MINISTRE DES RELATIONS INTERNATIONALES ET DE LA FRANCOPHONIE DU QUÉBEC

LOUISE BEAUDOIN: “NOUS VIVONS DANGEREUSEMENT ET, DEPUIS 1760, C’EST UN PERPÉTUEL RECOMMENCEMENT”

“IL FAUT QUE LES JEUNES TIENNENT MORDICUS À VIVRE EN FRANÇAIS”


Je me réjouis pour la communauté acadienne 
et on est sensible à l’évolution du 
français hors du Québec.

Le VIIIème sommet de la Francophonie doit se tenir à Moncton dans le Nouveau-Brunswick (Canada), en septembre prochain.
Ce sommet, le dernier du siècle, revêt une importance toute particulière, puisqu’il sera appelé à poser de nouveaux jalons pour la francophonie à l’aube du IIIème millénaire, alors que le prochain sommet se tiendra au Liban, en 2001. Des thèmes majeurs, tels ceux de la jeunesse, de la diversité et de l’exception culturelle y figureront en bonne place.
Le choix de Moncton a suscité quelques réactions. Certains Québécois considèrent que leur province qui compte plus de 6 millions de francophones, aurait été mieux placée pour accueillir une telle rencontre. Car sur les 600.000 habitants que compte le Nouveau-Brunswick, seuls les Acadiens, un tiers de la population, sont francophones à part entière. Mais on peut d’un autre côté, avancer un argument favorable à ce choix, partant du fait qu’il est important d’encourager la francophonie “hors Québec”.
Pour en savoir plus sur ce sommet, son importance et le choix du lieu, nous avons interrogé une femme pleinement engagée et active au niveau de la francophonie, Mme Louise Beaudoin, ministre québécois des Relations internationales et de la Francophonie.
L’entretien a porté, aussi, sur les relations entre le Québec et le Liban, sur la situation du français dans l’île de Montréal et sur le problème de la souveraineté toujours revendiqué par le Québec.
Mme Beaudoin est foncièrement attachée à l’évolution de la langue française et tient à placer la particule “la” devant son titre de ministre.

AU LIBAN EN 2001
Qu’est-ce qui a présidé au choix de Moncton pour le prochain sommet de la francophonie et pourquoi pas Montréal ou la ville de Québec?
Mme Beaudoin rit de bon cœur à cette question et répond: Il faut dire et rappeler, en premier lieu, qu’il y a eu déjà un sommet de la francophonie à Québec, en 1987. Donc, à chacun son tour; celui du Liban viendra en 2001 et je serai bien heureuse d’y aller.
Vous ne pensez quand même pas que le choix de Moncton visait à banaliser la situation privilégiée du Québec, au sein de la francophonie, tels que certains Québecois le disent?
En effet, toute cette affaire est extrêmement compliquée. Pour ma part, je me réjouis pour la communauté acadienne et on est très sensible à l’évolution des francophones hors du Québec. Certes, les chiffres ne sont pas les mêmes, puisqu’on est six millions de francophones au Québec, alors qu’en Acadie ils ne sont que 300.000. Nous sommes, justement, très attentifs au développement de la société acadienne.

IMPORTANCE DU THÈME DE LA JEUNESSE
Quel va être le rôle du Québec à ce sommet, sachant que vous avez une présence importante au sein de la francophonie en tant que groupement souverain?
Pas tout à fait souverain, malheureusement! Concernant notre rôle à ce sommet, la thématique de la jeunesse qui figurera au cœur de cette rencontre, nous intéresse au plus haut niveau, d’autant plus qu’il y aura au Québec, au tout début de l’an 2000, une rencontre sur la jeunesse. Le sommet de Moncton sera pour nous, en quelque sorte, une avant-première par rapport au sommet québéco-québéquois sur la jeunesse. Nous sommes en pleine préparation de ces deux rencontres qui porteront sur la même thématique, l’une interne et l’autre francophone.
Notre rôle primordial sera d’apporter notre contribution à toute cette problématique, à cette réflexion, à ces actions qui concernent la jeunesse. Pour nous Québécois et francophones, il est clair et nous savons qu’il faut que les jeunes tiennent mordicus à vivre en français au Québec. Pour les y inciter, il n’y a pas de meilleur stimulant que de les faire participer à un espace francophone pour la jeunesse.
Est-ce à dire qu’il y a un recul du français, au niveau des jeunes au Québec?
Cela veut dire que nous vivons dangereusement, différemment de vous. Ce ne sont pas les mêmes risques, car géopolitiquement, nous ne sommes pas dans la même situation. Pour nous, depuis 1760, c’est un perpétuel recommencement. De génération en génération, il faut se trouver de nouvelles raisons de vivre en français en Amérique, puisque la pente naturelle est d’y vivre en anglais. Il faut renouveler notre engagement de façon permanente. C’est un combat continu.

