INTERVIEW EXCLUSIVE

ENTRETIEN DU PRÉSIDENT OMAR
AL-BACHIR AVEC  MELHEM KARAM



 
Le président soudanais, Omar Al-Bachir, s’arme d’endurance et de patience, pour faire face à ses lourdes charges. Il sait que la présidence du Soudan n’est pas un luxe, mais des difficultés et des épreuves que le destin de certains gouvernants leur commande de supporter. Il estime que “la richesse est une grâce de Dieu: Il la donne à qui Il veut et la retire à l’heure qu’Il veut.”
Le général Al-Bachir considère que les complots ourdis contre le Soudan ne sont pas récents. Cependant, il estime que l’avenir de son pays “sera radieux, en dépit de toutes les difficultés”.
La rencontre a eu lieu dans son bureau au siège du commandement général à Khartoum et a duré une heure et demie.

La constitution
d’un comité de l’entente sous ma présidence
ne vise pas à en exclure le Dr At-Tourabi

 Deux attaques ont
été planifiées contre le Soudan à partir
de l’Ouganda et de l’Éthiopie
sous la couverture de la rébellion

LA PAIX AU SUD SOUDANAIS
Melhem Karam: Le 30 juin coïncidera avec  le dixième anniversaire de votre accession au pouvoir: jusqu’à quel degré avez-vous réussi à atteindre les objectifs que vous avez proclamés à cette date, en ce qui concerne le règlement pacifique de la guerre au Sud?
Président Al-Bachir: En dépit des efforts déployés et des initiatives sérieuses prises, nous ne sommes pas encore parvenus à y instaurer la paix.
Naturellement, en entrant en fonctions, j’avais en vue de régler nos problèmes et je suis persuadé que la guerre du Sud est la cause principale des problèmes dont pâtit le Soudan au triple plan politique, économique et social. La principale revendication des frères sudistes est l’application du système fédéral. Après le congrès tenu aux premiers jours de la révolution qui a recommandé l’adoption de ce système, nous avons souscrit à cette recommandation et avons commencé à l’appliquer dans l’espoir de parvenir à la paix. Il semble, toutefois, que des forces régionales et internationales hostiles à la paix au Soudan s’emploient à faire perpétuer la guerre, car à travers cette guerre, elles peuvent atteindre leurs objectifs.
Des forces régionales  ont exploité la guerre pour couvrir leur action militaire contre le Soudan. L’attaque était déclenchée de l’Ouganda, de l’Ethiopie et de l’Erythrée sous l’ombrelle des rebelles.
De plus, les forces internationales ne voient pas d’un bon œil le régime au Soudan et ses orientations. Aussi, exercent-elles sur notre pays des pressions pour réaliser leurs desseins. Tout cela retarde l’opération de paix.
Melhem Karam: Trois années après les efforts déployés par l’organisation “Ifed”, ne croyez-vous pas qu’il est devenu nécessaire d’adopter un nouveau style dans la façon de traiter avec la guerre, d’autant qu’elle n’est plus limitée au Sud, ni à l’Armée populaire pour la libération du Soudan et d’associer l’opposition nordiste à l’effort de conciliation?
Président Al-Bachir: L’initiative  d’Ifed avait pour objectif de régler le problème du Sud qui est la question fondamentale, en plus des combats qui se déroulent dans d’autres régions. Les forces de Karnak sont les plus actives. Même les Etats d’Ifed sont persuadés que la cause du Sud a conduit les Sudistes à se combattre.
Quant aux autres fractions, elles ont des objectifs totalement différents. En fait, elles visent à accéder au pouvoir à Khartoum. Après la nouvelle Constitution, bien des forces internationales et régionales sont arrivées à la certitude que si  ces fractions ont pour objectif de s’emparer du pouvoir, elles peuvent y parvenir par des voies pacifiques, à travers la Constitution. Certains Etats européens ont cessé d’accorder le droit d’asile politique aux opposants du Nord.
Melhem Karam: L’adoption de la nouvelle Constitution n’a pas amené les grands partis à œuvrer dans le cadre de la légalité. De même, ces partis qui ont accepté d’agir dans le cadre de la loi sur la “rotation”, sont accusés de servir de façade à l’autorité pour laisser croire qu’une évolution s’est produite au niveau démocratique. Est-ce vrai?
Président Al-Bachir: On peut dire que les leaders des grands partis dissous ne sont pas venus, mais je ne crois pas qu’ils servent de façade, la Presse étant la façade la plus importante de la rue politique. Quiconque parcourt la Presse de Khartoum parvient à la conviction que l’action politique jouit de la liberté.

