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JEZZINE, UN TEST

Il y a déjà un bon bout de temps que le gouvernement israélien parle de retirer son armée, d’une façon ou d’une autre, de ce qu’il appelle “la bande de sécurité” au Liban. Comme chacun sait, Jezzine ne fait pas partie de cette “bande”; mais elle est occupée par l’Armée du Liban-Sud, autant dire par Israël. Parmi ces projets de retrait israélien, il y a celui qu’on appelle “unilatéral”, terme par lequel on veut signifier une opération sans négociation préalable avec le Liban. C’est, précisément, ce que réclame le gouvernement libanais: un retrait sans négociation en application, sans condition, de la résolution 425 du Conseil de Sécurité de l’ONU. Ce n’est pas ce qu’entend Israël. Mais alors, quoi?
Que redoute-t-on? On ne le dit pas clairement. Apparemment, on n’a pas besoin de le dire; on suppose que tout le monde devine ce qui est redoutable dans cette menace de “retrait unilatéral”. Or, voilà qu’il est en voie d’exécution rapide à Jezzine même.
Aussitôt, le gouvernement libanais se fait rassurant, tout en parlant de “piège” où l’on ne tombera pas. Le gouvernement dit qu’il fera son devoir, que toutes les dispositions seront prises pour la sécurité de la région.
En fait, Jezzine est restée bien intégrée aux structures de l’Etat, malgré l’occupation: l’administration civile y est présente, la région a ses députés à la Chambre et l’armée libanaise y possède une caserne avec 300 soldats. Enfin, il y a la gendarmerie (F.S.I.) Au surplus, à ceux qui craindraient une invasion de la ville par le Hezbollah, l’exposant ainsi aux tirs des canons israéliens, cette organisation de la résistance a donné des assurances sur sa volonté de s’abstenir de toute action susceptible de troubler la paix de la population, même pas des manifestations de triomphalisme après le retrait. Mieux encore, seul ce parti, par la bouche de son secrétaire général, Sayed Hassan Nasrallah, a exposé une position claire et précise en termes mesurés.
Dans ces conditions, où est le problème? Pourquoi toute cette agitation des esprits et ces spéculations?
Est-ce la confiance qui fait défaut? Est-ce l’information des Libanais par leur gouvernement qui est défaillante, insuffisamment claire? Les journaux rendent compte de la situation en supposant beaucoup de choses connues, ce qui n’est pas précisément la bonne manière d’informer. Mais ici, on n’engage jamais le débat au fond. On s’en tient au non-dit.

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L’affaire de Jezzine n’est pas, en fait, très différente de l’occupation de la “bande de sécurité”. Qu’elle ne soit pas directement concernée par le problème de l’application de la résolution 425 n’empêche pas, qu’en pratique, son évacuation par Israël (ou par ses auxiliaires) crée, pour l’Etat libanais, le même genre de situation qu’une éventuelle évacuation de toute la “bande de sécurité”. Dans les deux cas, il s’agit de reprendre fermement en main un territoire et d’y assurer la paix civile.
Depuis le temps que cette perspective est envisagée, on est en droit de supposer que les gouvernements libanais successifs ont tout prévu et tout préparé. Maintenant que l’opération d’évacuation est en cours pour Jezzine, la presse nous laisse entendre que le gouvernement est pris de court. M. Hoss s’est empressé d’affirmer le contraire. Il a bien fait; mais le doute est jeté dans les esprits et nombreux sont ceux qui sont heureux de l’exploiter, tellement il est habituel et facile d’ébranler la confiance dans les capacités et les promesses des détenteurs du pouvoir.
Il faut y prendre garde. Le sujet est trop grave pour être livré aux polémiques et aux querelles partisanes. Le gouvernement n’a fait face jusqu’ici à la nouvelle situation qui est en train de se créer à Jezzine qu’en s’armant de généralités, qu’en ressassant l’expression de positions de principe. Qu’est-ce qui l’empêche de dire en quoi consiste son plan? Ce serait là une base concrète pour établir la confiance.
Ce sera peut-être chose faite au moment où paraîtront ces lignes. Mais il nous fallait relever ce climat de flottement qui a marqué ces derniers jours, afin qu’on se prépare à éviter sa réédition quand viendra, enfin, le moment d’une totale évacuation de la “bande de sécurité”. Car alors, les conditions seront plus difficiles et les conséquences plus graves.

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Pour ne pas avoir l’air de verser dans une certaine forme d’innocente naïveté, il faudrait encore exprimer un doute: est-ce que cette façon de dramatiser un problème apparemment simple, ne relève-t-elle pas d’une volonté de camoufler des solutions convenues d’avance avec les multiples intermédiaires qui s’agitent sur la scène? On a remarqué combien l’ambassadeur des Etats-Unis, par exemple, multipliait les visites, depuis quelque temps, aux principaux détenteurs du pouvoir.
Il y a, semble-t-il, des arrangements en cours (ce qui ne signifie pas “négociation”) pour éviter les surprises. Il n’y a pas lieu de s’en plaindre; mais qu’on ne cherche pas à nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Il y a, enfin, cette remarque de Sayed Hassan Nasrallah faite, comme en passant, au cours de sa conférence de presse, que tout territoire libéré est censé devenir une base de départ pour les opérations de la résistance. N’est-ce pas une invitation aux populations de la région de Jezzine de se joindre au combat? C’est, aussi, une mise à l’épreuve de ce thème de la solidarité chanté si bien, surtout depuis Arnoun. Serait-ce là le “piège”, dont M. Hoss et d’autres ont parlé?


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