Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD

LES MAÎTRES DE LA RUE

Voilà que ça recommence. Non que cela ait jamais cessé, mais la presse y avait mis la pédale douce, submergée comme elle l’était, par la cascade de scandales et d’arrestations spectaculaires, sans oublier l’événement majeur: le retour de Jezzine au bercail et, bien entendu, la victoire de La Sagesse.
Mais ces messieurs n’avaient pas chômé pour autant. Bien au contraire, loin de ralentir leurs activités, nos distingués voleurs avaient mis à profit ce silence médiatique (inexcusable à mon sens), ainsi que l’inaction chronique des forces de sécurité (du moins dans ce domaine), pour parfaire leurs méthodes et pousser l’audace jusqu’à agir en plein jour au nez et à la barbe de tout un chacun et, plus spécialement, de la police qu’on ne voit hélas! que les jours de parade à la télévision.
Quand nous disons les voleurs, nous ne parlons pas ici des ex-ministres, directeurs généraux, grands commis de l’Etat et de ceux de leurs congénères qui devraient en toute équité leur emboîter le pas. Nous parlons des voleurs à la tire qui ratissent de préférence les quartiers résidentiels, spécialisés (les voleurs non les quartiers résidentiels) dans les femmes qui rentrent chez elles ou en sortent, naïvement ou sottement munies d’un sac à main.
Ceux qui prétendent que ce genre d’agressions a cessé, mentent comme des arracheurs de dents. Ils mentent d’ailleurs la conscience tranquille, puisque en arabe mentir est une vertu, l’adage populaire ne veut-il pas que le mensonge soit “le sel des hommes”? Bref, ils mentent. Ils savent très bien qu’ils mentent. Mieux, ils savent que nous le savons et nous savons parfaitement qu’ils savent que nous le savons. Mais à ce stade là, tout le monde s’en fout. Sauf celles qui atterrissent à l’hôpital et celles qui n’osent plus sortir de chez elles à moins de se vêtir de haillons et de traîner derrière elles un sac de poubelle.
Il y a quelques jours à peine, deux dames (deux sur cinquante) l’une Eva T... s’est vu à sa descente du taxi, devant son immeuble - non loin de l’hôpital St Georges - réserver un traitement de choc. Jetée à terre, brutalisée, elle y gagna 15 points de suture à la tête et une fracture du bassin. L’autre victime, une touriste qui sortait d’un restaurant renommé, dans une rue peuplée de restaurants prestigieux et, aussi, de motards amateurs de sacs à main, le tout à 15 mètres à vol d’oiseau du siège central de la police d’Achrafieh.
Dire qu’on nous avait promis jadis (mais peut-être dans une autre vie) de faire circuler des patrouilles dans les quartiers à risque! Comme de juste, promesse non tenue. De plus, on nous fait payer un impôt pour “le gardiennage de nuit”. Les gardiens de nuit ont été, depuis un quart de siècle, rejoindre la panoplie du patrimoine folklorique dans la mémoire collective du troisième âge, mais l’impôt, lui, est toujours perçu.
Pour tout dire, impôt ou pas, la sécurité est devenue la cinquième roue du carrosse. Que les dames qui croient très malin de porter un sac à main aillent se faire chouchouter dans les soins intensifs, les responsables, eux, ont des occupations plus sérieuses. Et peu importe que personne ne comprenne pas grand-chose à ces occupations. Peu importe que l’infortuné citoyen observe médusé une scène politique où l’on voit des gens terriblement pressés de se rendre nulle part, arriver n’importe où, se conduire n’importe comment, dire n’importe quoi, lancer leurs répliques après être sortis, sortir avant d’être rentrés, commencer après avoir fini et finir avant d’avoir commencé.
Pendant ce temps, les malfaiteurs pullulent, la plupart étant des étrangers qui ne se gênent pas pour entrer dans un pays dont les frontières sont de véritables passoires. En fait, il n’y a que les honnêtes gens qui sollicitent un visa et ceux-là, on leur fait suer sang et eau pour le leur accorder.
Résultat: jamais, nous apprennent les statistiques collectées par la presse, les cambriolages n’ont été plus nombreux, les criminels plus culottés, le sentiment d’insécurité plus fort au sein de la population.
En fait, il ne se passe pratiquement pas de jour sans que l’on apprenne que des individus sont entrés chez tel ou tel pour tuer, voler, violer... De sorte que lorsque les autorités dites compétentes nous rassurent: soyez tranquilles, nous veillons sur vous, cela sonne comme le slogan de cette entreprise de pompes funèbres: “Mourez, nous ferons le reste”.
S’agissant de nous, même dans ce cas de figure, pouvons-nous jurer qu’ils tiendraient leur parole? 

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