LA GUERRE DU KOSOVO DANS SON CONTEXTE

L’OTAN est bien décidé de venir à bout des émissions de la TV serbe au cours de la 37ème nuit de bombardement. Les avions de l’Alliance ont touché le siège du parti de Slobodan Milosevic et, plus particulièrement, l’émetteur se trouvant sur le toit de l’immeuble qui abrite le parti socialiste.
 
 

Le pont de Novi Sad 
sur le Danube bombardé.

Cliché d’un F16C américain, 
pris de nuit, lors d’une opération de 
remplissage de carburant en plein vol.


Les hélicoptères Chinook transportant 
des canons  pour porter des renforts 
aux troupes basées en Albanaie.

La TV serbe a néanmoins poursuivi ses programmes. On sait qu’elle avait conclu un accord avec cinq chaînes privées qui diffuseront ses bulletins d’information. Le vice-premier ministre Vuc Draskovic avait affirmé que c’est l’armée qui a ordonné aux cinq chaînes de relayer les “journaux” de la télévision nationale - ordre qu’il a entériné. Puis, mauvais point pour l’image de marque de l’OTAN: un hélicoptère “apache” l’un de ces fameux tueurs de chars”, s’est écrasé au cours d’une mission d’entraînement non loin de Tirana. Les deux pilotes sont sains et saufs, mais il n’y a rien à récupérer de l’appareil. Vingt-trois hélicoptères “apaches” sont arrivés en Albanie, mais ne sont pas encore entrés en service.
Le Kosovo est presque totalement vidé de sa population: les derniers réfugiés ont bien du mal à atteindre la frontière. Selon le HCR, 30.000 Kosovars se dirigeraient vers la Macédoine, actuellement.
Dans le nord de l’Albanie, un camp de réfugiés kosovars, verrait un transfert progressif vers le sud du pays. Malgré l’autorisation finalement accordée aux réfugiés de Kukes, de quitter le nord à bord de leurs tracteurs, au moins pour ceux en bon état, pour convaincre ceux encore réticents à s’éloigner de la frontière et à enterrer en même temps l’espoir de revenir au Kosovo, le HCR propose des visites d’évaluation: concrètement des délégations de Kosovars s’envoleront en hélicoptères de Kukes vers des camps situés plus au sud: Objectif du point de vue HCR: que les réfugiés en apprécient le confort et la sécurité et retournent en convaincre leurs compagnons d’infortune. Pour le HCR, il y a désormais urgence: une course contre la montre s’engage vis-à-vis des autorités albanaises bien décidées, elles aussi, à désengorger le nord du pays et dont les méthodes pourraient s’avérer moins diplomatiques!
Le comité international de la Croix-Rouge va peut-être pouvoir enfin entrer au Kosovo. le président du C.I.C.R. a rencontré Slobodan Milosevic et obtenu l’autorisation d’intervenir sur tout le territoire yougoslave, y compris le Kosovo, pour aider les réfugiés et les personnes déplacées. Sur la même place, nombre de celles-ci, arrivées en Albanie, ont accusé les forces serbes d’avoir massacré 200 villageois dans la région de Djakovica.
 

Les ministres des A.E. grec, 
Georgious Papandriou, canadien Lloyd Axworthy et russe Igor Ivanov pressant la main de Koffi Annan à la suite 
de leur rencontre à Moscou.

Les débris d’un des deux F16 
tombés, dimanche, 120 Km à l’ouest de Belgrade. 

