tribune
DE JAMES MONROE À BILL CLINTON

L’évolution de la politique américaine d’un extrême à l’autre, de la non-ingérence à l’ingérence, s’est faite très lentement avant de recevoir maintenant une brusque accélération. Jusqu’où ira-t-elle? Jusqu’à l’instauration d’un empire universel?...
Entre la formulation de la Doctrine Monroe, en 1823 et la création de l’OTAN en 1949, il s’est passé 126 ans; mais entre une OTAN conçue comme une organisation de défense collective et l’OTAN qui vient de naître à Washington pour son cinquantenaire, il y a un changement fondamental.
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Un rappel des faits historiques ne serait pas sans intérêt:
En 1823, la libération des Etats-Unis de la domination britannique était encore relativement récente. Entre l’indépendance de 1873 et 1823, il y avait eu, en 1812, une tentative anglaise de reprendre la colonie perdue. Elle avait échoué en 1815 et la doctrine du président Monroe venait alors affirmer le refus de toute ingérence européenne sur le continent américain et la volonté des Etats-Unis de ne pas se mêler des affaires de l’Europe. Il s’agissait pour Washington de se protéger contre un retour offensif du colonialisme qui caractérisait la politique des grandes puissances européennes. En même temps, les Etats-Unis entendaient avoir les mains libres pour étendre leur territoire (Louisiane, Floride, Texas, Californie...) et leur influence sur les pays voisins (Mexique, Panama, Cuba...). Neutralité par rapport à l’Europe, expansionnisme partout ailleurs (bientôt: occupation des Philippines, avec un pied à terre en Océanie, Hawaï).
Il aura fallu deux guerres mondiales, où l’intervention américaine fut décisive, pour ébranler les certitudes de l’isolationnisme du XIXème siècle. Mais en 1919, au moment du Traité de Versailles, on n’y renonçait pas encore. D’où le refus de ratifier ce traité et d’adhérer à la SDN. Il faudra attendre la Seconde Guerre mondiale pour qu’enfin l’Amérique prenne tout à fait conscience de son appartenance au monde et de ses responsabilités. Elle en est, aujourd’hui, à prôner la “mondialisation”: elle en a inventé tous les instruments et les maîtrise. Que de chemin parcouru!
Sa puissance militaire et économique atteint un niveau tel qu’elle domine tous ses partenaires et leur dicte leur conduite au nom de ses propres “intérêts nationaux”.
Ne dit-on pas déjà que la guerre des Balkans aura pour conséquence l’affaiblissement de l’économie européenne, donc de l’euro qu’on cherchait à opposer au dollar? Et que tel est le véritable but de cette guerre?
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La déclaration finale du cinquantenaire de l’Alliance atlantique prend exactement le contre-pied de la Doctrine Monroe. Il est bien évident que celle-ci était devenue complètement obsolète depuis bien plus de cinquante ans. Mais avec la création de l’ONU, c’est, principalement, sous le couvert de celle-ci et par ses procédures que la politique américaine était engagée dans les affaires du monde. Désormais, dans le cadre de l’OTAN, elle peut s’en saisir directement. Tel est le sens de ce “concept stratégique” défini par la déclaration du 24 avril 1999 en ces termes:
“L’Alliance doit se tenir prête, au cas par cas et par consensus, à contribuer à la prévention efficace des conflits et à s’engager activement dans la gestion des crises, y compris des opérations de réponse aux crises.”
Tout le texte de la déclaration va dans le même sens mais c’est ce paragraphe qui l’éclaire le mieux: il autorise l’intervention militaire. 
Jusqu’ici, l’OTAN se présentait comme une organisation régionale de défense collective au même titre que plusieurs autres du même genre dans le monde, quoique avec des moyens bien supérieurs. Maintenant, elle se définit comme l’équivalent du Conseil de Sécurité de l’ONU dont le rôle pour le maintien de la paix n’est rappelé dans le texte que pour la forme (et pour apaiser le président français) mais sans aucun engagement à son égard.

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Pour ce qui nous concerne, nous devons bien retenir ceci: la notion de “région euro-atlantique” qu’est le domaine de l’OTAN, s’étend maintenant à toute l’Europe (et, par le système du “partenariat”, à la Russie) jusqu’à la Turquie. Membre de l’OTAN, où elle est en perpétuelle opposition à la Grèce (notamment au sujet de Chypre), la Turquie est devenue l’alliée d’Israël, lequel collabore avec les Etats-Unis sur le plan militaire. Au surplus, Ankara a des vues sur l’Irak du nord, région pétrolifère où les Kurdes lui posent problème.
Ainsi, toute la région du Proche-Orient se trouve couverte, de fait sinon en droit, par l’OTAN et ses prolongements. On l’a, d’ailleurs, bien vu au moment de la guerre du Golfe quand plusieurs puissances européennes étaient coalisées, sous la houlette de l’Amérique, avec la plupart des pays arabes.
Depuis, ce sont les seuls “intérêts nationaux” des Etats-Unis qui sont invoqués pour justifier les opérations aériennes que poursuivent Américains et Anglais dans le ciel irakien.
Alors que l’action de l’OTAN en Europe est censée se décider par consensus (ainsi que le souligne le traité revisé de l’organisation), à la périphérie de ce domaine, c’est l’Amérique seule qui est le maître du jeu.
Ainsi, on voit comment d’une position de neutralité et d’isolationnisme, l’Amérique a évolué en cent-cinquante ans, à une politique d’interventionnisme tous azimuts, au nom de ses “intérêts nationaux”, sans qu’on sache toujours ce qu’elle entend par là.
L’ironie de l’Histoire, c’est que ce passage lent et sûr d’un extrême à l’autre revêt son expression officielle aujourd’hui sous la présidence d’un homme comme Bill Clinton qui n’avait jamais été intéressé par les relations internationales et qui, dans sa jeunesse, s’était même arrangé pour n’être pas mobilisé au moment de la guerre du Vietnam.

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