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L’AFFAIRE BOB DENARD: UN AVOCAT D’ORIGINE LIBANAISE
RACONTE LA VIE AVENTUREUSE DE CE “MERCENAIRE DE LA CHARITÉ”

ELIE HATEM:  “LA FORMULE CONFÉDÉRALE OU CELLE D’ETATS
ASSOCIÉS ME PARAÎT LA PLUS LOGIQUE POUR LES COMORES”



Me  Hatem s’entretenant 
avec Bob Denard.
Depuis le 4 mai, Bob Denard comparaît devant la Cour d’Assises de Paris, accusé de la mort de l’ancien président Abdallah, des Comores.
La vie de cet illustre mercenaire est un véritable roman qui a inspiré plus d’un cinéaste dont le célèbre hollywoodien Clint Eastwood qui en a acheté le droit de porter ses aventures à l’écran.
A travers la biographie de Bob Denard, on revit une période très agitée de l’Histoire de notre siècle. Du Maroc au Katanga, au Yémen, à l’Irak, à l’Indochine ou encore aux Comores, en passant par le Biafra ou le Bénin, en retournant en Chine... Denard a sillonné le monde et gardé des traces qui servent de références historiques. Il y a un an, il a publié son autobiographie chez Robert Laffont, un passionnant ouvrage de 500 pages. Mais cette biographie demeure inachevée...

Fils d’un sous-officier et neveu de marin, Robert Denard a acquis, très jeune, le goût de l’aventure et du voyage. C’est dans le Sud-Ouest de la France qu’il sent, pour la première fois, l’odeur de la poudre, lors de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était adolescent.
Quelques années plus tard, il devient matelot de seconde classe, avec un brevet de mécanicien. Ensuite, il s’engage dans l’Armée comme volontaire pour l’Indochine. L’aventure commence. En se rendant au secours d’une unité tombée en embuscade, son camion saute sur une mine. Ses compagnons meurent sur le champ, tandis que lui sort presque indemne: il est brûlé au troisième degré. Tout au long de sa carrière, Denard affrontera la mort. Il en sort à chaque fois vivant.
Les premiers coups de cœur commencent, aussi, en Indochine. Sur une jonque, il tombe amoureux d’une Vietnamienne dont il aura un fils qu’il ne connaîtra jamais.

D’INDOCHINE,
EN AFRIQUE ET AU YÉMEN
Après l’Indochine, Denard rentre en France; puis, s’embarque vers les Etats-Unis, en 1950, affecté sur le porte-avions le “La Fayette”. “La vie est belle aux Etats-Unis... Les Américains nous aiment bien, les Américaines, encore plus, ce qui me vaut d’être invité chaque soir à des fêtes copieusement arrosées”, raconte-il. Il repart, ensuite, vers le Maroc où un poste de maintenance dans un aéroport en construction l’attendait. Il s’engage, par la suite, dans la Police marocaine, le Maroc étant encore sous protectorat français. Ses premières relations avec le monde arabe se tissent. Il épousera une Marocaine dont il aura un fils.
Lors du retour du Général de Gaulle au pouvoir en France, en 1958, Denard entre en contact avec des personnalités influentes au pouvoir. Il devient l’arme d’une diplomatie parallèle, dans une période mouvementée de l’Histoire de notre siècle, celle de la décolonisation mais, aussi, de la guerre froide, liée au partage du monde en deux blocs. Ainsi, il travaillera la plupart du temps en collaboration ou au su des services secrets. Il luttera contre l’émergence du communisme, notamment en Afrique.
Puis, il rentre en France où il apprend, par un grand reporter du “Figaro”, les événements du Yémen. L’émir El-Badr tentait de restaurer la monarchie dans ce pays, tandis que les avions égyptiens bombardaient le désert. Denard s’envole vers ce pays et prête son assistance aux maquisards du désert. Le Yémen lui procurera, appelé alors “Mister Bob”, une nouvelle expérience avec le monde arabe. Curieusement, ce n’est pas au Maroc, mais au Yémen, qu’il se convertit à l’Islam. Mais son vrai amour reste l’Afrique. Il retourne, après le Yémen, en 1964, au Congo et se met sous les ordres de Mobutu, alors commandant en chef de l’Armée nationale congolaise. Ce dernier lui remet ses galons de lieutenant-colonel.
Trois ans plus tard, il répond aux ordres des services secrets français qui lui demandent d’aller rejoindre Tchombé, au Katanga.