CRAQUEMENTS PARMI LES ANCIENS ALLIÉS
DE MOSCOU ET... MÊME EN YOUGOSLAVIE
Pendant que l’OTAN poursuit son matraquage aérien systématique semant la mort, la fuite, la famine et la destruction, compte tenu de sa nouvelle bavure à Surdulica qui a tué vingt civils, pour forcer Milosevic à jeter l’éponge - et que les rescapés traquent chiens et chats dans les ruines pour s’en nourrir alors que l’exode s’accentue - on discerne dans les pays environnants des atermoiements de plus en plus fréquents, voire en Hongrie voisine, au Monténégro, en Macédoine jusqu’au cœur même de la Yougoslavie, à Belgrade.
La Hongrie, elle, est partagée entre sa loyauté à l’OTAN et son intérêt à ménager son ancienne appartenance au Pacte de Varsovie. Elle craint le piège de la déchirure. Le blocage par Budapest pendant trois jours d’un convoi d’aide humanitaire russe et biélorusse destiné à la Yougoslavie, avait déjà indisposé Moscou: il lui faut redoubler de prudence. A cela s’ajoutent des craintes sur la minorité de souche hongroise, vivant dans la province serbe de Voïvodine, 350.000, pratiquement “otages” de Slobodan Milosevic.
Pas question non plus de laisser décoller des avions dans le but de bombarder l’ennemi: la base de Taszar, administrée par l’OTAN, à une centaine de kms de la frontière yougoslave, ne joue qu’un rôle logistique. Car à trop se montrer, l’alliée de l’OTAN, Budapest ne risque-t-elle pas ultérieurement une “revanche” russe? Quand les troupes de l’Alliance auront quitté la région et que les Hongrois resteront voisins de la Yougoslavie, qu’en sera-t-il de leurs relations bilatérales?
D’autre part, le Monténégro va-t-il s’embraser à son tour? Afin de reprendre en main cette petite république de 700.000 habitants dirigée par des réformateurs hostiles à Milosevic et pro-occidentaux, l’armée yougoslave a intensifié ses pressions et même ses tentatives de déstabilisation. Les militaires ont, également, exigé la subordination de la police monténégrine, mais le ministre de l’Intérieur monténégrin aurait refusé d’obtempérer, comme aussi à l’intention yougoslave d’instaurer des tribunaux militaires, pendant que le président Djukanovic dénonce aussi une mobilisation forcée de jeunes Monténégrins dans l’armée fédérale. La tension, selon la rumeur qui court, est à son comble, car le pouvoir soupçonne l’armée yougoslave de vouloir entraîner la petite république dans la guerre, ou alors dans la diversion d’une guerre civile!
 
DRASKOVIC, LIMOGÉ

A Belgrade, alors, le vice-premier ministre Vuc Draskovic s’est démarqué d’une façon spectaculaire de la politique officielle du régime de Slobodan Milosevic. “La vérité c’est que nous sommes seuls, a-t-il souligné. L’OTAN est loin de s’effondrer, la Russie n’aidera pas militairement la Yougoslavie et l’opinion internationale est liguée contre nous!” Cette prise de position met, pour la première fois en plein jour, une indéniable cassure au sein de la coalition au pouvoir. Non seulement, mais M. Draskovic s’est prononcé pour le déploiement d’une force de l’ONU au Kosovo, option jusqu’à présent refusée par Milosevic.

Sur le plan diplomatique, les entretiens à Moscou entre le secrétaire d’Etat adjoint américain Strobe Talbot et les Russes n’ont débouché sur aucun progrès. Quoique la poursuite de ce dialogue ne peut en masquer la négativité totale! Quant à Kofi Annan, il ne peut exercer d’influence que si les cinq grandes puissances sont unies. Aussi pour l’heure, l’ONU et les Occidentaux excluent-ils toute initiative du secrétaire général des Nations Unies.
Conclusion: on fait du “sur-place” avec tous les risques que cela comporte, en tenant compte des facteurs inconnus - telle une intervention terrestre - à l’heure où l’on s’y attend le moins. Toutes les surprises sont possibles. Preuve en est, qu’un flash passant sur l’écran annonce le limogeage de Vuc Draskovic. Il a été démis brutalement de ses fonctions par le Premier ministre fédéral “en raison de ses interventions contraires aux positions du gouvernement”. Dans la foulée, trois ministres sympathisants ont démissionné. Comme on le voit les événements se précipitent... 


DE LA LIBÉRATION DES TROIS MILITAIRES AMÉRICAINS,  AUX TRACTATIONS,
AUX ANTICIPATIONS, AUTRES ÉCHECS ET ESPOIRS!
Les trois soldats américains capturés il y a un mois ont été libérés.