LA GUERRE DU SUD, PRINCIPALE
CAUSE DES PROBLÈMES DU SOUDAN

DANS CERTAINES RÉGIONS SUDISTES,
LA DOMINATION DES FRACTIONS
HOSTILES À KHARTOUM EST RELATIVE

DES ÉTATS EUROPÉENS ONT CESSÉ
D’ACCORDER LE DROIT D’ASILE
AUX OPPOSANTS SOUDANAIS

RENCONTRE TOURABI-MAHDI
Melhem Karam: Il serait question, depuis quelque temps, de tentatives en vue d’une entente avec l’opposition nordiste. Mais les déclarations de certains responsables gouvernementaux et du Congrès national (le parti au pouvoir) contredisent ce qui se colporte. Quelle est la vérité de ce qui se passe dans les coulisses au niveau de ces tentatives de conciliation?
Président Al-Bachir: Le discours est très clair et la direction du congrès l’a adopté de même que le bureau directorial qui domine le parti et le gouvernement. Tout ce qui émane de ce bureau est contraignant pour toutes les parties.
Le dialogue et l’engagement sont un style toléré et la rencontre entre le Dr At-Tourabi et As-Sadek Al-Mahdi a été notifiée aux instances supérieures du congrès qui l’ont admise et souscrit à ses décisions. Il n’y a pas de contradiction dans les contacts  et le dialogue avec les forces politiques. Naturellement, l’accord définitif n’a pas encore été réalisé autour de certains points, notamment les sujets à débattre et l’endroit où le congrès doit tenir ses assises. Jusqu’à présent, il aura lieu à Khartoum et il est ouvert à toutes les forces politiques de l’intérieur et de l’extérieur.
Melhem Karam: Nous constatons que vous concentrez votre entretien sur l’entente aux deux grands partis: l’Union démocratique sous le leadership de Mohamed Osman Al-Mirghani et le parti d’Al-Oumma, sous la présidence d’As-Sadek Al-Mahdi. Ceci laisse l’impression que vous tendez à constituer un bloc arabo-islamique nordiste face aux Sudistes. Cela ne signifie-t-il pas le maintien au sein d’un front communauto-religieux?
Président Al-Bachir: Il existe deux causes différentes: la cause du Soudan du sud, représentée par le mouvement de rébellion déclenché sous le régime du président Noumairy et s’est perpétué avec les mêmes partis durant la période transitoire.
Quand on envisage la seconde cause, celle de l’opposition nordiste, on constate que celle-ci est unie  avec la rébellion par son hostilité au gouvernement. L’opposition sudiste combat en faveur de la cause du Sud, alors que l’opposition nordiste milite pour une autre cause, à savoir l’accession au commandement à Khartoum.
De là, la négociation avec les deux diffère. Nous négocions avec Karnak à travers l’Ifed et, au préalable, l’initiative d’Abuja. Et nous négocions avec les forces nordistes qui représentaient les forces principales de Karnak.

