Saturnale

Par MARY  YAZBECK AZOURY


DAME ANASTASIE: OPÉRATION DIVERSION?
La publicité la moins onéreuse, la moins  coûteuse, la plus rentable pour un écrit, une émission ou un film est la censure.
Dame Anastasie a fait pour les “Versets sataniques”, de Salman Rushdie, plus qu’aucune campagne de presse des plus sophistiquées.
Traduit dans plus de vingt langues, alternant les réceptions de prix littéraires et recevant des menaces, l’illustre inconnu, Rushdie, grâce à ses “Versets” se retrouve, un beau matin un best-seller... Son livre, en fait, distille l’ennui le plus parfait et on ne l’aurait pas lu s’il n’avait été interdit.
Voilà le pouvoir de Dame Anastasie.
Au Liban, une faute similaire vient d’être commise. Gaffe, bévue involontaire, le fait est que le livre de “Cobra”, écrit en anglais et qu’à peine une centaine de personnes s’y étaient intéressées, se retrouve au lendemain de son interdiction circulant sous le manteau, parmi des gens qui ignorent l’A.B.C. de la langue de Shakespeare.
Aux dernières nouvelles, le livre est selon la rumeur en train d’être traduit en arabe, sinon déjà traduit à l’heure où ces lignes sont écrites.
On pourrait croire que le timing de cette affaire, est plutôt une opération de diversion pour occuper l’opinion publique qui commence à crier tout haut son malaise de la situation actuelle, sans compter les problèmes entre magistrats qui viennent d’éclater au grand jour.

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“SAMIZDAT”
Le Liban ne peut se targuer de posséder un service de renseignements semblable à l’ex-KGB. Alors, que veut dire l’interdiction officielle “de faire circuler le livre entre particuliers, de le posséder en entier chez soi ou des extraits?
Les autorités libanaises ont-elles jamais entendu parler des ”SAMIZDAT”?
C’est un mot russe qui signifie auto-édition et représente l’ensemble des moyens utilisés dans les ex-pays de l’Est pour diffuser, clandestinement, les ouvrages interdits par la censure.
La presque totalité des œuvres de Soljenitsyne a ainsi circulé parmi l’intelligentsia soviétique et d’autres citoyens du bloc de l’Est, sous le nez des autorités. Rarement le KGB a pu agir et seuls quelques comparses ont été arrêtés...
Le Liban disposerait-il d’une organisation plus performante que le KGB pour sévir?
S’attend-on à des dénonciations?
A l’heure de l’informatique et de l’électronique, c’est une bataille à la Don Quichotte dont il s’agit.
Et comme le dit Raymond Eddé: “Qu’est devenue la liberté d’expression pour tous?”
Les autorités libanaises veulent-elles traiter leurs citoyens comme des mineurs incapables de choisir leurs lectures?

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ÉCONOMISTES DISTINGUÉS: CAPITALISME SAUVAGE
“L’avenir radieux”, Lénine l’avait promis.
“Notre radieux avenir”, ce sont les responsables libanais qui nous l’avaient promis... Mais après “la sueur, le sang et les larmes...”
En attendant cet “avenir radieux” ou ce “radieux avenir”, les Libanais vivent dans le présent des plus grisâtres et grisonnants...
Moins que 3% de la population continuent à se partager les richesses; les autres crèvent... Les jeunes émigrent...
Que font les responsables?
Ils font de l’économie politique et de l’économie philosophique.
Ils ne sont pas désintéressés, mais leurs actions jusqu’à présent ne sont pas très réalistes.
Bien sûr et ils le répètent assez souvent, ils ne peuvent rebâtir en quelques mois, ce qui a été détruit en plusieurs années.
Mais, au moins, ils pourraient s’abstenir de prendre des mesures inopportunes, d’écorcher le Libanais plutôt que de le tondre, sous prétexte de redresser l’économie!
Ces dirigeants se permettent de ne pas appliquer (alors qu’ils l’avaient promis haut et clair) la nouvelle échelle des salaires aux retraités et à leurs familles.
Ces pensionnés n’ont donc pas eu droit à l’augmentation de leur misérable retraite pour laquelle ils avaient cotisé du temps où la livre valait quelque chose...
Par contre, ils ont eu droit aux factures faramineuses, décidées en raison de hausse des salaires...
Ils ont eu droit aux coupures sauvages du téléphone, de l’électricité, de l’eau... et aux menaces de saisie...
Pourtant, si le gouvernement n’a pas les moyens de payer, comment ces contribuables auront-ils eux les moyens de payer?
Ayant retardé ou suspendu le paiement, il était logique qu’on suspende, pour la même période, ou que l’on retarde le paiement de ces factures sans amende et sans coupure.
Payez; puis, protestez auprès de nos économistes distingués.

