Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD

UN MARCHÉ DE DUPES

Est-il écrit dans le grand livre de la fatalité que nous soyons condamnés, nous autres Libanais, à ne jamais savoir où nous allons et vers quoi on nous mène? Au moins, avec le précédent gouvernement, nous savions que nous allions nous casser la gueule. Et avec celui-là? Avec celui-là, mystère et boule de gomme. En fait, nous nous trouvons face à un véritable chantier d’intentions. Bonnes? Sûrement, mais ne dit-on pas que l’enfer en est pavé?
Oui, je sais, nous savons chacun sait que l’héritage abandonné si facilement par Hariri est lourd. Mais est-il nécessaire de nous le ressasser à chaque tournant de phrase? C’est ce que l’on fait maintenant qui est important. Et qu’a-t-on fait au juste depuis plus de sept mois au pouvoir?
Bon. On a fait un budget qui a failli presque coûter la vie au fragile ministre des Finances. Un budget qui, à l’allure où vont les travaux, place de l’Etoile, risque de ne sortir du parlement que perclus de vieillesse, un plan quinquennal pour l’économie qui menace de devenir centenaire avant de souffler sa première bougie, une loi électorale qui promet de faire  l’unanimité contre elle, une loi de la nationalité qui relève du futur antérieur, pour compenser sans doute, dans ce domaine, son passé composé, sans parler de la défunte troïka qui, tel le phénix, semble en train de renaître de ses cendres.
Enfin, “last but not least”, comme disent les Anglais, la cohorte des hauts commis de l’Etat qui se carambolent dans les prisons, réduisant à la portion congrue l’espace vital des bandits et autres assassins, sans que nous sachions au juste de quoi ils sont accusés et pourquoi certains autres ne le sont pas!
Jamais transparence ne fut d’une telle opacité.
Et puisque le train des réformes est en marche (du moins c’est ce que l’on nous dit), pourquoi l’on semble oublier la MEA qui risque, sa gestion actuelle aidant et, surtout, son alliance avec Air France, de se transformer en une compagnie d’avions-taxis?
Il fut un temps - pas si lointain - où la MEA était une des gloires du Liban. C’était du temps de cheikh Najib Alameddine, de ses successeurs Assaad Nasr et Youssef Lahoud. Ils en avaient fait une des premières compagnies du monde. A tel point qu’elle était devenue, avec le Festival de Baalbeck, le visage de marque du pays. Après Taëf, le gouvernement Hariri y fit irruption à la manière d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Les cadres qualifiés - ou du moins une partie d’entre eux - furent écartés ou marginalisés et là où il aurait fallu un visionnaire, on nomma un comptable. Et le comptable, comme tous les comptables, entreprit de faire des additions; puis, des soustractions pour finir par se spécialiser dans les divisions.
La MEA perdait de l’argent. Comment pouvait-il en être autrement vu que, durant les années de guerre, les chefs des milices forcèrent les responsables de la compagnie à embaucher par masses leurs protégés et ce, jusqu’à la sursaturation? Des régiments d’employés qui émargeaient au budget, sans poste et sans faire le moindre acte de présence.
Au lieu de se débarrasser de ces parasites, on se mit à annuler des lignes entières. Ainsi, furent supprimés: Amsterdam, Berlin, Bruxelles, Budapest, Bucarest, Colombo, Copenhague, Doha, Kuala Lumpur, Milan, Nice, Rio de Janeiro, Sydney, Zurich...
Dernière invention: la compagnie, sans crier gare, vient de relever ses tarifs Paris-Beyrouth. Ainsi, le billet saute à 5.455 F.F. en classe touriste. En comparaison, le Paris-Damas est de 2.600 F.F., Paris-Amman de 2.650 F.F. et celui de Paris-Larnaca de 2.650 F.F. Quoi d’étonnant à ce que les différentes associations de Libanais de France crient à l’arnaque et considèrent que le comportement de la direction de la MEA “relève de l’escroquerie”.
Nos compatriotes de France sont toujours en campagne et accusent la compagnie nationale de vouloir “empêcher des milliers de Libanais de se rendre au Liban”. Ils réclament la révision de l’alliance entre la MEA et Air France qui “inflige des dégâts importants au tourisme vers le Liban” et favorise “Air France qui a besoin d’un potentiel plus important pour assurer ses propres passagers vers le Golfe et utilise donc les avions de la MEA, ce qui réduit de moitié la disponibilité des places vers Beyrouth”.
Et ce sont à ces émigrés que le Premier ministre demande à venir investir au Liban, mais ce n’est certainement pas à eux que l’on demandera de venir voter aux prochaines élections. Quel rapport? Justement, on peut se le demander... 

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