AMBASSADEUR DE CHINE EN POSTE À BEYROUTH DEPUIS AVRIL 99

LIU ZHENTANG: “LE BOMBARDEMENT DE NOTRE AMBASSADE EN YOUGOSLAVIE EST UN ACTE BARBARE DONT LA RESPONSABILITÉ DOIT ÊTRE ASSUMÉE PAR L’OTAN”


Entré en 1969 au ministère chinois des Affaires étrangères, M. Liu Zhentang a été affecté à cette date et jusqu’en 1973 à la direction de l’Asie de l’ouest et d’Afrique du Nord, avant d’être muté en 1973 à Beyrouth en tant qu’attaché près l’ambassade de Chine; puis, de celle de Damas, de 1976 à 1979.
Puis, après avoir été rappelé à l’Administration centrale, il fut transféré à Khartoum (Soudan) en qualité de troisième secrétaire; puis, de second secrétaire de 1985 à 1988 au Caire; ensuite, de chef du département d’Asie de l’ouest et d’Afrique du Nord aux Affaires étrangères jusqu’en 1992. A cette date et jusqu’en 1996, il est conseiller auprès de l’ambassade à Amman (Jordanie) et après un nouveau passage à l’Administration centrale à Pékin, il fut nommé ambassadeur à Beyrouth en décembre 1998; il devait présenter ses lettres de créance le 13 avril 99.

M. Zhentang se souvient du Liban de la belle époque, celle des années 70. “Votre pays, dit-il, était un centre commercial, culturel et touristique florissant. J’en garde les meilleurs souvenirs. Aussi, me suis-je réjoui en apprenant ma nomination à la tête de notre mission diplomatique à Beyrouth, en décembre dernier.
Nos relations n’ont jamais été interrompues, même dans les années trente de la révolution en Chine. Le Dr Mahaïdé, Libanais d’origine né aux Etats-Unis, venu s’installer en Chine en 1933, est une personnalité célèbre qui jouit d’une grande renommée.
Les relations entre nos deux pays se sont officialisées en 1971 quand la Chine est entrée aux Nations Unies. Une nouvelle page a donné lieu à des visites officielles, des accords commerciaux, culturels et même sportifs.
En 1996, il y eut la visite du Premier ministre libanais à Pékin qui s’est terminée par la signature de plusieurs accords.
Le Liban aujourd’hui renaît après 17 ans de guerre. Les travaux de reconstruction dans plusieurs domaines, les facilités des trans-ports contribuent, positivement, à lui redonner sa place vitale au Proche-Orient. Il y a lieu de signaler les conférences et les symposiums qui se tiennent ici, groupant des délégations importantes venues de tous les coins du globe et le secteur touristique connaît un véritable essor. A titre d’exemple, la délégation chinoise sportive vient chaque année à Beyrouth.
Comment qualifiez-vous les relations entre votre pays, les Etats arabes, en général et le Liban, en particulier?
Les relations entre la Chine et les pays arabes sont historiquement traditionnelles et amicales. La voie de la soie et des parfums a lié étroitement nos deux nations. Les quatre grandes inventions chinoises: la boussole, la poudre noire, la fabrication du papier et l’art de l’impression, se sont propagées dans les quatre coins du globe par le biais des Arabes. Le renforcement et le développement des relations d’amitié et de coopération entre la Chine et les pays développés de masse dont les pays arabes, constituent des éléments de base de la politique étrangère chinoise basée sur l’indépendance, la souveraineté et la sauvegarde de la paix. Celles-ci nécessitent l’appui et le soutien de la cause arabe juste, incarnée par la sauvegarde de l’indépendance, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de la lutte contre les ingérences extérieures appelant les Etats arabes à une paix juste et durable dans la région .
Le gouvernement chinois accorde une grande importance au développement des relations d’amitié et de coopération avec le Liban.
En dépit de la distance qui sépare, géographiquement, le Liban et la Chine, cette relation s’intensifie davantage dans tous les domaines.
