ANCIEN PREMIER MINISTRE, DÉPUTÉ DE TRIPOLI

OMAR KARAMÉ:

“LE CRIME DE SAÏDA VISE À COMPROMETTRE
LA SÉCURITÉ ET À PORTER ATTEINTE AU PRESTIGE DE L’ETAT”

De la réforme administrative, il dit que c’est une opération permanente, non limitée par le temps, mais reconnaît qu’elle a été “timide et modeste jusqu’ici”. L’ancien Premier ministre rend hommage, par ailleurs, à l’action du chef de l’Etat, disant que le président Emile Lahoud est le modèle du leadership lucide et rare. Il vante les qualités du président Hoss et reconnaît qu’à l’instar de tout homme politique, il est lui-même candidat à tout poste officiel. Observant que le “Cabinet des 16” n’est pas politisé et que le nombre des ministres est insuffisant, il préconise son élargissement pour rendre le gouvernement plus efficace et productif. Il ne manque pas, au passage, de critiquer certains membres de l’équipe ministérielle “pour leur désir de paraître à travers les moyens d’information”.

LE QUADRUPLE CRIME DE SAÏDA
A propos du crime de Saïda dont ont été victimes quatre juges, le président Karamé se montre circonspect, “d’autant, dit-il, qu’on ne connaît pas encore la partie qui l’a commandité, ni les exécutants... Cependant, la manière dont a été perpétré ce meurtre inqualifiable indique qu’il vise à compromettre la sécurité du Liban, à porter atteinte au prestige de l’Etat, à bloquer l’exécution des projets d’équipement et de développement et, partant, à freiner l’élan du nouveau régime.
Il n’est pas impossible que cette opération criminelle soit une riposte à la libération de Jezzine, suite au retrait avilissant  d’Israël et de Lahd de cette ville sans rien obtenir en retour.
Une opération de cette envergure ne peut être l’œuvre d’individus isolés, mais de services de renseignements bien rôdés.
Vous avez été l’un des premiers à réclamer la réforme administrative et l’ouverture de tous les dossiers sous le précédent régime. Quel jugement portez-vous sur ce qui a été accompli jusqu’ici dans ce domaine?
Naturellement, la réforme est nécessaire, car on ne peut rien entreprendre si l’administration étatique n’est pas assainie et rénovée. Chaque régime a tenté de réformer les services gouvernementaux sans y parvenir, notre système politique jouant un rôle fondamental dans ce domaine, étant donné son caractère confessionnel reposant sur le clientélisme.
Le nouveau régime a inscrit la réforme administrative et le changement à tous les niveaux en tête de son programme. Mais il a besoin d’un certain délai pour étudier les dossiers. Puis, l’assainissement de l’Administration qui avait démarré en force, s’est quelque peu ralenti pour la raison que le gouvernement devait élaborer le projet de budget 99.
Dès que la loi de finances sera ratifiée par la Chambre, la réforme reprendra son cours sans être limitée par le temps, car il s’agit d’une opération permanente et nul n’en ignore l’ampleur et la complexité.
Où en êtes-vous, à présent, de l’opposition et du loyalisme?
Il ne s’agit pas de loyalisme ni d’opposition. Nous œuvrons dans le domaine politique avec conscience. Ce qui m’intéresse au plus haut point est l’intérêt public. Ce régime, nous le considérons comme étant nôtre, car le président Emile Lahoud est le modèle de leadership rare. Il a prouvé sa capacité au commandement de l’Armée. Malheureusement, le legs dont il a hérité est tellement lourd que les résultats de son action ne peuvent apparaître rapidement.
Nous sommes, aussi, avec le président Salim Hoss et son gouvernement, c’est pourquoi, nous les soutenons. Mais quand nous relevons quelque chose d’anormal ou une erreur dans leur gestion, nous ne les passerons pas sous silence.
Vous avez préconisé, à un certain moment, le remaniement ou l’élargissement du Cabinet: êtes-vous toujours du même avis?
Je considère que le “Cabinet des 16” n’est pas suffisamment politisé et je peux avoir tort ou raison. Or, si le ministre n’est pas politisé, il peut difficilement réussir dans sa tâche.
Puis, le nombre des ministres est restreint, ce qui les amène à détenir plusieurs portefeuilles en même temps et, partant, les empêche de s’acquitter de leurs responsabilités d’une manière parfaite.
Je ne cache pas que certains membres du Cabinet sont critiqués pour leur désir de paraître à travers les moyens d’information.
Pour ces raisons, je préconise l’élargissement de l’équipe ministérielle de manière à ce que chacun de ses membres soit en charge d’un ministère. Il faudrait, également, y joindre des politiciens chevronnés.

