Editorial


Par MELHEM KARAM 

L’ÉTÉ DE LA GUERRE ET L’AUTOMNE DU COMPROMIS AVEC BELGRADE
 

L’OTAN DANS LE MARÉCAGE DES BALKANS

Soixante-dix jours se sont écoulés depuis le début des opérations atlantiques contre la république yougoslave. Un million de personnes ont été arrachées à leur terre et pris le chemin de l’exode. Cela indique que les calculs des stratèges et des états-majors de guerre à Bruxelles, n’étaient pas minutieux. A leur tour, les diplomates, ont fait des comptes irréalistes. Le général Wesley Clark, commandant suprême des forces de l’OTAN en Europe qui supervise, logistiquement, la guerre, avait annoncé le 24 mars dernier, c’est-à-dire le premier jour des opérations, que la guerre ne durerait pas plus de quelques jours. Par la suite, le président yougoslave, Slobodan Milosevic, serait contraint de se mettre à genou, de négocier à partir d’une position de faiblesse, d’accepter toutes les conditions de l’OTAN et les clauses de l’accord de Rambouillet, la plus importante étant d’autoriser les forces atlantiques à se déployer dans la province du Kosovo, objet du conflit. De même, M. Hubert Vedrine, ministre français des Affaires étrangères, a dit devant l’Assemblée nationale française, trois jours après le début des opérations, que “la guerre dans les Balkans est une question de jours et non de semaines.”
Il apparaît, après soixante-dix jours, que le piétinement est la marque évidente de cette guerre qui sera devant un grand tournant le 18 courant, date à laquelle se tiendra le sommet des grands Etats industrialisés, en présence de la Russie. Dans ce sommet, deux questions seront posées, sur la base que la guerre balkanique en constituera le grand dossier.
La première question est l’escalade de la campagne aérienne et, la seconde, l’intensification des contacts diplomatiques. Fait à signaler: les alliés atlantiques ont commencé à effectuer, chaque jour, depuis la mi-mai dernier, six-cents raids sur une zone ayant une superficie de cent mille kilomètres carrés, soit le cinquième de celle de l’Irak, alors que la superficie du Kosovo équivaut presque à celle du Liban, soit 10.860km2.
L’étape des frappes aériennes n’a pas atteint ses objectifs, en dépit de l’intensité du feu. Ceci nécessite une escalade supplémentaire, allant de pair avec l’intensification des contacts diplomatiques, dans le but de parvenir à un arrangement politique.
C’est pourquoi, les regards sont tous tournés vers le sommet des Etats industrialisés, ce dernier séparant l’escalade militaire, de la recherche d’une issue diplomatique. Au cas où l’arrangement ne se réalise pas entre les alliés et la Russie, on se trouvera devant cette éventualité: déclencher une offensive terrestre ou reconnaître la défaite de l’OTAN.
Avant d’en arriver là, l’émissaire américain, Strobe Talbott et Victor Tchernomyrdine, l’émissaire présidentiel russe, multiplient les contacts qui sont axés sur deux faits: la qualité de la force d’intervention au Kosovo et le retour des réfugiés.
Il semble, dans le contexte de ces évolutions, que le président yougoslave, à la manière des dirigeants balkaniques traditionnels, excelle dans l’art de la manœuvre et de la duplicité et aurait admis le retour des réfugiés. Mais il a posé comme condition l’intégration d’un quart de million de réfugiés, alors que l’OTAN exige le retour de tous les réfugiés, tout en proposant en même temps, la constitution d’une force comprenant des effectifs des armées atlantiques, en plus d’une force russe, pour prévenir l’émergence d’un “gheto” russe ici et d’un “gheto” atlantique, ailleurs.
Ces faits butent jusqu’ici sur le refus serbe de toute présence militaire atlantique régionale dans la province du Kosovo. De là, le Premier ministre britannique, Tony Blair et de peur que l’OTAN soit devancé par le temps, préconise l’amorce d’une offensive terrestre, en portant de 28 à 45.000 les effectifs militaires. En cas d’un compromis, ces forces se transformeraient en “forces de paix”. Si les efforts de conciliation trébuchaient comme cela est clair, elles constitueraient le fer de lance de l’offensive terrestre.
Ce qui retient l’attention, tant dans la bataille diplomatique que dans le contexte de l’escalade militaire, c’est que le président Milosevic parie sur le temps, partant du fait que le piétinement atlantique sert sa stratégie, les Atlantistes étant bousculés par le temps. Car les dissensions augmentent dans leur camp, alors que la situation des réfugiés devient catastrophique, au point qu’on appréhende un soulèvement dans les camps que les forces de l’OTAN seraient incapables de contenir.