Notre gouvernement appuie le gouvernement libanais dans ses démarches en vue de la souveraineté du pays et de la sauvegarde de son territoire, notant que le devoir d’Israël est d’appliquer la résolution 425 du Conseil de Sécurité purement et simplement, laquelle stipule le retrait des troupes israéliennes. La Chine souhaite accroître et étendre cette relation de coopération et d’échanges dans tous les domaines économique, commercial, technique, technologique, culturel et éducatif dans l’intérêt des deux pays, afin que cette relation puisse s’infiltrer dans le troisième millénaire d’une façon meilleure. Il existe, à ce sujet, plusieurs sociétés chinoises privées et publiques, ainsi que des hommes d’affaires chinois, qui souhaitent coopérer dans le processus de reconstruction pour aider le Liban à récupérer son rôle en tant que centre commercial, financier, touristique et culturel.
Quelle est la nature des rapports que la Chine entretient avec les Etats de l’ex-Union soviétique, à commencer par la Russie?
Les relations bilatérales avec la Russie revêtent une grande importance. Le gouvernement chinois essaie de les développer d’une manière efficace, par les fréquentes visites officielles et les contacts de haut niveau. Plusieurs visites ont été effectuées en Russie, par le président de la République, Jian Zemin, le président du parlement, Lee Bang, le Premier ministre, Zhu Rongi, ainsi que bien d’autres personnalités officielles chinoises durant les deux dernières années.
De même, le président russe Eltsine et d’autres officiels russes se sont rendus en Chine, ont abordé les relations bilatérales et des sujets à volet international qui les préoccupent et sont arrivés à des dénominateurs communs.
La Chine envisage de renforcer davantage les liens stratégiques de coopération qui se distinguent par l’égalité, la confiance mutuelle à l’aube du XXIème siècle. Cette relation est basée sur les cinq principes de coexistence pacifique avec la Russie, tout en étant convaincu que ces liens servent les intérêts principaux des deux pays, ainsi que les deux peuples dans la même mesure où ceci servira la paix et la stabilité internationale.
Le Premier ministre Zhu Rongji a dit s’attendre à une atmosphère inamicale voire hostile, lors de sa première visite aux Etats-Unis, tout en émettant l’espoir d’un accord sur l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale sur le commerce (OMC). Comment s’annoncent les pourparlers à ce sujet?
La première visite officielle de Zhu Rongji aux Etats-Unis, en avril dernier, a été couronnée de succès. Le Premier ministre s’est entretenu avec de hauts responsables américains. Cette visite a permis de traiter, profondément, les relations bilatérales et les affaires d’ordre régional et international qui revêtent un intérêt commun.
Il a, également, rencontré des personnalités de milieux différents; visité des institutions spécialisées dans l’économie, les finances, la technologie, l’éducation et la culture. Les deux gouvernements sont parvenus à une entente parfaite cherchant à développer d’une façon globale la relation sino-américaine. Le Premier ministre a, cependant, réalisé un grand bond avec l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale sur le commerce.
Cette visite a aidé à mieux se reconnaître, mutuellement et à ancrer la relation d’amitié qui lie les deux pays, car le renforcement de cette relation peut servir leurs intérêts communs et refléter les aspirations des peuples chinois et américain. Cependant, il existe quelques différends, voire une certaine obstination qui font croire à une guerre froide entre eux.
Nous considérons que cette divergence ou ce contraste dans les régimes au double plan social et idéologique, ne doit pas constituer un obstacle entravant l’amélioration des relations mutuelles entre un Etat et un autre. Nous appelons à dissiper les différends par la voie d’un dialogue véritable et souhaitons consolider les liens pour les étendre à tous les domaines: économique, politique, technologique et culturel, selon les cinq principes de cohabitation pacifique. De même, nous espérons intensifier les contacts, à thèmes internationaux dans le but d’aider à instaurer la paix et la stabilité dans le monde.
Comment conçoit-on à Pékin le règlement de la crise du Kosovo et la capitale chinoise s’aligne-t-elle sur Moscou? En cas de déploiement de troupes terrestres par l’Otan, comment le gouvernement chinois réagira-t-il?