LE DROIT À LA DIVERSITÉ CULTURELLE
Quels seront les autres grands dossiers de ce sommet francophone de Moncton, le dernier du XXème siècle?
L’autre grand dossier primordial pour nous est celui de la diversité culturelle. Il nous faut absolument réussir à introduire, dans les négociations économiques internationales, ce concept, cette notion de diversité, d’exception culturelle. Nous sommes pleinement en faveur de la libéralisation des échanges économiques, mais il faut faire en sorte que la mondialisation des marchés puisse avoir en contrepartie, comme contrepoids, le maintien de notre diversité culturelle et de l’identité propre à chacun.
C’est un des thèmes qui, pour le gouvernement du Québec, est très porteur et auquel on croit beaucoup.
Croyez-vous qu’il y a des chances d’arriver à faire entendre cette voix de l’exception et de la diversité culturelle, au sein de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC)?
Oui, mais dans le cadre de regroupements, tel celui de la francophonie. Il faudrait s’entendre sur un sujet de déclaration et faire en sorte que les pays francophones, membres de l’OMC, fassent entendre leur voix. Après tout, la diversité culturelle existe au sein de la francophonie; on pourrait même dire qu’elle en est sa raison d’être. La francophonie n’est-elle pas le bilan de cultures diverses ayant le français en partage? Il faudrait donc que cette concertation s’exerce à Moncton pour se faire entendre, ensuite, à l’OMC.
La France défend vivement ce concept de la diversité culturelle. Les autres pays francophones sont-ils aussi engagés et actifs que le Québec dans ce combat?
Pas tous, mais certains. Ainsi, la communauté française de Belgique et un certain nombre de pays africains, sont actifs. Alors, on souhaite que le Liban, le soit aussi.

DE GÉNÉRATION EN GÉNÉRATION,
IL FAUT SE TROUVER DE NOUVELLES RAISONS DE VIVRE
EN FRANÇAIS EN AMÉRIQUE.

IL FAUT INTRODUIRE DANS
LES NÉGOCIATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES LE CONCEPT
DE LA DIVERSITÉ ET DE L’EXCEPTION CULTURELLE.

POUR UN ACCORD-CADRE
AVEC LE LIBAN.

DES RELATIONS HARMONIEUSES AVEC LE LIBAN
Quels sont les rapports de coopération entre le Québec et le Liban, surtout concernant la francophonie?
 Entre le Québec et le Liban, les relations sont harmonieuses au sein de la francophonie. Les choses se passent très bien. Il y a au Québec une communauté libanaise très active et on est très sensible à nos relations avec votre pays.
Sur le plan économique, notre balance commerciale est très favorable: 54% des exportations du Canada vers le Liban sont en provenance du Québec et 78% de ce qui s’importe du Liban vers le Canada vient au Québec, dont des produits alimentaires. D’ailleurs, à Montréal, les restaurants libanais sont les meilleurs et, pour ma part, j’aime beaucoup la cuisine libanaise.
Envisagez-vous de renforcer vos relations avec le Liban?
On pense, actuellement, à établir un genre d’accord-cadre sur les questions qui nous intéressent et nous préoccupent mutuellement: à l’éducation, à la culture, dans le domaine économique, etc... C’est ce qu’on fait, d’ailleurs, avec un certain nombre de pays. Il faut donc commencer par la signature d’un accord-cadre; ensuite, on pourra en faire davantage.
Le Premier ministre du Québec, M. Lucien Bouchard a, récemment, effectué une visite officielle au Mexique, accompagné d’une importante délégation d’hommes d’affaires. Quelle en est votre évaluation?
J’aimerais, tout d’abord, préciser que le gouvernement canadien ne nous a pas du tout aidés à organiser cette visite, refusant de demander une entrevue officielle de notre Premier ministre avec le président mexicain. C’était mesquin comme comportement; une totale erreur qui ne pourra pas se répéter à l’avenir. Malgré ce fait qui a été déploré par les médias mexicains, autant que par l’opinion publique québécoise, je peux dire que la visite a été un immense succès diplomatique et économique. A l’exemple de l’Europe qui se construit, on prépare, de notre côté, l’intégration des Amériques et on est bien content de cette arrivée massive de “latinos” dans le paysage de ces ententes. Pour l’instant, on n’est que trois pays: le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. Mais M. Bouchard a précisé que les prochaines visites seront au Chili et en Argentine. Les contacts avec l’Europe, notamment la France, sont continus et en 2001 on sera au Liban