L’OPPOSITION NORDISTE A COMME DÉNOMINATEUR
COMMUN AVEC LA RÉBELLION
L’HOSTILITÉ AU GOUVERNEMENT

NOUS AVONS ACCEPTÉ LE RETOUR DE
NOUMAIRY EN VERTU DE LA LIBERTÉ
GARANTIE PAR LA CONSTITUTION

 DES TENTATIVES SONT EN COURS À L’EFFET
D’ORGANISER DES RENCONTRES À TRIPOLI
POUR RÉALISER LA RÉCONCILIATION NATIONALE

LE RETOUR DE NOUMAIRY
Melhem Karam: Pourquoi avez-vous autorisé le président Noumairy à revenir et lui avez-vous donné, ainsi qu’à ses partisans, la liberté de mouvement?
Président Al-Bachir: Avant le président Noumairy, nous avons admis le retour du chérif Zein el-Abidine al-Hindi qui a fondé un parti. Et ce, dans le cadre de la liberté garantie par la Constitution. Car le citoyen soudanais a entamé une phase nouvelle et rien dans la Constitution l’empêche de rentrer. Etant entendu que nous nous attendions au retour du président Noumairy, avions établi les dispositions du retour, préparé son passeport et lui avons assuré une résidence. Mais il a changé d’avis après avoir consulté ses collaborateurs. Maintenant, il est revenu et sa présence ne pose aucun problème.

RÔLE DE L’ÉGYPTE ET DE LA LIBYE
Melhem Karam: Quelles sont, à votre  avis, les raisons de l’échec des initiatives égyptienne et libyenne en vue de la réalisation de la réconciliation au Soudan? Et quel rôle l’Egypte et la Libye sont-elles appelées à jouer pour favoriser l’entente?
Président Al-Bachir: Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’initiative en faveur de l’entente. Toujours est-il que nous avons émis un avis favorable à une initiative qu’entreprendrait l’Egypte. Mais celle-ci n’a pas été réalisée. En ce qui concerne les frères en Libye, il y avait eu une rencontre à Tripoli au moment où je participais au sommet du Sahara, mais l’autre partie n’est pas venue et la rencontre n’a donc pas eu lieu. Les frères libyens poursuivent leurs efforts en vue de favoriser cette rencontre.
Melhem Karam: D’après des déclarations contradictoires, des divergences vous opposeraient au Dr At-Tourabi, président du parlement, autour de la manière de traiter la situation interne, de la politique étrangère et de la direction du Congrès national. Quelles seraient les retombées de ces divergences sur le système?
Président Al-Bachir: Naturellement, je nie l’existence de tels différends, d’autant que nous œuvrons par l’entremise des institutions. Partant de là, ni mon opinion, ni celle du Dr At-Tourabi ne tranchent les problèmes qui se posent; c’est le rôle des institutions et celles-ci groupent le bureau directorial, le conseil consultatif, le Congrès général, chacune de ces dernières ayant des attributions déterminées. Nous sommes immunisés, grâce à Dieu, contre tout différend qui pourrait surgir et la décision de ces institutions est exécutoire.

