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À L’HEURE DES “APACHES”...

Pendant que la diplomatie européenne, particulièrement la russe, s’emploie à trouver une formule politique pour pacifier les Balkans, l’OTAN, sous la direction de l’Amérique, accentue sa pression militaire sur Belgrade. C’est comme une course contre la montre. L’effort européen et russe vise, clairement, à une solution qui serait placée sous l’égide du Conseil de Sécurité de l’ONU et redonnerait, ainsi, un rôle à cette organisation. En revanche, Wa-shington a, apparemment, un seul objectif: écraser toute résistance serbe et forcer Milosevic à reconnaître sa défaite sans condition. Il s’agirait alors de lui dicter une solution qui ne devrait rien au Conseil de Sécurité, l’éliminerait totalement de la scène et, peut-être, de le faire juger pour crime contre l’humanité.
C’est ce qui s’appellerait une guerre sans rémission qui ne lui manquerait encore, pour être totale, que l’intervention terrestre. Mais on y viendra. Déjà, les Anglais, qui n’agissent plus sur la scène mondiale qu’en accord étroit avec leurs cousins d’outre-Atlantique, réclament avec insistance cette intervention.
Dans ces conditions, la paix n’est pas pour demain. Et le retour d’un million de Kosovars dans leurs foyers détruits est une perspective très éloignée.

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Nous connaissons, depuis cinquante ans, ce genre de situation, quoique dans des conditions très particulières.
Plusieurs millions de Palestiniens, expulsés de leur pays par la création de l’Etat israélien, n’ont aujourd’hui aucun espoir de retrouver leurs terres, même pas dans le morceau de territoire, à Gaza et en Cisjordanie, qu’Israël a consenti à restituer partiellement aux populations demeurées là depuis 1948, tout en prétendant en conserver le contrôle. Et il n’est évidemment pas question d’indemniser ces réfugiés, ainsi condamnés à un perpétuel exil, pour la perte de leurs propriétés.
Israël exerce là un droit de conquête et de colonisation anachronique en dépit de toutes les conventions internationales.
Si l’on devait refaire le procès de l’occupation juive de la Palestine en se référant au Pacte de la S.D.N. (Société des Nations), aux termes du mandat britannique sur la Palestine, à la charte de l’ONU et à toutes les conventions internationales qui en ont découlé, on en arriverait à contester l’existence d’un droit quelconque de propriété aux immigrants juifs sur la terre de Palestine, sauf à remonter à la promesse de Dieu faite à Abraham... Et pourtant, aujourd’hui, c’est en vertu de cette possession de fait qu’Israël se considère maître de reconnaître ou de ne pas reconnaître aux Palestiniens, le droit de créer un Etat sur ce qui leur est abandonné de terres.
Mais il est tout à fait vain de traiter encore cette tragédie au nom des règles du droit. Cet aspect de la situation est depuis longtemps dépassé. L’Autorité palestinienne, elle-même, a reconnu les faits accomplis et se contente de réclamer un peu plus d’espace en Cisjordanie, avec la liberté de se constituer un Etat dans son propre pays.
Dès l’origine de ce conflit, il s’est agi d’un rapport de forces. Et la force a été toujours du côté des juifs grâce à l’organisation et aux richesses de sa Diaspora, au soutien des grandes puissances, à la faiblesse des Arabes, à leurs querelles et à l’incohérence de leurs politiques.
Les choses en sont au point où, maintenant, pour savoir ce qui peut encore être récupéré de ces droits spoliés, de ce pays usurpé et comment restructurer une identité nationale aux Palestiniens, il faut s’en remettre à M. Ehud Barak et aux alliances qu’il va nouer pour pouvoir se constituer un gouvernement, dans un pays lui-même profondément divisé sur la définition de sa propre identité.
Depuis 82 ans, la fameuse promesse de M. Balfour (qui relayait celle de Dieu) n’a pas fini de produire ses effets déstabilisateurs et désastreux dans tout le Proche-Orient.

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M. Barak est tout de même en meilleure posture que M. Milosevic. Il a l’oreille de M. Clinton.
Pour en revenir aux Balkans et au Kosovo, on voudrait souhaiter que les maîtres du jeu, les Américains en l’occurrence, aient toujours à l’esprit ces erreurs tragiques que nous venons de rappeler dans cette brève parenthèse sur le sort de la Palestine.
Ce n’est pas seulement parce que, dans les deux cas, Kosovo et Palestine, il y a un immense problème de réfugiés mais, aussi, parce que, dans les deux cas, il y a un recours à une mythologie religieuse: promesse biblique pour la Palestine, foyer religieux historique au Kosovo pour les Serbes; souvenir de la défaite de Massada devant les Romains, pour les uns; souvenir de la défaite de 1389 devant les Turcs, pour les autres.
Les mélanges de populations dans des Etats pauvres et mal structurés rendent, dans les Balkans, la situation encore plus dangereuse qu’en Orient. Serbes et Juifs veulent refaire l’Histoire, mais est-ce qu’on peut refaire l’Histoire?
Les puissances européennes qui ont une expérience historique des Balkans et du Proche-Orient où elles sont directement concernées, devraient avoir des vues plus justes, plus humaines que la lointaine Amérique.
Mais l’Amérique a des bombardiers “furtifs” et des “apaches”. Hélas!

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