Il reste l’option amère et elle paraît inévitable, à savoir: l’offensive terrestre. Ici, les alliés atlantiques ne sont pas sur la même longueur d’onde. Ainsi, l’Italie est la dernière à y souscrire. Les Allemands sont contre une intervention terrestre. Les Français, à l’instar des Italiens, manifestent des réserves. Les Britanniques, eux, insistent sur cette option, conséquemment à leurs anciennes expériences internationales, surtout lors de la Seconde Guerre mondiale.
Tony Blair croit que les concessions consenties à Hitler, avaient aiguisé son appétit, étant entendu que la Grande-Bretagne avait déclenché la guerre contre Hitler quand il occupa la Pologne.
Reste l'énigme... C’est la position américaine appelée à trancher. Et jusqu’à cet instant, le président Bill Clinton rejette l’option terrestre ou hésite à l’accepter, serait-ce avec quelque souplesse, partant de l’échec de maintes expériences auxquelles se sont exposés les hélicoptères “Apache”, qui sont à l’avant-garde de l’attaque aérienne dans l’arsenal américain.
Les Américains ont perdu trois de ces appareils anti-chars avec leur équipage, durant les préparatifs en Albanie. C’est pourquoi, Washington s’est rétracté en ce qui concerne l’option de la bataille terrestre, pour ne pas subir de nouvelles pertes.
Les services de renseignements affirment que les Serbes ont établi des lignes défensives suivant la doctrine soviétique et organisé toutes les entrées du Kosovo. Les stratèges supposent que toute confrontation coûterait à l’OTAN plusieurs milliers de tués; les Américains hésitent à engager toute opération terrestre et se contentent des frappes aériennes intensives.
Jusqu’à cet instant, maints “bataillons” combattent sous la bannière de Milosevic, les premiers étant constitués des éléments de la nature; puis, le temps, les pluies et le manque de visibilité. Il exploite cette alliance naturelle pour gagner du temps et préserver son front intérieur... Ce front serait le point faible de son plan de guerre. S’il persistait à en sauvegarder la cohésion, les frappes se poursuivraient durant des mois supplémentaires. Son armée a prouvé qu’elle supporte ces frappes, en dépit des difficultés logistiques et de la destruction d’une partie de l’infrastructure économico-militaire qui touche la vie des civils, comme l’eau et l’électricité.
Il reste le rôle russe ambigu dans cette bataille à multiples niveaux. Le président Eltsine qui tente de récupérer son rôle balkanique, refuse d’utiliser les forces de l’OTAN pour assurer la sécurité au Kosovo, mais sa position au sommet des huit le 18 juin courant, est entachée de faiblesse, car il a besoin d’une assistance financière et ce sommet décidera de lui octroyer de nouveaux prêts, pour que la machine administrative poursuive son action au Kosovo.
Il se confirme de tout cela, que l’offensive aérienne a échoué, parce que le président Milosevic reste l’unique interlocuteur des atlantistes. C’est ce qu’a affirmé avec pessimisme, le chancelier Schröder, en appelant à une sorte de courage, absent jusqu’ici; à l’engagement d’un dialogue avec Milosevic et à faire des concessions, parce que la guerre paraît sans horizon politique clair.
Selon le président Clinton, le danger dans le conflit ethnique des Balkans réside en ce qu’il s’est transformé en épuration ethnique. “Si l’OTAN échouait, ajoute-t-il, son échec aurait des conséquences morales et stratégiques. Il y a une terre sans peuple, avec la perpétuation du conflit dans les Balkans; peut-être s’étendrait-il au-delà des Balkans et pourrait avoir des répercussions; surtout si les réfugiés devaient rester dans leurs camps durant la saison des pluies. Aussi, le président Clinton formule-t-il trois demandes: le retour des réfugiés, la sortie des Serbes et le déploiement de forces internationales au Kosovo.
C’est la stratégie américaine qui s’affirme à travers la préservation de l’unité de l’OTAN, le maintien de la relation avec la Russie en lui donnant un rôle négociatoire; puis, l’instauration d’une politique mondiale protégeant les minorités et approfondissant les valeurs démocratiques.
Où s’achemine-t-on par là?
Le conflit persistera jusqu’à l’automne prochain et le temps joue en faveur de Milosevic, en dépit des pertes économiques et militaires. Ses forces n’ont pas été beaucoup affectées, bien que les lignes de leur ravitaillement soient devenues plus difficiles.
Le 18 juin, le grand compromis se produira: un arrangement ou l’entrée dans l’inconnu et la “somalisation” des Balkans... André Fontaine écrit au journal “Le Monde”: “Nous sommes aux portes de l’été de la guerre, l’automne pouvant être l’automne de l’arrangement pour sortir de l’impasse.” 
Photo Melhem Karam

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