Gagnant du prix du meilleur scénario au Beirut Film Festival pour son court métrage : “Wayn Yo”, également diffusé au Festival de La Rochelle en France (Juin 98) et à l’Institut du Monde Arabe à Paris (Décembre 98) ; la consécration pour ce jeune homme de 26 ans fut atteinte lorsqu’il remporta le 2ème prix International au Festival d’Oberhausen en Allemagne (2.338 films présentés, 69 sélectionnés de 34 pays). Pour enfin se voir proposer l’achat de son film par la chaîne culturelle franco-allemande : ARTE, qui le diffusera prochainement dans le cadre de ses soirées à thèmes.

“Wayn Yo”, est la chronique d’une vie ordinaire. Loin du stress de la capitale, la vie de village avec ses humeurs, ses rumeurs, ses frimeurs… Ce patelin, c’est Zahlé, mais cela aurait tout aussi bien pu être Aley, Beitedine, Chtaura ou Deir el-Kamar, tellement ce film est représentatif de tout le pays. Ce qui saute aux yeux, c’est cette universalité ; typiquement libanais, “Wayn Yo”, englobe les sentiments et comportements de tout un chacun, nous révélant à travers la peinture de cette bourgade, nos manies et nos tics, nos besoins et nos exigences, qui ont, semble-t-il, peu évolué. Même à Achrafieh, certaines familles sont tristes lorsque leur nouveau-né est une fille et non un garçon, affirme le réalisateur. “Wayn Yo” est certes une vision caricaturale, mais en même temps d’un réalisme étonnant. André, atteint parfaitement son but : nous distraire, en nous relatant une tranche de vie d’un village non loin de la métropole, mais si proche dans ses gestes, ses fantaisies. Comme pour nous rappeler que l’on a beau habiter la ville, nos origines se trouvent quelque part aux alentours, une leçon d’humilité en quelque sorte. “Wayn Yo” est un divertissement, frais, vrai, naturel. Ici, pas d’effets visuels mirobolants ou de transitions stroboscopiques ; on est loin d’un clip sur MTV et c’est cette authenticité, ce pittoresque qui ont séduit. Mais au fait, que signifie “Wayn Yo” ? Il s’agit d’une expression passe-partout, qui, pour reprendre la traduction de l’auteur, pourrait se résumer à cela : Salut mec, ça gaze ? Qu’est-ce que tu deviens ? La famille, les frères ?… Ce film est le jardin secret d’André retranscrit sur pellicule. L’histoire commence et se termine avec la “Séha” (place) pour toile de fond. La boucle est ainsi bouclée.

