Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD

MÈRE OU MARÂTRE, DOCTEUR?

Suite à mes incursions dans le grand monde (comme certains me l’avaient suggéré), j’ai appris non seulement l’art de dire des riens mais, aussi, la subtilité des titres. C’est bien simple, la plupart de ceux qui ont franchi le cap du brevet élémentaire se font volontiers donner du “docteur”, long comme le bras. A croire que le Liban tout entier s’est recyclé dans une gigantesque faculté de médecine. Et comme nos “docteurs”, dans leur écrasante majorité, ne le sont qu’honoris causa et dans des disciplines qui n’ont rien à voir avec le monde médical, cela débouche souvent sur des situations pour le moins gênantes.
Un ami médecin m’a raconté l’histoire de ce monsieur qui, s’étant trouvé isolé par la neige dans un chalet de montagne, a appelé, à trois heures du matin, au chevet de sa femme qui ressentait les douleurs de l’accouchement, un voisin docteur qui, les yeux gonflés à la fois de sommeil et de stupeur, dut avouer que son “doctorat honoris causa” en urbanisme ne l’avait pas préparé à pratiquer une césarienne sur une table de cuisine.
J’ai beau ne pas vouloir parler politique, mais je ne peux m’empêcher, à ce propos, d’évoquer un autre docteur (en économie, celui-là) Salim Hoss qui essaie, péniblement, de faire accoucher les émigrés libanais de quelques milliards de dollars. Réussira-t-il? Nous pensons, sincèrement, que l’opération est encore plus malaisée que la césarienne de l’urbaniste.
Avec presque des sanglots dans la voix, le Premier ministre a joué surtout de la corde sentimentale. Prenant la parole devant un récent congrès des émigrés, il les a adjurés de ramener leurs capitaux et de les investir dans la mère-patrie. Laquelle mère-patrie a besoin de tous ses fils pour sortir de l’abîme où l’a précipitée une dette de 20 milliards de dollars dont une partie a été subtilisée par d’autres fils jadis au pouvoir (ça, c’est de moi) et dont les résidents ordinaires n’avaient pas la première piastre (ça aussi c’est de moi après un coup d’œil jeté sur mon ex-compte en banque).
Emouvant, le discours du Dr Hoss l’était. Mais hélas! aucun émigré n’a sorti un mouchoir pour essuyer une larme. Non pas que nos compatriotes d’outre-mer soient insensibles au romantisme, mais tout simplement parce qu’ils ne s’estiment pas concernés, vu qu’on ne les considère pas - officiellement et légalement - comme des Libanais.
N’est-ce pas le Dr Salim Hoss qui, lorsqu’il n’était alors que simple député, s’est élevé contre la promesse faite par le président Hraoui - lors de sa visite au Brésil - de restituer leur citoyenneté à tous les Libanais d’outre-mer qui en feraient la demande?
N’est-ce pas lui - et beaucoup d’autres - qui ont manifesté leur opposition au fait de donner leur droit de vote à ceux porteurs d’un passeport libanais qui demandaient à voter dans leur pays de résidence, alors qu’il a admis, sans réticence, que les nouveaux naturalisés exercent ce droit sitôt leur naturalisation?
Et à supposer que ces émigrés se précipitent pour investir leurs capitaux dans la “mère-patrie”, ces capitaux ne seraient-ils pas soumis aux lois libanaises qui imposent des limites aux étrangers, surtout à ceux qui veulent acheter ne serait-ce qu’un terrain pour y construire une maison dans leur village natal?
Le Dr Hoss ne sait-il pas qu’ils seront au Liban des étrangers obligés de justifier leur présence dans le pays et de solliciter chaque année un permis de séjour?
Il existe outre-mer 15 millions de Libanais. Imaginez l’énorme potentiel qu’ils représentent pour la “mère-patrie” si ladite mère-patrie ne se conduisait pas vis-à-vis d’eux en marâtre. N’est-ce pas la Diaspora juive qui fait vivre un Israël qui leur reconnaît automatiquement, par la “loi du retour” leur droit à la citoyenneté? Prenons le cas de la Syrie également, la Syrie sur laquelle nos dirigeants se bousculent pour s’aligner en toute chose. Eh! bien, pour la Syrie, un Syrien d’origine reste à jamais Syrien et aura toujours droit à sa nationalité syrienne.
En fait, les divers gouvernements libanais - y compris celui du Dr Hoss - ont tellement tourné en rond, qu’ils ont fini par se prendre les pieds dans leurs propos contradictoires, entre une politique avouée mais illogique et une politique logique (d’après certains paramètres confessionnels) mais inavouable.
Pour tout dire, nos gouvernants vont se retrouver dans la situation de cet homme qui passa la première partie de sa journée à courir devant son ombre pour tenter de lui échapper et la seconde partie à courir derrière elle pour essayer de la rattraper.
Et après? Après comme à l’issue de toute journée, la nuit tombe et c’est l’ombre qui finit par gagner. 

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