La Chine a présenté une vive protestation contre le bombardement de l’OTAN au moyen de missiles, sous la conduite des Etats-Unis, de l’ambassade chinoise à Belgrade. Les engins ont été tirés de trois angles différents, provoquant la mort de trois personnes et en blessant vingt autres. Le siège de l’ambassade a été gravement endommagé.
Ceci est considéré comme une violation flagrante de la charte des Nations Unies, de la convention de Vienne pour les relations diplomatiques et de la convention régissant les relations internationales. Une telle violation de la souveraineté chinoise, est un acte rare dans l’histoire diplomatique. La Chine, gouvernement et peuple, exprime sa plus forte colère et sa vigoureuse condamnation de cet acte barbare. L’OTAN, sous la conduite des Etats-Unis, doit assumer les responsabilités qui en découlent.
Le gouvernement chinois réprouve les frappes aériennes de l’OTAN, sous la direction des Etats-Unis, dès le début et incite à l’arrêt immédiat de l’action militaire de l’Atlantique Nord contre la Yougoslavie, en vue de ramener la crise du Kosovo à la voie du règlement politique.
Les frappes aériennes de l’OTAN, sous la direction des Etats-Unis, se sont intensifiées progressivement, au cours de quarante jours. A présent, des attaques sont dirigées contre les missions diplomatiques, ce qui fait empirer la dégradation de la situation régionale et la crise du Kosovo.
Le gouvernement et le peuple chinois demandent avec fermeté l’arrêt immédiat de l’agression et les frappes aériennes sous la direction des Etats-Unis. Si l’OTAN et les Etats-Unis persistent dans leur agression et les frappes aériennes, allant, ainsi, contre le courant de l’Histoire, il est certain que la condamnation et l’opposition des peuples du globe se poursuivront, y compris le peuple des Etats-Unis et des Etats membres de l’OTAN.
Le gouvernement chinois se réserve le droit de prendre plus de dispositions à ce sujet.
En visitant l’Italie, la Suisse et l’Autriche au mois de mars, le président Zemin a voulu relancer l’offensive de charme en direction de l’Europe, afin de rééquilibrer ses relations avec ce continent et les exportations touchées par la crise asiatique. Quels ont été les résultats de cette “offensive”?
Le président Zemin a effectué une visite officielle en Italie, en Suisse et en Autriche au mois de mars et s’est entretenu avec les dirigeants des trois pays. Il a intensifié les contacts avec les personnalités économiques et culturelles, la visite ayant atteint le but souhaité renforçant encore plus la compréhension mutuelle, élargissant leur accord, poussant les relations sino-européennes à un progrès incessant dans un sens positif et harmonieux.
La Chine accorde une importance capitale à l’évolution des relations de coopération avec les pays européens. Actuellement, on note une amélioration nette et il est dans notre intérêt commun, de défendre la paix dans le monde et de relancer l’économie; les éléments de base existent et sont positifs pour améliorer la coopération dans divers domaines: économique commercial, culturel, technologique.
 La Chine œuvre, sérieusement, pour contribuer à l’établissement d’une relation constructive afin qu’elle s’oriente vers le XXIème siècle et devienne plus constructive.
Quelle est la position de Pékin envers Jérusalem dont Israël revendique la souveraineté et envers l’intention prêtée à Yasser Arafat de proclamer l’Etat palestinien?
Jérusalem est le centre céleste de trois religions et une terre sainte. La Chine appelle les parties concernées à lui trouver une solution juste et définitive par la voie du dialogue pacifique selon les résolutions des Nations Unies et les accords conclus. Ceci pourra contribuer à un règlement global de la crise israélo-arabe.
La Chine pourrait-elle jouer un rôle pour réactiver le processus de paix au Proche-Orient?
La Chine, en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, a positivement contribué à accélérer le processus de paix au P.-O. Elle poursuit ses efforts activement dans ce sens et attire, cependant, l’attention sur la situation dans la région, discute avec les autres Etats membres permanents du Conseil de Sécurité et les parties concernées d’une façon continue de tous les problèmes y relatifs.
