Editorial


Par MELHEM KARAM 

LES ÉLECTIONS ISRAÉLIENNES, UNE TOILE SURRÉALISTE

QUE CACHE LE VOL DE DOCUMENTS ET D’ENREGISTREMENTS DU PARTI DU TRAVAIL?

Bien que Washington ait choisi de rester loin de la bataille électorale en Israël, préférant s’en tenir au jeu de l’ombre, afin de ne pas exciter les lobbies juifs en Amérique, la bataille a paru comme se déroulant à Washington et tranchée dans son enceinte. Cette impression n’a rien à voir avec les relations intimes existant entre Tel-Aviv et la capitale fédérale et n’a aucun rapport avec les déclarations faites par certains responsables du département d’Etat en charge du dossier du Proche-Orient, autour de la bataille et de ses résultats. L’implication américaine a commencé avec le vol de documents du parti du Travail, d’enregistrements du bureau de Stanley Greenberg et Robert Shrom, lesquels travaillent avec James Carvil, artisan de la bataille électorale d’Ehud Barak, leader travailliste.
La subtilisation de ces documents et enregistrements est pareille au “Watergate” dans la bataille électorale israélienne. C’est que Barak a choisi Carvil pour engager la bataille dans son école, celui-ci ayant planifié la bataille de Bill Clinton en 1992, de Tony Blair en 1997 et de Gerhard Schroeder en 1998, les trois ayant réussi grâce à ses conseils, à ses instructions et ses directives. Il a poussé Barak à mettre l’accent sur l’unité de la société israélienne, comme s’il en était l’unique artisan, alors que le parti travailliste a insisté sur les divisions ethniques, raciales et religieuses dans cette société. Les directives de Carvil, ont montré le général du parti du Travail, comme un nouveau Bismark pour la nation juive disloquée. Dans le même temps, ses collaborateurs dans la machine électorale faisaient état des dissensions et des antagonismes au sein de la société israélienne.
Pendant ce temps, le candidat du Likoud, Benjamin Netanyahu choisissait un autre orientateur américain pour sa campagne, Arthur Finklenstein, dont les conseils au plan de la propagande montraient Netanyahu en tant que gardien de la sécurité israélienne et qu’édificateur de la puissance d’Israël et de sa supériorité qualitative. Cette image ne semble pas avoir beaucoup séduit les électeurs israéliens, en l’absence d’une concentration sur la question économique, sociale et de la vie quotidienne. D’autant que Barak a mis l’accent sur le chômage depuis l’accession de Netanyahu au pouvoir il y a trois ans. A l’instigation du parti du Travail, ils ont manifesté à Tel-Aviv en scandant des slogans pareils à celui-ci: “Nous voulons que Netanyahu devienne sans travail, parce que ses décisions ont produit l’effet d’une catastrophe sur nos foyers.”
Ainsi, avec Netanyahu et Barak, il y avait deux planificateurs américains de la bataille - comme Jacques Séguela avec Mitterrand - ayant tenté de faire du chantage sur l’électeur israélien, chacun à partir de sa position et selon une stratégie propre. D’après les sondages d’opinion, Carvil avait touché du doigt les points faibles de la société israélienne et renforcé, du même coup, la position de Barak, alors que Finklestein a insisté sur des sujets n’ayant suscité ni l’enthousiasme, ni l’attirance de l’électeur israélien. En mettant l’accent sur le sujet de la sécurité, Netanyahu a été décu, car durant la campagne électo-rale, il ne s’est produit aucune opération-suicide qu’il prévoyait de la part des groupes d’Izzeddine Al-Kassam, c’est-à-dire l’aile militaire de “Hamas”.
D’aucuns disent qu’Arafat qui s’est saisi de la décision de “Hamas” de l’intérieur, en amenant son guide spirituel, cheikh Ahmed Yassine, à participer aux dernières réunions du Conseil central, a réussi à provoquer l’échec de Netanyahu et à assurer la victoire de son adversaire Barak. Le président Arafat lui-même a encouragé le candidat arabe. Azmi Béchara, à entrer en lice; puis, à se désister après avoir garanti la voix arabe aux élections, en lui demandant de virer ses voix à Barak, ce qui explique son ascension dans les sondages la veille de l’ouverture des bureaux de vote.
L’autre facteur ayant renforcé les chances de Barak, est l’entêtement de l’ancien ministre de la Défense, Yitzhak Mordehai, juif séphérade originaire du Nord de l’Irak, qui a refusé de se retirer de la bataille. Puis, a surpris tout le monde, quelques heures avant le scrutin, en se désistant au profit de Barak et en mobilisant les voix de ses supporters, à l’effet de consolider la situation du candidat travailliste.