• LA RÉFORME
EST UNE OPÉRATION PERMANENTE
NON LIMITÉE PAR LE TEMPS

• LE RÉGIME EST PARVENU
À ARRÊTER
LE GASPILLAGE

QUI EST RESPONSABLE DE LA CRISE SOCIO-ÉCONOMIQUE?
Comment évaluez-vous l’action du Cabinet Hoss, d’autant qu’il est critiqué pour sa manière de gérer le dossier socio-économique?
Tout d’abord, je rappelle qu’au moment où j’ai assumé les charges de Premier ministre, la dette publique extérieure se montait à 600 millions de dollars, conséquence de la guerre où l’Etat n’avait pas de revenu. En dépit de cela, en l’espace d’un an et deux mois, nous avons acquitté une dette de 150 millions de dollars, la dette extérieure ayant été ramenée à 450 millions. La dette intérieure pouvait s’élever, alors, à près de trois mille milliards.
Il n’y avait pas de problèmes à l’époque, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de M. Rafic Hariri qui a constitué des gouvernements pour le développement, la reconstruction et la remise en état des infrastructures.
Ils ont voulu reconstruire le pays en bloc sans établir un ordre des priorités, ce qui a provoqué des dépenses dépassant les prévisions et qu’on a appelées “gaspillage”. De ce fait, la dette publique a totalisé 20 milliards de dollars, ce qui est énorme pour un pays comme le nôtre dont le PNB (produit national brut) est très limité.
Le problème est donc considérable et on ne peut faire assumer à un régime ou à un gouvernement en place depuis six mois, une crise économique étouffante dont pâtit le pays. Nous en subissons toutes les conséquences, les pauvres comme les personnes aisées.
Nous entendons chaque jour que tel a émigré ou tel propriétaire d’entreprise commerciale ou industrielle a fermé ses portes et licencié son personnel. Ce régime et ce Cabinet en sont-ils responsables?
Cette situation ne se limite pas au Liban; elle affecte les pays du Golfe. Il ne faut pas perdre de vue non plus, qu’avant la guerre, notre pays occupait une place privilégiée: il était l’hôpital, l’école, la banque et le centre des loisirs des ressortissants arabes, mais la guerre nous a fait perdre cette position et ce rôle qu’il est difficile de récupérer.
Une pareille situation ne peut être réglée en un tournemain, en deux mois ou une année. Elle nécessite une longue période et nous avons besoin de nous serrer la ceinture. Ce régime ne dispose pas d’une baguette magique, mais il a réussi tout au moins à arrêter le gaspillage, ce qui est très important, parce que les fonds dilapidés se montaient à des millions de dollars. Le montant de la dette est trop élevé; l’Etat ne peut imposer des surcharges fiscales et l’aide extérieure vient au compte-gouttes.

DÉCOUPAGE ADMINISTRATIF ET ÉLECTORAL
Quoi de nouveau à propos du découpage administratif et des circonscriptions électorales?
L’un diffère de l’autre, le premier étant lié à l’administration et, le second, à la politique. En élargissant les attributions des administrateurs et des caïmacams, on facilite la tâche des citoyens quand ils ont à accomplir des formalités, en ce sens qu’ils ne seront plus obligés de se rendre à Beyrouth.
Comment concevez-vous une loi électorale modèle?
En principe, je suis pour la transformation du Liban en circonscription unique, mais cela suppose l’existence de partis dignes de ce nom, à travers lesquels quiconque brigue un siège parlementaire poserait sa candidature, sur base d’un programme en bonne et due forme et non des personnes.
Ce système a pour avantage d’abolir le confessionnalisme politique qui est le plus grand de nos maux. De plus, il se traduira par la stabilité au double plan politique et gouvernemental.
Ceci étant difficile à réaliser aujourd’hui, l’expérience des élections municipales prouve que la petite circonscription, sur base du caza, assure la meilleure représentation au niveau de la Chambre. Car les gens se connaissent et ont vu à l’œuvre les candidats qui sollicitent leur soutien.