Le processus de paix peut connaître une évolution progressive, si les résolutions des Nations Unies sont appliquées, si on adopte le principe de “la terre en échange de la paix” et si les parties en cause manifestent de la bonne volonté et de la logique.
La Chine continue à déployer des efforts avec la communauté internationale pour ouvrir la voie à une solution finale de la crise.
Comment s’annonce l’avenir de Hong Kong après sa prise en main par la Chine et la première année de sa gestion par Pékin a-t-elle été avantageuse?
Après la rétrocession de Hong Kong à la Chine, le gouvernement central chinois s’est engagé à respecter la loi fondamentale qui stipule la non-ingérence dans les affaires intérieures de la région autonome de Hong Kong. Le régime social et la façon de vivre sont restés tels qu’ils étaient auparavant, ce qui a permis au gouvernement de la région d’exercer son pouvoir selon la loi et d’enregistrer des résultats concrets. Hong Kong a conservé sa stabilité et sa prospérité en tant que centre commercial, financier et touristique, comptant sur les avantages du marché du continent chinois qui progressera encore plus d’une façon active et efficace.
A quels problèmes - politique, économique, social ou de toute autre nature - votre pays est-il confronté, requérant des solutions urgentes?
La Chine a accompli de grandes réalisations durant les vingt dernières années touchant à la politique de la réforme et d’ouverture, le revenu national global pour 1998 dépassant mille milliards de dollars américains. Il a quintuplé depuis 1978, ce qui a valu à la Chine d’occuper la septième place dans le monde après les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie.
Les fonds de réserves en monnaies étrangères ont atteint 145 milliards de dollars américains, le commerce extérieur chinois étant passé de la 27ème à la 10ème place (de 1978 à 1998). Le volume des exportations et des importations a atteint 324 milliards de dollars américains; plus de dix produits agricoles et industriels occupent la première place au niveau de la production dans le monde. Ce sont: le charbon, les tissus, les graines, le coton, les huiles végétales, le riz, la viande de bœuf, le ciment, l’acier, les postes de TV, le vidéo, la radio et les frigos.
Le processus du surpeuplement (le nombre d’habitants atteignant 1,2 milliard), le taux du revenu national ne peut dépasser les 800 dollars, il est bien moindre que dans bien des pays développés. Le déséquilibre du développement régional réside dans le fait que 60 millions d’habitants vivent dans la pauvreté. C’est pourquoi, la Chine ne peut atteindre le niveau des pays développés qu’après dix ans et l’effort continu de plusieurs générations. Le chemin est bien long et la tâche est énorme et dure.
La Chine a souffert de la crise financière asiatique et de la catastrophe jamais vue des inondations d’une gravité exceptionnelle de l’année passée. Elle a pu surmonter les difficultés, car elle a veillé à ne jamais diminuer la parité de change de la monnaie chinoise “Remembi”. De plus, elle a réalisé le développement du revenu national, au prorata 7.8%. Cependant, quelques problèmes se posent, actuellement, à titre d’exemple: le flot de la production dû au développement disproportionné, le mauvais fonctionnement des institutions publiques, le chômage, l’aggravation des conditions de l’environnement. Le gouvernement chinois accorde une grande importance à ces problèmes et œuvre pour leur apporter une solution adéquate.
Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?
Mon meilleur souvenir remonte aux années 1973-1976: le Liban était, à l’époque, doté d’une presse toujours active. Je me rappelle à chaque fois que je convoquais la presse libanaise à n’importe quelle heure, elle était présente.
De même, les ministères fonctionnaient excellemment bien, les fonctionnaires étant toujours prêts à rendre service; le trafic aérien intense, la facilité de l’usage des langues étrangères, un chauffeur de taxi possédait le français et l’anglais; les manifestations culturelles, tout vibrait d’activité et de joie de vivre. Ce sont de très beaux souvenirs inoubliables que je garde encore dans ma mémoire; le Libanais étant l’homme par excellence dans le monde.

Propos recueillis par
JEANNE MASSAAD

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