“Wayn Yo” c’est avant tout la concrétisation d’un rêve : celui de regrouper des souvenirs vivaces dans une sorte de conte autobiographique. L’écriture du scénario a nécessité six mois, donnant lieu à dix jours de tournage (durée maximale impartie dans le règlement du diplôme) et deux semaines de montage pour un “court” d’une durée de 13 minutes. Des coupures ont été nécessaires, ce qui a contribué à accélérer le rythme d’un film où l’observation et l’esprit de synthèse de l’auteur ont joué un rôle prépondérant. Le succès n’est pas venu sans peine, puisque le premier projet de diplôme d’André fut refusé, mais la ligne directrice de “Wayn Yo” s’est dès lors précisée dans son esprit. La scène d’une jeune fille séchant le linge est apparue initialement ; cette scène que je vois souvent et qui fait partie de mon quotidien est très visuelle. André est évidemment originaire de Zahlé où ses parents vivent encore, mais qu’il a quitté voici sept ans. Si la majeure partie de son temps s’articule autour de Beyrouth, son esprit est dans son village, où il retourne puiser force et joie chaque week-end. Et c’est un peu cela “Wayn Yo” : une visite de sa ville natale, affectueuse et bon enfant. Lorsqu’un des personnages interpelle le conteur, lui reprochant de passer trop de temps dans la capitale, c’est à André qu’il s’adresse, une sorte de “private joke”, clin d’œil aux remarques qu’il doit souvent entendre à son retour chez lui. Pourquoi Zahlé ? Parce que mes amis, mon ambiance, mes parents sont là-haut ! Tout dans ce film est directement puisé dans Zahlé et de l’entourage du réalisateur et c’est ce qui donne cette formidable impression de réalisme et de spontanéité. Car j’y suis présent. Lorsque je vais dans la maison de ma grand-mère, je me mets sur la véranda, j’écoute les invités, j’observe les passants ; puis je me ballade. Le casting, constitué d’amis, est impeccable ; le jeu des acteurs est criant de vérité, fait d’autant plus rare qu’ils sont quasiment tous amateurs. Seule la maison de ma grand-mère est la vraie ; ma famille m’a beaucoup aidé pour sélectionner les acteurs… André ne joue pas dans le film mais la voix off à l’accent très prononcé est la sienne. Naturellement, lorsque je remonte à Zahlé, mon accent originel prend le dessus, s’amuse-t-il. Il s’agit de ma voix, car il m’était très difficile d’expliquer ce que je voulais exactement. Je visionnais et parlais pour commenter. Je savais parfaitement à quel moment je devais parler de cette scène, de cette fille… Je ne pouvais donc déléguer ce travail à personne ; je voulais aussi que l’accent soit un mélange de Zahlé et de Beyrouth. Cela m’a été d’un grand avantage de tourner à Zahlé, car tout le monde a été accueillant et serviable. Les maisons étaient toujours ouvertes et le café déjà prêt, dès que nous arrivions. Malgré l’encombrement que constitue une équipe de tournage (une quinzaine de personnes), on nous a même proposé de dormir sur place, lorsqu’il se faisait tard. Ce climat nous a véritablement encouragés et nous a permis de bien travailler. Surpris du succès à l’étranger ? D’abord surpris du succès local ; je ne m’imaginais pas du tout être le premier de ma promotion, puisque je voyais le travail de mes amis et j’étais admiratif. Mais j’avais confiance dans le fait que ce film plaira aux Français. Mon rêve était que j’arrive à un festival et que j’y sois reconnu. Confirmation : le film plaît tout court : Libanais, Français, Allemands… tous sont sous le charme. Par souci du détail, André lisait régulièrement le synopsis à son entourage, à des professeurs, ainsi qu’à ses parents à qui il confiait régulièrement les évolutions du scénario. Le parcours d’un jeune réalisateur est également parsemé de doutes : La première fin que j’avais conçue, n’a convaincu personne et je me suis dit : c’en est fait de mon diplôme ! Un soir je me lève en pleine nuit avec cette vision : la chanson de Feyrouz et moi quittant la ville. Le lendemain je retourne à l’ALBA pour monter cette fin ; j’étais tellement soulagé. Le talent modeste, André Chammas estime qu’il est encore tôt pour se lancer dans le long métrage. Je travaille actuellement en tant que free lancer, mais j’ai encore besoin de beaucoup d’expérience dans le domaine cinématographique. Ce film m’a néanmoins stimulé et j’ai commencé l’écriture d’un nouveau court métrage. Serein, s’il est appelé à faire son service militaire, j’aurai le temps de cogiter mon histoire. Quant à l’avenir du cinéma au Liban, André est aussi formel qu’optimiste : Il y a déjà des écoles qui dispensent des études de haut niveau et beaucoup de gens sont passionnés, donc quelques-uns vont obligatoirement sortir du lot. André se sent plutôt libre de faire ce qu’il désire et n’éprouve pas l’étouffement auquel sont en proie certains jeunes. Je n’ai jamais su par quoi ils étaient étouffés ? Par la politique ? Peut-être, mais ceci mis à part, si on se focalise sur d’autres moyens de s’exprimer, on peut parfaitement contourner ce problème et se faire entendre librement. Et c’est bien là notre vœu : entendre parler d’André.

Un plan qu’affectionne
tout particulièrement l’auteur.
“Wayn Yo”, enfin une bonne
“image” du Liban à l’étranger.
“Ma illak illa” Rita.
Un scène où le comique l’emporte
sur le dramatique.
Le flambeur du village.
La fameuse scène du séchage,
celle par laquelle tout a commencé.



  
Les prises ont mis à contribution les villageois, qui se sont prêté de bon cœur au tournage.