PROPOS DÉCOUSUS |
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On
m’a fait savoir que ma manie de parler politique dérangeait pas
mal de gens et qu’au lieu de faire une fixation sur les hommes au pouvoir
et de tourner en rond comme un chat qui essaie de se mordre la queue, je
ferais mieux de sortir davantage et de m’intéresser à des
sujets plus généraux, comme l’art, la culture, voire la mode...
Et pourquoi pas après tout? Quel meilleur endroit qu’un dîner
dans la “High Society” pour changer de disque?
Avez-vous jamais prêté l’oreille aux propos qu’on échange au cours de ce genre de manifestation? Ainsi, il m’a été donné d’entendre un bout de conversation entre une dame “qui-a-beaucoup-vu-beaucoup-voyagé” et un critique d’art dont l’opinion fait localement autorité. La dame disait: “J’ai été surprise de constater que les dessinateurs du Maghreb exécutaient très bien certains motifs géométriques...” Ce à quoi le critique répondait d’un ton pénétré: “Oui, leurs œuvres sont effectivement remarquables de fidélité.” Je ne suis pas une “dame-qui-a-beaucoup-voyagé”, ni un critique d’art averti, mais j’aimerais quand même savoir le pourquoi du “remarquables”. Qu’y a-t-il de remarquable dans le fait que des dessinateurs du Maghreb aient pu exécuter des “lignes géométriques” avec fidélité? Pourquoi devrions-nous être surpris que des gens dont les ancêtres ont inventé l’art des arabesques se soient révélés capables de dessiner des arabesques à leur tour? Un peu plus loin, un banquier et non des moins cotés, parlant d’un journaliste toujours en exercice, disait: “Il a 80 ans, mais tout l’intéresse. Il lit les journaux d’un bout à l’autre et est au courant de tout...” Pourquoi ce “mais”? Qu’y a-t-il de si remarquable au fait qu’un journaliste lise les journaux? Et si ça ne l’intéressait pas à 80 ans, quand ça devrait-il commencer à l’intéresser? Comme vous voyez, je ne parle pas de politique. Mais à l’autre bout du salon, un groupe d’hommes d’affaires en parlait, par contre. L’un d’eux disait (parlant de quelqu’un dont je n’ai pas entendu le nom): “...et à propos de grand et de grandeur, connaissez-vous la définition d’un mégalomane: c’est quelqu’un qui s’imagine que s’il n’était pas né, les gens se seraient toujours demandé pourquoi.” Un autre parlait du chef du gouvernement. A son avis, le Premier ministre appartenait à une école politique où il était de très mauvais goût de nommer les choses par leur nom. Ainsi, on ne prononce pas le mot “emprunt”, c’est prohibé. On dit: “Une émission de bons du Trésor” pour couvrir une dette de 1.130 milliards. On ne dit pas que le ministre des Finances a claqué les portes, ni qu’il a été scotché sur sa ligne de départ, mais qu’il se remet d’un surmenage dû à la préparation du budget. On n’avoue pas que le ministre Frangié se cantonne dans un silence inexplicable, ni que d’autres ministres, par contre, semblent pris d’un délire de déclarations qui n’ont aucun rapport avec leurs départements respectifs. On dit qu’une harmonie totale règne au sein du gouvernement. Pudeur, qui me rappelle à moi l’histoire de cet ambassadeur de France à Madrid qui (au siècle dernier), voyant passer la souveraine très élégante s’est exclamé: “Quelle belle jupe porte la reine!” s’attirant d’un haut dignitaire espagnol offusqué une véritable remise en place: - Monsieur, la reine d’Espagne n’a pas de jupe. Et comme le diplomate ahuri balbutiait: - Mais comment donc appelez-vous ce vêtement qui recouvre les jambes de Sa Majesté? Le grand d’Espagne de répliquer sèchement: - Monsieur, la reine d’Espagne n’a pas de jambes!... Evidemment, ce genre d’infirmité pourrait être ennuyeux pour un Premier ministre obligé de courir entre les uns et les autres, afin de réaliser au mieux cette “parfaite harmonie” qu’il évoque souvent, presque les larmes aux yeux. Mais cela serait plus ennuyeux si, à force de se faire tyranniser par les uns et les autres, il donnait libre cours, aux hommes d’affaires du dîner en question, pour paraphraser ce grand d’Espagne: Monsieur, le gouvernement libanais n’a pas de tête... |
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