L’AMÉRIQUE NOUS ACCORDAIT 800
MILLIONS DE DOLLARS PAR AN,
MAIS CETTE AIDE A COMMENCÉ À TARIR

NOTRE PRODUCTION PÉTROLIÈRE
S’ÉLÈVE À 150.000 BARILS PAR JOUR
ET PEUT ÊTRE PORTÉE À DEUX MILLIONS

LES RELATIONS AVEC L’EGYPTE PIÉTINENT
ET NOUS N’EN SOMMES PAS LA CAUSE

SYSTÈME FÉDÉRAL
Melhem Karam: Ne voyez-vous pas que les revendications et l’émergence de mouvements régionaux à Darfour, à l’est et au sud du Soudan, menacent la pérennité de l’entité soudanaise unifiée?
Président Al-Bachir: Il existe, actuellement, dans le pays un éveil qui conduit toujours à un mouvement revendicatif, car les gens se considèrent comme ayant droit au bien-être. De là, nous avons élaboré le système du pouvoir fédéral, lequel a transféré les pouvoirs de Khartoum aux provinces.
Les revendications fondamentales formulées par les provinces, plus précisément celles relatives aux services, tels l’enseignement, la santé et le développement, relèvent des autorités locales de chaque province. A titre d’éclaircissement, je précise que l’autorité dans la province n’a plus besoin de l’approbation de Khartoum pour ouvrir une école ou forer un puits. L’octroi de prérogatives aux autorités provinciales réactive le développement.
Certains n’ont pas encore saisi cette image et des membres du Conseil national discutent de questions qui ne sont plus de la compétence du Conseil national, mais plutôt des conseils de provinces. Si ces derniers pèchent par négligence, celle-ci ne peut être attribuée au gouvernement de Khartoum. L’application du système fédéral et son évolution commencent à donner des résultats positifs.
Melhem Karam: Au cours de nos déplacements à Khartoum, nous avons constaté l’accroissement de la pauvreté. Ainsi, le dollar qui valait quinze guinées soudanaises il y a quelques années, est échangé maintenant contre 2.500 guinées, ce qui traduit des séquelles catastrophiques dans le domaine économique. Y aurait-il un remède à cet effondrement?
Président Al-Bachir: Autrefois, la parité du dollar était de 15 guinées sur le marché et de 4 guinées dans les banques. L’économie soudanaise comptait, alors, sur le soutien extérieur. Nous recevions 800 millions de dollars, annuellement, des Etats-Unis et d’autres sources de financement, soit 80 pour cent du budget de l’Etat; ceci représentait les deux-tiers de nos ressources.
Cette aide a commencé à s’amenuiser et jusqu’à fin 1975, elle a totalisé 50 millions, alors que les revenus du Trésor souffraient d’un grand déficit. Pour couvrir ce déficit, l’Etat a dû s’endetter auprès des banques; ceci a entraîné une inflation qui s’est perpétuée jusqu’à juin 1996.
Cette année, l’économie soudanaise a commencé à recouvrer une partie de sa vitalité et l’inflation a baissé, entraînant la stabilisation de la parité de la monnaie nationale.
Nous pouvons dire que, pour la première fois, nous avons ramené l’inflation à sa limite minima sans un soutien extérieur. Puis, nous sommes parvenus à fixer un cours unique du dollar dans les établissements bancaires et sur le marché. Pour la première fois, aussi, depuis les années soixante-dix, les cours officiel et libre sont équivalents.
Nous pouvons dire, également, que l’économie s’est revitalisée. Nous sommes déterminés à lutter contre les anciennes séquelles et nous traitons les apparences de la pauvreté à travers les citoyens à revenu limité, alors qu’ils ont été très affectés par l’inflation et se sont transformés en gens pauvres.
Nous avons établi un programme en vue de relever les salaires et les porter à un niveau permettant au salarié de vivre dignement. Dans le même temps, nous agissons à travers des programmes sociaux en vue de créer de nouveaux emplois et de réactiver les institutions sociales par l’intermédiaire de la banque d’épargne et le développement social.
En plus de cela, les rentrées du gouvernement vont augmenter sensiblement, après la découverte de gisements pétrolifères.