“MERCENAIRE DE LA CHARITÉ”
Après le Katanga, Denard sera en étroite collaboration avec l’Elysée et les réseaux Foccart. Nous sommes en 1968, en pleine période de décolonisation, de guerre froide entre les deux blocs de l’Est et de l’Ouest. Quand la diplomatie officielle échoue, les services secrets français feront appel aux services de Bob, en palliatif. C’est alors la guerre du Biafra...
Devenu “Gilbert Bourgeaud” par la grâce des services secrets français, il affrètera un chalutier rempli de matériel militaire, escorté par la Royale pour alimenter en armes et en munitions les Ibos du Biafra.
Il deviendra vite “Monsieur Robert”, grâce aux actions humanitaires qu’il engagera, notamment lors de cette opération, car son chalutier ne contient pas uniquement des armes mais, aussi, des médicaments. Bernard Kouchner salue ainsi ce “mercenaire de la charité.”
En 1975, les trois îles de l’archipel des Comores: Anjouan, la Grande Comore et Mohéli, proclament leur indépendance, tandis que la troisième île, Mayotte, demeure française. Ce mouvement indépendantiste est mené par l’Anjouanais Abdallah. Mais la France voit d’un mauvais œil l’accession au pouvoir d’Abdallah et lui préfère Ali Soilihi.
Les services secrets font, alors, appel à Denard qui engage sa première opération, le 5 septembre 1975. Il débarque aux Comores, forme deux cents Comoriens et, après avoir pris le contrôle de la Grande Comore, se rend à Anjouan et arrête le président Abdallah. Ce dernier est remplacé par Ali Soilihi qui fera preuve, par la suite, de sa mauvaise gestion du pays.
Après de nouvelles opérations en Angola et au Bénin, Denard revient aux Comores pour destituer Soilihi, devenu tyrannique et réinstaller Abdallah au pouvoir, le 13 mai 1978.

POURSUIVI POUR ASSASSINAT
Sous ce nouveau régime, il s’installe aux Comores, se fait appeler Saïd Mustapha M’hadjou et se marie à une jeune Comorienne, conformément aux traditions hanafites. Il forme la Garde présidentielle comorienne et demeure sous les ordres de son ami, le président Abdallah.
Mais en 1989, lors d’une opération de désarmement des forces armées comoriennes opérée par la Garde présidentielle que dirigeait Bob, le président Abdallah est abattu dans sa résidence, en présence de Denard et de deux de ses officiers.
La France dépêche, alors, deux mille paras pour évacuer Denard et ses hommes sur l’Afrique du Sud où il restera pendant trois ans.
Le 2 février 1993, il rentre à Paris. A son arrivée à l’aéroport de Roissy, il est arrêté; puis, incarcéré à la prison de la Santé. Deux mois plus tard, il est jugé pour tentative de coup d’Etat au Bénin qui a eu lieu en janvier 1977 et condamné à cinq ans de prison avec sursis.
Tout le monde pense, alors, que la carrière du baroudeur est terminée. Mais, en 1995, Bob est appelé par ses amis comoriens pour une nouvelle opération. Il achète, alors, en Norvège, un bateau, recrute une trentaine de mercenaires dont des anciens du SDECE ou de la DGSE et se dirige vers l’Océan indien.
Dans la nuit du 27 au 28 septembre 1995, le bateau de Bob s’ancre devant Moroni, la capitale comorienne. Les commandos débarquent et délogent le président Djohar, délivrent les fils de l’ancien président Abdallah, torturés et condamnés à mort par le régime de Djohar. Ce dernier est, alors, mis hors d’état de nuire, à l’île de la Réunion. Denard est, par la suite, rapatrié en France.
Mais le procès qui, en instance, devant la Cour d’Assises de Paris, ne concerne pas cette dernière opération. Denard est accusé d’avoir assassiné le président Abdallah, en 1989.
A cet égard mais, aussi, à l’issue du coup d’Etat qui vient de surgir aux Comores, nous avons interrogé Me Elie Hatem, l’un des avocats et proche ami de Denard.

“CORSAIRE” AUX GRANDES QUALITÉS HUMAINES
D’origine libanaise, le Dr Hatem est professeur de sciences politiques et de droit comparé à la Boston University. Il est, aussi, impliqué directement dans les affaires comoriennes: il a prêté son assistance aux sécessionistes anjouanais qui ont proclamé l’autodétermination de leur île, en 1997, après avoir demandé leur rattachement à la France et que cette dernière la leur a refusée.
Où et à quelle occasion êtes-vous entré en contact avec Bob Denard?
Elie Hatem: S’occuper des Comores implique, automatiquement, une entrée en contact avec M. Denard qui est une image emblématique dans l’archipel. Je me souviens, quand je me suis rendu en octobre 1997 à Anjouan, la première chose qui m’a frappé c’est son bateau qui demeure accosté au port de Mutsamudu.
Pour mieux comprendre les Comores, il m’était donc utile d’écouter l’avis de Bob et de profiter de son expérience. Depuis, nous sommes liés d’une forte amitié qui m’a permis de découvrir, derrière “le corsaire”, un homme d’une grande générosité de cœur et de grandes qualités humaines.
Et, à chaque fois, je suis impressionné par sa vision pratique, son ouverture d’esprit et sa grande culture. Grâce à lui, j’ai beaucoup appris, notamment sur le monde arabe où il a connu plus d’un dirigeant, à l’instar du roi Hassan II du Maroc, ou aussi les dirigeants yéménites. Il a même été au Liban et rencontré des leaders libanais, comme feu le président Camille Chamoun dont il garde un excellent souvenir.
 

L’archipel des Comores.

Me Elie Hatem.

