les différentes
façons de trouver une issue à la crise. Mais cette dynamique
semble être retombée: Slobodan Milosevic reste toujours intransigeant.
Il rejette en bloc toutes les propositions occidentales. A noter les propos
de Boris Eltsine qui affirme que Moscou ne permettra pas à l’OTAN
de transformer la Yougoslavie en protectorat! Quant à Washington,
il n’est pas question de remettre en cause l’opération “Force
alliée”. Toutefois, tous les choix de l’Alliance atlantique ne font
pas l’unanimité. De plus en plus, des voix discordantes se font
entendre.
A chaque jour de bombardement, les Etats-Unis s’interrogent non seulement
sur la finalité mais, aussi, sur la genèse de ces bombardements.
Le N.Y. Times, suivi du Washington Post ont réalisé une enquête-fleuve
sur les mois qui ont précédé le déclenchement
de cette crise. Ce qui n’est certainement pas une coïncidence, mais
le reflet de certains états d’âme des acteurs. On y décrit
un processus de décision tâtonnant entravé par des
facteurs extérieurs: 1998 a été une année électorale
et le président a été accaparé jusqu’en 1999
par l’impeachment, pendant plusieurs mois, l’affaire du Kosovo étant
reléguée à l’arrière-plan des préoccupations
nationales. Aujourd’hui, elle est omniprésente et les sondages prouvant
que l’opinion publique est prête à toutes les éventualités,
à condition que cela conduise à la sortie. Une sortie que
nul n’entrevoit aujourd’hui, le président Clinton continuant à
exclure l’utilisation des forces terrestres, trop sensibles et devant solliciter
les prochains jours au Congrès le financement des opérations.
Ses adversaires républicains eux-mêmes se trouvent dans la
plus grande confusion, sur la suite à donner à la campagne!
Et l’ONU continue à figurer parmi les abonnés absents!
DILEMME ET CACOPHONIE
Jacques Chirac s’est bien gardé d’évoquer l’envoi éventuel de troupes au sol, au Kosovo, en s’adressant à la presse jeudi soir. Il n’a fait aucune allusion à une intervention terrestre et le lendemain, l’Elysée a confirmé qu’il fallait mener jusqu’à son terme, la stratégie de l’OTAN - à savoir l’option aérienne. Du reste, il avait précisé la veille que les frappes allaient s’intensifier. Tout le monde ne semble pas de son avis. Tony Blair, pour sa part, indiquait, quelques heures avant, que seule une intervention terrestre serait décisive, même Javier Solana, secrétaire de l’Alliance, n’exclut pas cette hypothèse. Dans le Washington Post, il affirme avoir invité le commandement allié à réviser ses plans”. Il faut montrer à Belgrade que toutes les options sont sur la table.”
La question, en tout cas, était au centre des discussions du
sommet de l’Alliance durant le week-end à Washington. Toujours est-il
que le président Clinton demeure très prudent sur la question:
“L’envoi de militaires sur le terrain ne s’improvise pas. Plusieurs options
se cachent derrière le vocable option terrestre.” Le terme générique
d’option peut recouvrir beaucoup de choses, jusqu’à une reconquête
pied à pied du terrain; il y a, aussi, un moyen terme qui est la
création d’un corridor humanitaire sur une portion limitée
du terrain. Pour l’instant, seule la première option est envisagée
par les Etats Unis et les autres ne se posent pas. Pourquoi? Eh bien! parce
que l’on a beaucoup reproché à Bill Clinton d’avoir fixé
d’emblée “jusqu’où il n’irait pas”. Parce que dans un conflit,
il faut être prêt à toutes les éventualités
et il est normal d’en étudier la faisabilité, ce que réclame,
d’ailleurs, une partie du Congrès.
Pour l’instant, on sait qu’il faudrait des semaines, voire des mois,
pour constituer et rendre opérationnelle une force terrestre offensive.
Il suffit de réaliser quels efforts de décision et de logistique
a nécessité le déploiement des hélicoptères
du type “Apache”. Et à la veille du sommet de l’OTAN, il est tout
à fait normal que les Etats-Unis soient prêts à discuter
entre autres l’opportunité d’utiliser des troupes terrestres.
Pour l’heure, les Alliés se contentent des bombardements. Ainsi,
la nuit du jeudi, la résidence du Premier yougoslave a été
détruite. Slobodan Milosevic ne s’y trouvait pas - mais c’est une
cible hautement symbolique: des murs entiers ont été réduits
en ruine et la TV serbe a montré les images du bâtiment, une
grande villa sur les hauteurs de Belgrade datant des années 30 qui
avait été auparavant la résidence du maréchal
Josip Tito. Ce bombardement est survenu quelques heures avant l’arrivée
à Belgrade de Victor Tchernomyrdine, représentant spécial
du président russe, pour la Yougoslavie. “Nous sommes venus, a-t-il
affirmé, avec des propositions spécifiques pour arrêter
cette stratégie.” Il a rencontré tout de suite, après
son arrivée, Slobodan Milosevic et il s’est fait l’écho d’un
rapport distribué à la presse par le ministère des
Affaires étrangères yougoslave: un bilan depuis le début
des frappes de l’OTAN, 500 civils auraient été tués,
selon Belgrade.
Pour faire plier les genoux à Belgrade, à part l’intensification de la campagne médiatique et la possibilité d’un embargo pétrolier, l’Alliance est fièvreusement à la recherche de nouvelles tactiques dans le système des bombardements. Ainsi accentuer ceux-ci dans les prochaines semaines en particulier au Kosovo, qui est à l’origine des expulsions! Sinon, envisager la levée du tabou sur l’intervention directe de troupes, ce qui nécessiterait du temps - malgré les scénarios prévus - de l’argent et 200.000 hommes. Cette option est basée sur la certitude que les Serbes, face à une offensive terrestre fuiraient, mourir pour le Kosovo ne leur souriant guère! Pour finir, ironie du sort, c’est le 23 que l’OTAN célèbre
son jubilé avec pour toile de fond, le conflit balkanique. C’eût
été l’occasion de se réjouir mutuellement, d’avoir
gagné la guerre froide et d’avoir étendu l’OTAN aux pays
de l’Est. Mais l’affaire du Kosovo met un bémol aux réjouissances!
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