MA RENCONTRE AVEC LE ROI FAHD A
PROUVÉ LA PROFONDEUR DES  RELATIONS
ET LEURS CONSTANTES ENTRE NOS DEUX PAYS

LES LIBYENS ET LES QATARIOTES ONT
PRÉPARÉ LE TERRAIN À DES CONTACTS
DIRECTS ENTRE LE SOUDAN ET L’ERYTHRÉE

NOUS NE NOUS SOMMES PAS MÊLÉS À LA
CRISE DU CONGO ET KABILA N’A
PAS DEMANDÉ NOTRE SOUTIEN

LA VITALITÉ VIENT PROGRESSIVEMENT
Melhem Karam: Vous fondez beaucoup d’espoir sur le début de commercialisation du pétrole soudanais; avez-vous pris en considération la situation sur les marchés mondiaux? Puis, le volume des investissements considérables des firmes étrangères et la perpétuation de la guerre au Sud, non loin des zones où se trouvent les gisements pétrolifères, suscitent le doute quant à la véracité de vos prévisions concernant le rôle de l’or noir dans le traitement de la crise économique du pays. Qu’auriez-vous à dire à ce sujet?
Président Al-Bachir: Au début, s’applique l’adage qui s’énonce de la sorte: La vitalité vient progressivement. Le fait pour nous de nous débarrasser du poids de la facture pétrolière, constitue un soutien fondamental à l’économie du pays. Par la suite, nous considérerons les rentrées provenant des exportations.
Melhem Karam: Les relations soudano-égyptiennes piétinent et les questions qui retardent leur normalisation n’ont pas encore été traitées d’une manière radicale. Qu’est-ce qui retarde la stabilisation de ces relations?
Président Al-Bachir: Nous avons tranché les causes qui empêchaient la normalisation de nos rapports et avons pris bien des mesures intéressant la partie égyptienne, en tête desquelles celles relatives à la sécurité et à la présence des opposants au régime égyptien en territoire soudanais. Nous pouvons dire que ce dossier a été fermé.
La seconde question est celle de certains bâtiments à propos desquels nous avons pris des décisions bien que, du point de vue légal, il s’agit d’édifices construits sur des terres appartenant au gouvernement du Soudan. Nous avons pris à leur sujet une décision politique dans le but de normaliser nos relations. Cependant, le retard dans ce domaine provient du côté égyptien.
Melhem Karam: La restitution des biens égyptiens signifie-t-elle que d’autres mesures seront prises, en vue de provoquer l’accalmie, tel l’échange des visites, par exemple?
Président Al-Bachir: Nous avons commencé à livrer une partie des bâtiments, afin de prouver notre bonne foi et avons entamé l’examen du dernier dossier qui intéresse nos frères en Egypte. Il reste à traiter les dossiers soudanais, ceux de la sécurité et de Halayeb. L’échange des visites permettra de régler les questions litigieuses.

SOUDAN-ÉRYTHRÉE
Melhem Karam: Le dernier accord conclu avec le président érythréen, Asias Aforki à Qatar, peut-il marquer le début de la rectification des rapports historiques entre les deux pays? Et quel serait l’impact de cela sur les relations soudano-éthiopiennes en cours d’évolution?
Président Al-Bachir: Nous avions besoin d’un intermédiaire pour rétablir le contact entre le Soudan et l’Erythrée. Les frères à Qatar et en Libye ont joué le premier rôle pour favoriser la rencontre entre les deux parties. La voie est, à présent, ouverte et nous pouvons effectuer des contacts directs.
Melhem Karam: Pourquoi les confrontations militaires ont-elles repris de plus belle après la signature d’un accord ou “l’entente de Doha”, la ligne des frontières communes s’étant embrasée?
Président Al-Bachir: Cet embrasement est le prolongement de la situation qui prévalait aux frontières avant l’accord. Actuellement, nous entreprenons les démarches nécessaires à l’effet d’intégrer une telle situation.
Melhem Karam: D’aucuns vous impliquent dans le conflit du Congo démocratique par l’envoi de forces pour défendre le régime du président Kabila. Cette accusation est-elle exacte et quelle est la nature de votre alliance avec Kabila?
Président Al-Bachir: Nous n’avons pas de forces armées au Congo démocratique et Kabila n’a pas réclamé notre soutien.
Melhem Karam: Nous avons constaté une amélioration dans les relations du Soudan avec les Etats arabes, ce qui prouve le dépassement des séquelles de la guerre du Golfe. En revanche, vos relations avec les Etats européens suscitent le doute quant à vos intentions d’opérer un changement et une ouverture. Qu’auriez-vous à dire à ce propos?
Président Al-Bachir: Nous pouvons dire, Dieu merci, que nos relations avec les Etats arabes sont redevenues normales. Même avec nos frères du Koweit, elles se sont normalisées et je m’attends à ce que les ambassades reprennent leurs activités d’une manière naturelle, s’il plaît à Dieu.
En ce qui concerne les relations avec l’Europe, une très grande évolution positive s’est produite. Le ministre des Affaires étrangères a effectué des visites à ces Etats, à l’invitation de ces derniers, malgré la résolution adoptée par le Conseil de Sécurité interdisant l’accueil des émissaires soudanais.
Si elles n’ont pas encore atteint la phase de la normalisation totale, les relations soudano-européennes ont nettement évolué.

