Editorial


Par MELHEM KARAM 

LE LIBAN, DEUX OPINIONS ET DEUX VISIONS

OUI À SAVONAROLE... NON À CÉSAR

Lorsque j’ai lu le titre du congrès ayant tenu, récemment, ses assises à Beyrouth: “Le Liban, pays modèle pour la coexistence entre les religions”, j’ai dit: Pour la première fois, le livre ne se lit pas à son titre. Et pour la première fois, aussi, j’ai dit: Ah! si cela était vrai. Pour la première fois après la millième, nous avons passé notre vie à rêver de cela! Puissions-nous vivre vraiment sous ce titre, avec l’ouverture des grands philosophes de la religion et du monde, aspirant aux horizons universalistes... Les horizons de l’homme tendant vers le mieux-être.
Le Liban, pays modèle pour la coexistence entre les religions? C’est une grande vérité et une grande responsabilité, mais elle est loin d’être conforme à la réalité.
Depuis l’émirat, le Liban se signale par deux opinions et deux visions. Fakhreddine II Al-Maani a voulu consolider l’opinion publique et l’unifier. Tout au moins, au Mont-Liban; puis, au Liban tout entier. Ce jour-là, le Liban était la Montagne, mais Fakhreddine s’est heurté à Istanbul. Bachir Chéhab II, naturellement, a essayé, lui aussi, et Bachir Chéhab, également, n’a pu tenir le même langage, parce que la Montagne, à la fin de son mandat, était devenue un champ de guerre qui opposa, à l’époque, Mohamed Ali à l’Etat ottoman. Mohamed Ali avait convoqué son fils, Ibrahim Pacha qui était, alors, au Liban, dans la Montagne, soutenant le second émir chéhabi, dont le règne prit fin avec le départ du fils de Mohamed Ali.
Depuis lors, le Liban est deux opinions et deux visions. Le partage de 1842, à l’initiative de Metternich, chancelier d’Autriche, a divisé la Montagne en deux caïmacamats: l’un pour les chrétiens, ayant à sa tête l’émir Haidar Abillama; l’autre pour les druzes dirigé par l’émir Mohamed Arslan.
Les dispositions prises en 1845 par Chakib Effendi, ont accentué la lutte sanglante dans la Montagne qui s’est perpétuée jusqu’en 1860, date de la création du moutassarafiat, bien que ce n’était pas l’année de l’institution du Protocole.
Le moutassarafiat, comme les deux caïmacamats, a divisé les Libanais; étant entendu que le moutassarifiat était l’une des étapes du bien-être au Mont-Liban. Le bien-être sécuritaire, non le bien-être politique. Parce que l’ère du moutassarifiat était apolitique au Mont-Liban qui sortait du marécage du feu et du sang.
Le Liban est resté tiraillé par deux opinions et deux visions, par rapport au mandat français, à la Constitution libanaise, au Grand Liban et, par la suite, au traité libano-français, jusqu’en 1943.
Ce jour-là, le Liban a eu la conviction d’avoir trouvé la bonne voie: le Pacte, la formule et persuadé les Libanais du devoir de vivre dans une patrie unique et unifiée, car “deux négations ne font pas une nation et une patrie”, pour reprendre les termes de notre grand confrère, Georges Naccache.
Le Libanais a vécu dans l’euphorie de l’indépendance jusqu’à ce qu’il fit face, quinze ans plus tard, aux événements de 1958, lesquels ont tenté d’ébranler la formule, de compromettre le Pacte et de diviser les Libanais. Nous en sommes sortis dans l’état de “ni vainqueur, ni vaincu”. Cette équation de “ni vainqueur, ni vaincu” a subi un revers après quinze ans, pour entrer dans la fournaise des événements libanais dont nous n’avons pu sortir jusqu’à ce jour.
Telle est notre vérité. Nous la proclamons non pour capituler, mais pour affronter la vérité à partir de notre vérité. Nous vivons, aujourd’hui, dans le temps de la paix civile. Cependant, je pose la question et souhaite que tous répondent à cette question: Sommes-nous à l’ombre de l’entente civile... et de l’entente politique?
Combien devons-nous œuvrer, notre main serrant les mains des gens de bonne volonté et d’opinion dans ce monde qui ne cesse, partant de la volonté de l’opinion internationale, d’encourager le Liban et de s’encourager par le Liban. Il s’encourage, parce qu’il est le pays des communautés et l’encourage à ne pas être le pays du confessionnalisme.
Puissions-nous garder ce titre, en souhaitant que le titre du congrès ayant tenu ses assises au Liban fut plus modeste dans ses ambitions. Mais nous avons dit que la volonté de l’homme dans cet univers qui lance des appels à l’intégration, doit dominer et indiquer la voie juste.
Nous avouons, si nous voulons tenir le langage de la réalité, que nous aspirons à ce que le Liban soit le pays modèle dans le monde pour la coexistence entre les religions. Nous reconnaissons être dans le milieu bienfaisant qui existe ici, en dépit de tout ce qui est arrivé. Nous continuons à nourrir un profond espoir, en ce que nous atteindrons notre ambition et notre aspiration en un Liban unique, unifié, libre, souverain, indépendant où les citoyens vivent égaux dans le droit et l’obligation devant la loi.
Oui, au Liban modèle de coexistence entre les religions. Oui, à tout être sincère dans tout pays du globe et le monde arabe, convaincu du fait que cette patrie est un message, plus qu’une patrie. Et plus grande qu’une patrie. Oui, à quiconque pense de la sorte, au Liban et en dehors du Liban...
... A condition de prendre conscience de la vérité, tout en acceptant d’assumer la charge de sortir de cette vérité, pour que nous soyons fiers de notre vérité et méritions une patrie à son ombre.
Et toujours, oui à Savonarole et non à César.
Photo Melhem Karam

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