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BEYROUTH, CAPITALE CULTURELLE OU “A-CULTURELLE”
Plutôt que d’interdire un livre en anglais, il faut que les autorités s’intéressent davantage aux émissions débiles et abrutissantes.
Car ces dernières, on sait du moins ce qu’elles contiennent. Il n’en est pas de même de ces soi-disant jeux culturels où on recrute n’importe qui, n’importe comment et où on fait des sondages qui révèlent - s’ils sont vrais - la dégradation terrifiante de l’intellect à tous les niveaux et à tous les âges.
Dans une certaine émission TV populaire, tous les participants - ou presque tous - ont pour hobbies la lecture et la musique, disent-ils. Mais essayez de leur faire nommer n’importe quel écrivain ou n’importe quel compositeur libanais, arabe ou étranger et ils offrent un regard vide. Incapables de susurrer le moindre son.
Par ailleurs, les questions semblent souvent inspirées de jeux similaires passant à la TV en Australie, aux USA, en France, en Italie et même en Turquie!
La dernière des dernières: on demande à une brave femme emmitouflée, comme si nous étions au mois de décembre en Sibérie, ce qu’elle ferait au cours d’un après-midi très pluvieux, d’un dimanche ou jour de congé? La réponse fuse: “J’irais à la plage, au bord de la mer. Tant qu’à être mouillée.”
Il est vrai qu’être devant la caméra est très différent que d’être confortablement installée dans son fauteuil chez soi.
Quant aux autres questions, on se demande sur quelle planète vivent les “concocteurs” des jeux! L’animateur, quant à lui, ne peut que lire les cartons qu’on lui remet.

***

KAZATCHOK AU HERMEL! VALSE AU LIBAN-SUD!
La dernière de ces irresponsables a été de demander à des personnes venues du Hermel ou du Liban-Sud, d’associer les danses avec les pays où elles sont pratiquées.
Imaginez un peu leurs têtes!
Un seul des participants a pu associer “Liban” et “Dabké”. Quant aux autres, il fallait voir leurs mines ahuries quand l’animateur a lu ces noms bizarres (du moins pour eux).
Sirtaki=Grèce  - Valse=Autriche - Tango=Argentine - Samba=Brésil - Flamenco=Espagne - Kazatchok=Russie...
L’animateur leur a épargné: le french cancan, la tarantelle et la rumba, etc...
Les participants étaient composés d’un agriculteur et de sa famille; d’un mécanicien et de sa famille.
S’imagine-t-on qu’on ramasse les pommes de terre en dansant la samba? Ou répare-t-on les voitures en dansant la valse? Ou fait-on “un borghol”, une “kebbé” aux sons des balalaïkas et kazatchoks?
Ne faut-il pas procéder à une pré-sélection et adapter les questions au niveau ou à la mentalité des participants? C’est beau de vouloir distraire les gens. Mais ne faut-il pas penser, sérieusement, ces jeux?
Comme le fait d’offrir des encyclopédies en langues étrangères à des personnes qui balbutient à peine leur libanais maternel.
Le ridicule ne tue plus au Liban!
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