SOUDAN-USA
Melhem Karam: A quelle étape ont abouti vos pourparlers avec l’Administration américaine au sujet des dommages causés à la fabrique de produits pharmaceutiques d’Ach-Chifa? Un arrangement pointe-t-il à l’horizon?
Président Al-Bachir: Il n’y a rien de nouveau à part la levée, par l’Administration US, de la saisie opérée sur les dépôts appartenant au propriétaire de la fabrique qui relève du secteur privé et non public. Cette usine ne produit aucun produit chimique, ni même ses matières premières, comme l’a prétendu Washington. Nous la considérons comme une fabrique de médicaments de second ordre.
Melhem Karam: Où en sont maintenant les relations soudano-américaines, à l’ombre de l’absence de la représentation diplomatique entre les deux pays? Les contacts sont-ils maintenus avec Washington, ainsi que l’a annoncé précédemment le Dr Moustapha Osman, votre ministre des Affaires étrangères et, dans l’affirmative, ont-ils donné des résultats concrets?
Président Al-Bachir: Les contacts n’ont pas abouti aux résultats souhaités. Nous avons subi une injustice suite à la frappe aérienne de l’usine d’Ach-Chifa. Les responsables US nous demandent de dépasser cette affaire. Nous répondons: Comment est-il possible d’oublier ce drame, alors que nous avons subi des pertes évaluées à près de soixante-dix millions de dollars?
Puis, des citoyens ont subi un préjudice. Qui supporte les pertes? J’attends la réponse à ces questions de l’Administration américaine.
En ce qui concerne l’ambassade US, elle se trouve dans une situation anormale qu’il importe de régulariser. Ainsi, le personnel de cette ambassade résidait à Nairobi, en même temps que l’ambassadeur qui est accrédité à Khartoum.
Melhem Karam: Est-il vrai que, selon les journaux, vous avez invité Washington à ramener le bureau de la CIA et celui du FBI à Khartoum pour observer les mouvements islamiques?
Président Al-Bachir: Cela ne s’est pas produit, naturellement. Mais des accusations ayant été adressées au Soudan, à ce propos, nous avons offert de coopérer avec les services de renseignements et de sécurité dans les deux pays, pour prouver que le Soudan ne soutient pas le terrorisme.

LE POUVOIR N’EST PAS UNE SINÉCURE
Melhem Karam: Vous assumez les charges du pouvoir depuis dix ans. Ceci ne vous a-t-il pas surmené et êtes-vous disposé à vous maintenir à la tête du pouvoir, si le peuple vous le demande?
Président Al-Bachir: L’action politique au Soudan est fatigante en raison de la dimension des problèmes à résoudre. Mais si l’homme sent que son peuple désire qu’il se maintienne au pouvoir et qu’il en a toujours la capacité, il est appelé à rester.
Quand l’homme entre dans la vie publique, il doit avoir conscience du fait qu’il ne mènera pas une vie facile. J’ai accédé à cette charge à partir des opérations dans la région.
Melhem Karam: La convention arabe de lutte contre le terrorisme est en vigueur depuis peu. Seriez-vous prêt, en vertu de cette convention, à livrer des éléments fondamentalistes dont l’extradition est réclamée par les pays dont ils portent la nationalité?
Président Al-Bachir: Nous avons accueilli, favorablement, cette convention, car nous sommes persuadés de son utilité et n’hésiterons pas à l’appliquer et à la faire approuver par toutes nos institutions: le Conseil des ministres et le Conseil national. Nous souhaitons des autres parties signataires d’approuver cette convention et de s’engager comme nous à en respecter les clauses.