Le président Milosevic a tenu parole. Cette libération a été obtenue par le pasteur américain Jackson. Ils ont franchi la frontière croate à pied, en se tenant par la main. Après avoir rejoint Zagreb, ils se sont envolés pour une base américaine en Allemagne.
Cette libération a été accueillie avec un grand soulagement par les familles des soldats.
Il paraît que le pasteur Jackson serait porteur d’une proposition de paix du président Milosevic sous forme de lettre au président Clinton, comportant quatre thèmes: le retour des réfugiés kosovars, le déploiement d’une force internationale du maintien de la paix au Kosovo, la fin des violences de toutes les parties et un règlement politique négocié pour la province serbe. De son côté, une délégation du congrès américain a annoncé avoir négocié les conditions du règlement du conflit avec une équipe de députés russes et un conseiller de Milosevic.
 
 

Le pasteur Jesse Jackson entourant 
de ses bras les trois GI’s libérés.


Le retour des prisonniers Stone, Gonzalez et Ramirez, portant tous trois des drapeaux américains pliés.


Le sergent Christopher Stone 
appelant sa famille d’un portable.

La situation humanitaire est toujours aussi préoccupante. “Médecins sans frontières” a rendu public, aujourd’hui son rapport sur l’audition de centaines de réfugiés; rapport accablant et pour le moins très explicite: “Histoire d’une déportation”, qui souligne le caractère systématique des déportations de Kosovars.
L’arrivée des réfugiés a repris dans le nord - est de l’Albanie où plus de 13.000 nouveaux réfugiés ont traversé le poste de Morina au cours des dernières vingt-quatre heures. Les réfugiés sont arrivés à bord de plusieurs milliers de véhicules, des tracteurs qui ont des remorques bâchées de plastique transportent des paysans, des voitures ployant sous le poids des bagages bondés de familles citadines. Selon le HCR, la principale ville du Kosovo est en train d’être vidée de ses habitants par les Serbes.


La rencontre du Premier ministre français,
Lionel Jospin et du président
macédonien Kiko Gligorov.

Le Premier ministre français est arrivé à Tirana, la capitale albanaise. Au cours de sa visite de deux jours, comprenant la Macédoine, le chef du gouvernement français a eu des entretiens avec les dirigeants des deux pays et visité les camps de réfugiés et rencontré les forces militaires françaises sur place. Lionel Jospin s’est rendu au siège du gouvernement macédonien pour signer un protocole d’aide urgente: une aide économique et humanitaire de deux-cent millions de francs au total. Hier déjà, il avait annoncé que la France avait débloqué cent soixante-dix millions de francs pour l’Albanie. Le Premier ministre s’apprête à quitter la Macédoine pour le Caire - où il doit effectuer une visite de 24 heures. Sur le plan militaire, le pilonnage continue de plus belle en multipliant les frappes - et aussi les bavures! Un missile aurait ainsi dévié de sa trajectoire sur un poste de police, non loin de l’hôpital de Pancevo, une ville industrielle à 20 kms de Belgrade où se trouve une raffinerie de pétrole. L’alliance a admis six bavures meurtrières en cinq semaines de frappes et d’autres menus incidents où les bombes auraient raté leurs cibles. Les risques de métier, quoi!
De son côté, M. Tchernomyrdine, arrivé à Belgrade en est reparti, après ses rencontres à Bonn et à Rome pour tenter de faire progresser la recherche d’une issue diplomatique au conflit, dans la communauté internationale. Selon lui, il reste une petite chance de trouver une issue diplomatique dans les Balkans. L’émissaire russe est rentré à Moscou. L’OTAN venait de refuser un proposition de Milosevic qui s’était déclaré prêt à recevoir une mission “non armée” des Nations Unies.
Le ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine sur les antennes, réfléchissait sérieusement à l’après-guerre: “S’agissant du Kosovo, l’idée se précise d’accorder à la province séparatiste une autonomie substantielle au sein de la Fédération yougoslave, avec une tutelle internationale et des administrations transitoires, que la France souhaite voir confier à l’Union européenne le moment venu.” Les voisins de la Serbie ne sont pas oubliés: dessiner à l’Albanie et à la Macédoine une perspective politique sérieuse permettant de les arrimer de plus en plus à l’Europe. C’est dans la droite ligne de ce que la réunion élargie des ministres des Affaires étrangères, avait décidé le 14 avril dernier, à savoir: l’organisation d’une grande conférence sur les Balkans, en principe le 27 mai. C’est plutôt prématuré de savoir ce qui pourrait s’y décider, mais il y a, actuellement, une quinzaine de propositions allant de la simple charte au pacte de stabilité. Il y a, aussi, des propositions financières pour venir en aide à ces deux pays, ainsi qu’à d’autres pays voisins: Roumanie, Croatie, voire Bulgarie. Mais dès aujourd’hui, le Premier ministre Lionel Jospin devrait annoncer un moratoire sur les dettes albanaise et macédonienne.
Quant à l’embargo pétrolier contre la Yougoslavie, il est entré en vigueur, le 29 avril. Un embargo mis au point par la Commission européenne qui prévoit l’interdiction de la vente de pétrole à la République fédérale y compris la Monténegro - malgré l’opposition russe! Entretemps une série de destitutions est venue alourdir encore le climat! Sans revenir sur celle concernant le vice-Premier ministre yougoslave Vuc Draskovic, accusé par Milosevic, d’avoir exprimé des opinions non conformes à celles du régime - il y a celle de Vadim Goustov, - encore un vice-Premier ministre, russe, cette fois - le bras droit d’Evguéni Primakov et décidée par Boris Eltsine et son remplacement par Sergueï Stepachine ex-ministre de l’Intérieur. Autant d’indices à l’Est que tout ne tourne pas rond. Surtout l’apparition sur les écrans des deux télévisions respectives - mais moralement alliées - le visage glacial d’Evguéni Primakov en guerre feutrée contre Boris Eltsine, qui le recevait et celle de Vuc Draskovic, méconnaissable après son éviction et effondré, qui pour compléter le tableau a cru bon devoir se blanchir en s’aplatissant encore plus: “Ne nous croyez pas divisés, non! Nous sommes tous unis contre l’OTAN agresseur!” A quelles gesticulations nous conduit la peur du bâton!