SUPPORT TECHNIQUE À LA FRANCE
Certains le qualifient d’agent des services secrets français...
Il n’a jamais été un agent des services. Néanmoins, il a travaillé pour eux. Quand les services spéciaux ne pouvaient pas effectuer certaines opérations clandestines, ils faisaient appel à lui et à ses soldats de fortune. Ainsi, il a toujours eu des officiers traitants, à l’instar du général Janou Lacaze, qui le suivaient en permanence. Denard et ses hommes servaient donc de support technique à la France quand certaines missions spéciales ne pouvaient pas être accomplies par les services spéciaux, au moins dans un premier temps, avant d’être remplacés par des forces plus conventionnelles.
Comment se fait-il qu’il comparaît devant une juridiction française pour une affaire surgie aux Comores, pays indépendant, d’autant qu’il s’agit du président de la République qui a été tué?
Effectivement, cela paraît surprenant. Mais l’arrêt de la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Paris qui l’a renvoyé devant la Cour d’Assises s’est fondé sur le fait que feu le président Abdallah avait aussi bien la nationalité comorienne que française. Bob Denard est, donc, accusé de meurtre devant les juridictions françaises qui retiennent, depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 20 août 1932, que l’homicide volontaire, même commis à des fins politiques, reste une infraction de droit commun.
Cependant, ce qui est le plus surprenant dans cette affaire, ce sont les deux éléments suivants: premièrement, les enfants de feu le président Abdallah et son épouse ne sont pas partie civile au procès; ils viendront, d’ailleurs, témoigner en faveur de Denard devant la Cour d’Assises.
Deuxièmement, l’instruction qui a été faite de ce dossier, présente des irrégularités de procédure.

LA RELATION DES FAITS
On peut donc penser qu’il y a derrière ce procès des motifs politiques... Est-ce donc le procès de la décolonisation?
Je ne m’aventurerai pas dans ma réponse et préfère m’en tenir aux éléments de pure nature juridique.
En ce qui concerne la constitution de partie civile, nous avons été étonnés, au cours du procès, d’apprendre que l’Etat comorien et qu’une association comorienne d’extrême-gauche, fraîchement créée, se soient constituées parties civiles. En effet, ladite association n’a pas d’intérêt direct juridiquement protégé pour ester en justice. Elle a été, d’ailleurs, débouté de sa demande. Par ailleurs, en ce qui concerne la constitution de partie civile de l’Etat comorien, il convient de souligner que le 30 avril dernier, un coup d’Etat a surgi en Grande Comore et qu’un gouvernement de fait a été mis en place, qui n’est d’ailleurs pas reconnu officiellement par la France. La Cour statuera donc sur cet élément à savoir: si les avocats qui prétendent représenter l’Etat comorien sont expressément mandatés par l’ancien gouvernement de droit ou par le nouveau gouvernement de fait, auquel cas ils seront déboutés de leur demande, tant que le Quai d’Orsay n’ait pas reconnu ce dernier.

DENARD N’A PAS TUÉ LE PRÉSIDENT ABDALLAH
Pourriez-vous nous donner votre version des faits qui ont conduit à la mort du président Abdallah?
Dans la nuit du 26 au 27 novembre 1989, Bob Denard et deux de ses officiers se sont rendus au palais présidentiel, à Moroni. En dehors du palais, des tirs surgissaient entre les forces militaires comoriennes et la Garde présidentielle qui cherchait à prendre le dessus.
Entré dans le bureau du président Abdallah, Denard voyait ce dernier effrayé par les tirs et les coups de bazookas qui retentissaient. Le garde du corps du président est, alors, brusquement entré dans le salon, tandis que Denard tentait de ramener le président à la raison en lui tapotant les joues, à genoux, devant son fauteuil.
Pris par la panique et pensant que Denard intentait à la vie du président, le garde du corps tire avec son kalachnikov dans la direction de Denard et de ses deux officiers. Celui-ci se jette au sol. C’est le Président qui reçoit, alors, la rafale, tandis que l’un des officiers de Bob abat le garde du corps. Le tout se déroule dans une fraction de seconde.
Revenons, maintenant aux Comores qui vient de subir un nouveau coup d'Etat. Que se passe-t-il dans ce pays et quelles sont les perspectives d’avenir?
Depuis son accession à l’indépendance, en 1975, la Fédération islamique des Comores qui regroupait la Grande Comore, Anjouan et Mohéli (Mayotte étant restée française), a fait l’objet d’une succession de coups d’Etat (environ 18), dont ce dernier.
En septembre 1997, les forces armées de la Grande Comore ont débarqué à Anjouan et ont été repoussées par les Anjouanais qui ont organisé un référendum pour l’autodétermi-nation, sous ma surveillance. Ensuite, une Constitution a été adoptée et des élections ont eu lieu, mettant en marche les nouvelles institutions.
Quelle relation entre ce coup d'Etat et l’affaire Denard?
Il est certain que ce coup d’Etat a surgi quatre jours avant l’ouverture du procès de Denard. Mais je ne pense pas, n’ayant pas des éléments me permettant de l’affirmer, qu’il y ait une relation directe entre ce procès et le coup d’Etat.


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