PAS  DE CHANGEMENT GOUVERNEMENTAL
Melhem Karam: Le Caire dit que des éléments de la “Jamaa islamiya” et du “Jihad” ont trouvé refuge chez vous. Pourquoi hésitez-vous à les extrader pour hâter la normalisation de vos relations?
Président Al-Bachir: Nous avions accordé l’asile à certains de ces éléments, à titre de réplique à l’asile que l’Egypte avait accordé à des opposants au régime soudanais. Nous affirmons qu’il n’existe aujourd’hui au Soudan, aucun opposant au régime égyptien; les services de renseignements en Egypte le savent bien.
Melhem Karam: On parle d’un nouveau gouvernement que vous envisageriez de former. Est-ce exact?
Président Al-Bachir: Pas de changement gouvernemental dans un avenir prévisible.
Melhem Karam: Si le président Noumairy exprimait le désir de faire partie du gouvernement, accepteriez-vous de répondre à son désir?
Président Al-Bachir: Tout cela est prématuré. La participation suppose la négociation et le dialogue. Le pouvoir n’est-il pas participation?
Melhem Karam: En cas de prospection pétrolière, si des gisements aurifères étaient découverts, seriez-vous prêt à commercialiser l’or à la manière moderne?
Président Al-Bachir: Nous avons découvert, Dieu merci, des quantités d’or et avons commencé à les exploiter, commercialement. Nos exportations ont été bonnes l’année dernière et l’or a attiré bien des sociétés; il existe en grandes quantités dans la plupart des régions soudanaises, spécialement au nord, à l’est et le long des frontières orientales avec le Kenya.
Melhem Karam: Quels sont les points de désaccord avec l’opposition autour de la Constitution et de la loi régissant les partis?
Président Al-Bachir: Le sujet de la Constitution est délicat et comme je l’ai déjà précisé, toute révision de la loi fondamentale doit se faire à travers un référendum populaire.

UN CHRÉTIEN PEUT BRIGUER
LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE AU SOUDAN
Melhem Karam: A quel point l’Etat s’engage-t-il vis-à-vis de la loi islamique (Charia). Et comment cette dernière peut-elle régir la situation diversifiée au Sud au double plan politique et humain?
Président Al-Bachir: La Constitution définit tout cela: la loi islamique existe et est appliquée. La Constitution affirme que ceci ne lèse nullement les droits politiques et civiques de tout citoyen au Soudan. La Constitution n’empêche pas, par exemple, un chrétien de briguer la présidence de la République.
Melhem Karam: Quel est l’obstacle principal ayant empêché le règlement du problème du Sud au cours des dernières années?
Président Al-Bachir: Le fait de ne pas avoir traité le problème du Sud comme une affaire reconnue et de ne pas rechercher ses causes pour tenter de la résoudre, nous a incités à tenir un congrès en vue de parvenir à une solution acceptable.
Nous avons proposé une solution valable, mais comme je l’ai déjà dit, des forces régionales et internationales exercent leur influence sur le mouvement de rébellion dont elles cherchent à profiter pour atteindre leurs objectifs.
Melhem Karam: Y aurait-il une possibilité de souscrire à une solution susceptible de menacer l’unité du Soudan: une solution prônant le séparatisme ou le confédéralisme?
Président Al-Bachir: Deux projets d’accords confèrent aux citoyens du Sud le droit à l’autodétermination et nous agirons aux fins de réaliser l’unité.
Melhem Karam: Vous avez accueilli, favorablement, l’idée d’une visite du président Hosni Moubarak au Soudan. Y aurait-il des contacts en vue de préparer cette visite, surtout après que vous avez vanté le rôle arabe et international de l’Egypte?
Président Al-Bachir: Il n’y a pas d’accord sur ce point jusqu’ici.