RÉGLER LE PROBLÈME DE LA SOUVERAINETÉ
Le parti québécois, auquel vous appartenez, revendique la souveraineté du Québec. Y a-t-il un prochain référendum en perspective pour déterminer le sort de la province?
Oui, il y en aura, car la question n’est pas réglée et il va falloir le faire à un moment donné. Je ne crois pas que les Québécois se résignent à vivre dans une province comme les autres. S’ils ne votent pas en majorité pour le “oui”, c’est qu’ils pensent toujours qu’il y a une dernière chance à donner au fédéralisme renouvelé.
Pour l’instant, ceci est leur premier choix. Leur deuxième choix est la souveraineté. La maturation de tout cela, va leur faire découvrir que le fédéralisme ne se renouvellera pas et que la souveraineté devra se faire. Pour moi, c’est incontournable.
Mme Beaudoin ajoute: Je souhaite que le référendum se fasse dans le cadre de ce mandat. Mais il est clair qu’il n’aura pas lieu, si on n’a pas les données adéquates. La politique n’est pas une science exacte et il ne faut jamais avoir la certitude de gagner. Au dernier référendum, on s’est trompé de peu. N’empêche qu’il faut se décider rapidement, parce que le restant du monde évolue. Nous restons en marge et finirons par devenir un peuple insignifiant. Toutes les décisions se prendront à d’autres niveaux, soit fédéral canadien, soit international. Ce sera trop tard.

LE POIDS DES IMMIGRANTS
La présence des immigrants joue-t-elle contre la souveraineté? D’aucuns le pensent et M. Jacques Parizeau, l’ancien Premier ministre l’a dit ouvertement, lors du précédent référendum.
Statistiquement, M. Parizeau avait raison. Mais je n’ai pas la même perspective à cet égard. En démocratie, chaque vote a son poids et son importance, qu’on soit francophone, anglophone ou alophone. C’est, surtout, une question d’intégration; après deux générations, les immigrants ont tendance, dans le fond, à faire de sorte que leur vote communautaire ne soit plus monolithique. Je pense que c’est l’évolution normale des choses.
Quand on arrive dans un pays, on reste au début davantage ensemble; on est plus grégaire. A un moment donné, le vote se distribue. Au dernier référendum, la communauté latino-américaine s’est prononcée en faveur du “oui”, alors que 40% des francophones ont voté contre la souveraineté.

LE TRANSFERT LINGUISTIQUE
On dit que le français perd du terrain, dans la ville de Montréal, où on ne compte plus que 50% de francophones. Qu’en pensez-vous?
Sur ce plan, les démographes disent qu’en 2005, les francophones vont être une minorité sur l’île de Montréal. Il faut, justement, voir dans quel sens va se faire l’évolution et dans quelle mesure la langue d’usage des immigrants pourra devenir le français.
Toute la question est dans le transfert linguistique. Dans la première génération d’immigrants, chacun garde sa langue maternelle; la deuxième, fait des choix, soit vers le français, soit vers l’anglais. C’est là que tout se joue. Comment se fera le transfert linguistique? Avant la “loi 1001” (Loi pour protéger les français, N.D.L.R.), 20% seulement des immigrants de la deuxième génération choisissaient le français. Aujourd’hui, il y en a 40%. C’est donc une course contre la montre et notre tâche essentielle consiste à franciser, autant que possible, les nouveaux venus.
Mme Beaudoin vous êtes, dit-on, un défenseur acharné de l’évolution de la langue française. Vous portez, d’ailleurs, le titre de “la” ministre. Etes-vous en conflit avec l’Académie française?
Oui, je suis en conflit ouvert avec M. Maurice Druon, secrétaire permanent de l’Académie française. Il faut bien que la langue française évolue.
Si, lui, vit dans son Moyen-Age et ses “Rois maudits”, c’est son affaire; mais pour la langue française, il ne peut en être de même. Pour cela, entre nous, il y a des éclats et le débat est viril. 


NELLY HÉLOU
Montréal

 
C.V.
La cinquantaine, native de la ville de Québec, Louise Beaudoin a une licence en sociologie de la Sorbonne; une licence et une maîtrise en histoire de l’Université Laval. Membre du parti québécois, elle est députée de la circonscription de Chambly depuis 1994.
Son expérience professionnelle est, aussi riche que variée, ayant occupé dès les années 73, plusieurs postes de responsabilité dans les domaines de l’éducation, de la culture et des affaires internationales. Elle fut nommée, pour la première fois, ministre en 1985 et figure ensuite en bonne position au sein du gouvernement du Québec formé au lendemain des élections générales de 1994.
Elle occupe, actuellement, depuis le 15 décembre 1998, les fonctions de ministre des Relations internationales, de ministre responsable de la Francophonie et, depuis le 2 août 1995, ministre responsable de la Charte de la langue française.


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