LE HAUT COMMISSARIAT DES RÉFUGIÉS HAUSSE LE TON!
La situation humanitaire est toujours aussi préoccupante aux frontières du Kosovo.

Le HCR considère ou plutôt estime même que le seuil “d’émeute” a été atteint dans les camps de réfugiés de Macédoine, en raison de la surpopulation. Puis, pour la première fois, le HCR décide de rendre publics les témoignages des réfugiés sur un massacre qui aurait été commis par les forces serbes non loin de Djakovica, au Kosovo - concrètement cela signifie que le siège de Genève veut donner de la crédibilité à ces témoignages authentiques - malgré les cyniques démentis yougoslaves, en raison de leur multiplication et de la similitude des versions recueillies, selon un porte-parole du HCR. Il faut dire que, depuis un certain temps, les témoignages sur les exactions serbes deviennent de plus en plus précis. En Albanie, par exemple, les réfugiés expliquent que les familles s’entassent dans les tracteurs, que les hommes sont arrêtés et les maisons incendiées... La plupart arrivent en tracteurs, tassés par familles entières dans les remorques. Un homme raconte que, dans son village, “seuls les conducteurs des tracteurs n’ont pas été arrêtés par la police serbe, à l’inverse de tous les autres. Cette femme, par exemple, venue du village près de Djakof, a laissé son fils malade derrière elle. “Ils m’ont mis un pistolet automatique sur la gorge et ils m’ont dit: Sors avec toute ta famille. Je n’ai rien pu emporter avec moi, vêtements ou linge... Et pendant que nous attendions dehors, ils ont mis le feu à ma maison. Je l’ai vue brûler sans pouvoir en sauver quoi que ce soit! Et maintenant, on n’a plus rien... L’Albanie est devenue pour nous un rêve! On ne sait plus quoi faire...”
On voit, aussi, beaucoup de réfugiés franchir la frontière en carrioles, tirées par des mules.
D’autres, des milliers de personnes écroulées sur le bord des routes en état de choc, les pieds en sang à force d’avoir marché... ne sachant plus où aller!
Le calvaire du Kosovo en combien de stations? C’est pourquoi, le HCR a décidé dans le cadre de ses attributions, de hausser le ton pour alerter l’opinion internationale.

par CHARLES E. HANANIA

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