SAÏDA
LA JUSTICE DÉCAPITÉE



Devant le palais de Justice, la foule porte
le cercueil du magistrat Hassan Osman.
Le Liban tout entier était mardi sous le choc du massacre des quatre magistrats à Saïda. L’Etat libanais, premier concerné par les retombées de ce crime odieux, a aussitôt réagi en prenant une série de mesures militaires et de sécurité dans le chef-lieu du Liban-Sud et en déférant l’affaire devant la Cour de Justice. La Syrie, elle aussi, a vu dans cet attentat un acte hostile à son autorité au Liban et le président Hafez Assad est, immédiatement, entré en contact téléphonique avec son homologue libanais, pour lui faire part de son appui total aux mesures adoptées.
 

Les traces du sang sur le sol.

 

La salle de tribunal, scène du massacre.

Israéliens? Palestiniens? Mafieux? Il est, peut-être, encore trop tôt pour se prononcer. Néanmoins, aucune piste n’est négligée et les moindres détails ou témoignages sont pris en considération. Partant de ces données, les enquêteurs se sont lancés dans diverses pistes, en attendant de s’engager sur celle qui les conduira aux exécutants; puis, aux commanditaires:
- La première piste va dans le sens d’un ou de plusieurs groupes mafieux qui chercheraient à terroriser le corps judiciaire statuant sur des crimes de droit commun et de corruption. Même si cette hypothèse est retenue, elle reste la moins plausible. En effet, aucun des huit prévenus qui se trouvaient dans la salle du tribunal, n’a profité de la panique qui a suivi la fusillade pour prendre la fuite. D’autre part, il aurait été plus simple pour les assassins d’intimider, individuellement, les magistrats, au lieu de les abattre en pleine audience, cette opération nécessitant une planification et une exécution minutieuses.
- La deuxième piste mène aux camps palestiniens du Sud (notamment celui d’Aïn el-Héloué) qui se sont transformés en véritables forteresses, que les forces légales libanaises encerclent mais où elles ne pénètrent pas. Aussi, cette hypothèse est-elle étayée par le fait qu’une des mitraillettes abandonnées sur les lieux du crime, porte le nom d’une organisation palestinienne. Mais cette curieuse “négligence” pourrait, également, être intentionnelle pour brouiller les pistes et pousser l’Etat à sévir contre les camps qui abritent les criminels de tout acabit et dont le moindre est l’illustre Abou Mahjan.
- La troisième accusation vise l’Armée du Liban-Sud. En effet, cette tuerie intervient après son retrait de Jezzine et au moment où ses hommes originaires de la ville se soient rendus à l’Etat. Ainsi, certains estiment que cet acte terroriste est un message clair au pouvoir judiciaire chargé de statuer sur leur sort, pour l’empêcher de les condamner. Ajouter à ceux-là les recrues de l’ALS vivant dans le cordon de sécurité et qui craignent pour leur vie, après le retrait israélien du Sud, prévu à plus ou moins brève échéance.
- La dernière hypothèse: Israël cherche à saper les fondements d’un pays en voie de rétablissement, ou à exercer des pressions pour amener l’Etat libanais à négocier des arrangements de sécurité, d’autant que l’Etat hébreu a échoué jusqu’ici dans la  conclusion de tels arrangements. Israël aurait, également, été surpris par le retour de Jezzine dans le giron de l’Etat libanais, sans problème ni effusion de sang; il voudrait, par conséquent, affaiblir le Liban avant toute négociation.
Quoi qu’il en soit, le massacre de Saïda est l’œuvre de professionnels et la réaction officielle libanaise illustre clairement la portée politique de cet acte ignoble
 
 
LES MAGISTRATS MARTYRS

- Le magistrat Hassan Osman: Originaire de Zaarourieh; était âgé de 63 ans. Marié à Bahija Solh et père de Karim et de trois filles Mona, Rima et Roula.
- Le magistrat Assem Bou-Daher: Né à Zaarourieh en 1960, était marié à Suzanne Kobrossli, native de Saïda. Il laisse une fillette de 2 ans.
- Le magistrat Walid Harmouche: Né à Samkanieh en 1959, licencié en droit en 1983, il accède à la magistrature en 1993. En 1998, il est promu conseiller auprès de la Cour Criminelle du Sud. Marié à Ghada Mounir Joumblatt depuis un an, il laisse une veuve éplorée enceinte de trois mois.
- Le magistrat Imad Chéhab: Né à Hasbaya en 1950, est marié à Mona Khaled Chéhab et père de deux enfants: Fouad (17 ans) et Omar (16 ans). Il avait accédé à la magistrature en 1992.

LES FAITS
La fusillade s’est produite mardi vers 12h10, au moment où le juge Hassan Osman présidait une audience de la Cour criminelle du Liban-Sud. Il était entouré de ses assesseurs Walid Harmouche et Imad Chéhab, ainsi que du procureur général du Sud, Assem Bou-Daher. Selon les témoignages, les tirs sont dirigés à partir de la fenêtre située derrière leurs sièges, la salle du tribunal se trouvant au rez-de-chaussée du palais de Justice. Les magistrats sont tués sur le coup. Un greffier, un avocat, deux policiers et deux civils sont blessés.
La panique suit l’horreur. L’armée et les FSI bouclent le secteur. Mais il est déjà trop tard. Après la fusillade qui dure moins d’une minute, les assaillants au nombre de deux s’enfuient en direction de la rue Riad el-Solh, laissant derrière eux leurs armes. Certains témoins ajoutent que deux ou trois autres complices faisaient le guet dans le parking situé du côté de la mer.
 

Le cortège funèbre du juge Osman.

Mesures de sécurité exceptionnelles.


Fermeture complète des commerçes.

LES RÉACTIONS ET LES MESURES
Aussitôt après le massacre, des mesures de sécurité draconiennes sont prises à Saïda et aux abords du camp d’Aïn el-Héloué. Les réunions des services de sécurité et de renseignements se succèdent. Le ministre de l’Intérieur, Michel Murr, réunit d’urgence le Conseil de sécurité régional. Des dizaines de personnes, ainsi que plusieurs gardiens du palais de Justice de Saïda sont arrêtés. Le Conseil supérieur de la magistrature décrète un deuil de trois jours et suspend les audiences dans tous les tribunaux du pays.
Mercredi soir, le Conseil des ministres décide, à la demande du président Emile Lahoud, de déférer l’affaire devant la Cour de Justice. L’armée est chargée d’aider les FSI à maintenir l’ordre à Saïda et autour des camps palestiniens.
Jeudi et à l’heure de mettre sous-presse, le Liban était encore bouleversé, voire même révolté, alors que le silence des morts régnait dans les palais de Justice.

MANSOUR MOUBARAK
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