LES RISQUES DE LA MONDIALISATION
Melhem Karam: Que pensez-vous de la mondialisation?
Président Al-Bachir: Elle nous vaudra de très grands risques et ne vise pas, comme certains l’imaginent, à libéraliser le commerce. La mondialisation nous vaudra des retombées politico-sociales, celles de caractère social étant les plus dangereuses.
La mondialisation conduira, en définitive, à des empires capitalistes. Le capital sera accaparé par une minorité, soit près de 20 pour cent de la population mondiale, les 80 pour cent qui restent deviendront pauvres, surtout les catégories qui se signalent au plan professionnel.
Melhem Karam: Au cours de votre dernière visite en Arabie séoudite où vous vous êtes rendu en pèlerinage, vous avez rencontré S.M. le roi Fahd Ben Abdel-Aziz, serviteur des deux saintes mosquées; quels sujets ont-ils été au centre de votre entretien?
Président Al-Bachir: La rencontre au cours du pèlerinage s’est déroulée rapidement. Nous avons affirmé ensemble la profondeur des relations entre nos deux pays et mis l’accent sur les constantes visant à en assurer la pérennité.
Melhem Karam: Y a-t-il une colonie soudanaise au Liban qui entretient les meilleurs rapports avec le Soudan? Comment avez-vous accueilli l’accession du général Emile Lahoud à la magistrature suprême? Que lui souhaitez-vous et que prévoyez-vous pour son peuple et son régime?
Président Al-Bachir: Nos relations avec le Liban sont anciennes. Des Libanais vivent au Soudan et des Soudanais sont liés à la Presse libanaise, surtout la revue “Al-Hawadess” et je suis sûr que les principaux lecteurs de cet hebdomadaire sont des Soudanais.
Le Soudan a œuvré durant la guerre libanaise en vue d’y rétablir l’ordre et la stabilité. Nos forces étaient acceptées dans cette période par toutes les parties et stationnaient dans une zone parmi les plus dangereuses, celle du musée à Beyrouth.
Nous souhaitons au président Lahoud le succès pour ramener le Liban à sa position initiale et attendons de l’accueillir chez nous. Nous lui adresserons, prochainement, une invitation officielle, le Liban étant cher aux Soudanais.

EXCELLENTES RELATIONS AVEC L’AFRIQUE
Melhem Karam: Quelle est la nature de vos relations avec les Etats africains et y attachez-vous une grande importance?
Président Al-Bachir: Nous nous employons à consolider les relations qui nous lient à plusieurs Etats africains, spécialement ceux de l’ouest. Nous avons commencé maintenant à établir de solides relations avec les pays de l’Afrique méridionale qui étaient restés pendant longtemps éloignés de notre pays.
Melhem Karam: L’affaire Carlos a-t-elle eu des retombées négatives à Khartoum?
Président Al-Bachir: Pas du tout; elle n’a laissé aucune séquelle.
Melhem Karam: Considérez-vous que des sanctions sont imposées au Soudan de la part de grandes puissances ou du Conseil de Sécurité? Dans l’affirmative, comment envisagez-vous de vous en défaire?
Président Al-Bachir: Des sanctions imposées par les Etats-Unis et les Etats européens commencent à dépasser celles du Conseil de Sécurité, telles les sanctions diplomatiques et l’interdit frappant les responsables soudanais qui sont empêchés de voyager.
Maintenant, notre ministre des Affaires étrangères effectue une tournée européenne dans le cadre de la normalisation des relations.
Le Soudan a organisé le plus grand congrès pour les réfugiés en Afrique, auquel ont participé un grand nombre de ministres des Affaires étrangères. Mais les Etats-Unis persistent à sanctionner le Soudan. L’Amérique a pilonné l’usine Ach-Chifa sous prétexte que cette dernière fabriquait des armes chimiques. Or, la résidence d’un grand diplomate est éloignée d’un demi kilomètre de la fabrique et si celle-ci produisait des matières chimiques, il aurait subi quelque préjudice.
Le fait que la région où se trouve cette usine soit classée parmi les zones résidentielles, prouve l’inanité de l’allégation des USA; autrement dit, qu’elle ne fabrique pas des produits toxiques.

Cette interview paraît à “La Revue du Liban”, à “Al-Hawadess”, au “Monday Morning” et “Al-Bayrak” dans les langues française, arabe et anglaise.
Rappelons que “La Revue du Liban”, “Al-Hawadess”  et “Monday Morning” sont maintenant distribués à Paris et à Londres, chaque semaine, le jour de leur parution à Beyrouth.


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