Ainsi, Barak a rassemblé les cartes de la force dans la bataille à la manière de quiconque creuse la montagne au moyen d’une épingle, garantissant à ses côtés le parti du Travail avec ses trois ailes, puis, les syndicats ouvriers regroupés sous la bannière de l’Histadrout. De plus, il a assuré à ses côtés les franges des religieux modérés, en plus des voix arabes et du courant du centre. A cela, il a ajouté plus de la moitié des voix russes qui représentent 14% à l’égal de celles des Arabes. Ceci lui a permis de faire pencher la balance électorale en sa faveur dès le premier tour.
Il ne fait pas de doute que la chance de Netanyahu était faible dans cette bataille pour maintes raisons, la plus en vue étant le soutien que lui ont apporté deux des faucons du Likoud que l’humeur israélienne ne digère pas avec facilité. Ce sont: son maître. Moshé Arens, ministre de la Défense et Ariel Sharon, son ministre des Affaires étrangères. Son alliance avec eux a provoqué de profondes divisions au sein du parti, entraînant l’éloignement de plusieurs membres durant la bataille électorale. De même, ses manœuvres, sa fermeture de la “Maison d’Orient” à Jérusalem, l’octroi de crédits supplémentaires aux colons et le fait pour lui d’avoir porté atteinte, publiquement, aux Palestinien et à Arafat en personne, toute cette planification électorale n’était pas fructueuse pour lui. Le point faible dans sa campagne réside en ce qu’il a insisté sur le sujet de la sécurité et négligé le sujet socio-économique.
De toute manière, les élections israéliennes, sont une toile surréaliste prouvant l’échec de l’intégration de la diaspora juive dans un même moule, comme l’avaient parié les pères du sionisme, depuis Vladimir Japotinski, David Ben Gourion, Moshé Sharet, jusqu’à Ariel Sharon et Moshé Arens.
La carte indique les dissensions entre les juifs occidentaux, les Eshkinaze qui ont fondé l’Etat d’Israël et l’ont gouverné de 1948 à ce jour et les juifs orientaux, les Sépharade qui ont vécu pendant cinquante ans comme des orphelins.
Fait étrange: ceux-ci qui aiment écouter la musique arabe, affectionnent les chansons de Mohamed Abdel-Wahab et Oum Koulsoum, assistent aux réunions de la paix dans certaines capitales arabes, sont les plus extrémistes dans la société israélienne et vouent le plus de haine aux Arabes. Cependant, la classe blanche des juifs, c’est-à-dire les juifs occidentaux, les ont marginalisés. Barak a tenté de les réhabiliter pour gagner leur voix, à travers des promesses laissant entrevoir un traitement de leurs problèmes économiques. Il y a partiellement réussi.
La société israélienne a paru également divisée, entre les laïcs et les fondamentalistes; entre les partisans des relations rapprochées avec Washington et ceux qui prônent l’ouverture avec Moscou; entre ceux qui sont acquis au durcissement avec les Arabes et ceux qui veulent appliquer, effectivement, le principe de “la terre contre la paix”. Dans le même contexte, l’électeur israélien qui vote avec ses sentiments, non avec ses intérêts, est lié aux leaderships, non aux partis et aux idées. C’est pourquoi, l’éclat de Netanyahu n’était pas efficace et n’avait pas une attirance dans la bataille. La plupart des votants se sont tournés vers Barak qui inspire confiance, en raison de son passé militaire, plus que Netanyahu. Et Barak est le général qui porte le plus de décorations dans l’institution militaire israélienne; il a occupé trois postes et pris sa retraite à l’âge de cinquante ans.
Le premier poste a été celui de commandant de l’unité Syreet Mektal, la plus importante unité d’élite dans l’armée israélienne, rattachée directement à l’état-major, spécialisée dans les attentats et opérant derrière les lignes et les frontières. Il a porté une “perruque” de femme blonde et s’est infiltré en 1973 dans les appartements des leaders palestiniens à Beyrouth qu’il a assassinés. Puis, il a commandé en 1976 l’opération d’Entebe au cours de laquelle le frère de Netanyahu a été tué en Ouganda. Ensuite, il s’est introduit au domicile d’Abou-Jihad et a participé à sa liquidation; il a obtenu des décorations pour les trois opérations. Le second poste fut celui de chef des renseignements militaires Anam.
Le troisième poste a été celui de chef d’état-major sous Yitzhak Rabin. Il a contribué à réprimer le séparatisme et à briser les os des Palestiniens. C’est pourquoi, les Israéliens l’aiment. Il leur inspire confiance à cause de son histoire militaire “nationale riche en exploits!!!” et pour avoir axé son action sur le concept de la sécurité avant celui de la paix.
C’est l’un des faucons du parti du Travail ou un autre Rabin; puis, il s’est préparé à la négociation et comme dit un Américain en vue: C’est l’homme de l’Amérique aux élections.

Photo Melhem Karam

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