PAS DE DÉSACCORD AVEC FRANGIÉ
Selon certaines rumeurs, des divergences vous opposeraient à vos alliés quant à l’élaboration de la nouvelle loi électorale, tel notamment M. Sleiman Frangié. Est-ce exact?
Nous sommes en parfaite entente avec le ministre Frangié sur ce sujet, alors que je n’ai aucun contact avec plusieurs députés nordistes, chacun de ces derniers se souciant de protéger sa tête et ses intérêts.
Comment qualifiez-vous vos rapports avec Issam Farès, député du Akkar?
Nous étions des alliés et, à mon avis, l’amitié et la coopération ne sont pas liées à la circonscription, mais à la politique générale. Même si le Liban-Nord faisait l’objet d’un nouveau découpage, ceci n’empêcherait pas notre coopération à l’avenir.

“TOUCHES HARIRIENNES”
Voyez-vous des “touches haririennes” dans les prochaines élections du Liban-Nord?
Qu’est-ce que cela veut dire?
C’est-à-dire des interventions de la part du président Hariri dans la campagne électorale et le scrutin.
En démocratie, chacun est libre d’intervenir, de nommer le candidat qu’il veut et de l’appuyer. Cependant, il n’est plus permis que les organismes de l’Etat interviennent comme par le passé et que des sommes soient dépensées à cet effet. Ainsi, la liberté est gérée par des principes et lois fondamentaux.
Au début, le gouvernement a été la cible de campagnes menées par les médias du président  Hariri. Bien que les gens se fient aux apparences, les réalisations accomplies par l’ancien chef du gouvernement ne sont pas conformes à la Constitution.

• LE CABINET DES 16 N’EST PAS POLITISÉ
ET LE NOMBRE DES MINISTRES EST
INSUFFISANT; POURQUOI NE
SERAIT-IL PAS ÉLARGI?

• JE PRÉFÈRE LE LIBAN EN TANT QUE
CIRCONSCRIPTION UNIQUE MAIS LES
PETITES SUBDIVISIONS SONT
PLUS REPRÉSENTATIVES

QUID DE L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE?
Les milieux parlementaires sont inquiets au sujet de l’immunité telle qu’expliquée par l’article 39 de la Constitution. Qu’en pensez-vous?
L’article 39 est clair. Depuis l’indépendance, personne n’a porté atteinte à l’immunité des députés. L’Assemblée nationale doit sauvegarder cette immunité, la tâche du parlementaire consistant à contrôler la gestion du gouvernement. Cependant, le député doit surveiller ses paroles, eu égard à la Justice.
Comment évaluez-vous l’action de l’Assemblée nationale, surtout que votre présence s’y fait rare?
Avant la guerre, l’Assemblée comptait des “pôles parlementaires” non seulement au niveau du  mohafazat ou du caza, mais à l’échelle nationale. Dans la législature de 1992 et 1996, ces pôles ont diminué. Tout de même, le président Berri est un ami et il a réussi à la présidence de l’Assemblée.

ATTITUDE À L’ÉGARD DU GOUVERNEMENT
On dit que votre attitude à l’égard du gouvernement est axée sur sa façon de traiter les questions concernant Tripoli...
Nous considérons la foire internationale Rachid Karamé comme un secteur public vital contribuant à l’essor économique de Tripoli et du Liban-Nord. Durant le régime précédent, une politique préjudiciable était appliquée à l’encontre de cette foire. Dans quel pays aménage-t-on une cour à l’intérieur d’une foire? Pourquoi cette cour n’a-t-elle pas été aménagée sur l’un des terrains dont dispose l’Etat?”
Votre opposition au gouvernement part-elle, uniquement, des revendications de votre région?
Tripoli est ma région et témoigne de notre Histoire. Quelle que soit notre position, nous sommes responsables de notre ville; les défenseurs de ses droits, de sa dignité et de sa ligne nationale. Partant de ce principe, je défends les droits de Tripoli qui est une région défavorisée.
Au cas où il y aurait un remaniement gouvernemental, approuvez-vous le maintien du président Hoss à la tête du Cabinet?
Evidemment. Grâce à son expérience, le président Hoss est l’homme qu’il faut dans l’étape actuelle; c’est pourquoi nous l’appuyons.
Certains ministres du Cabinet actuel réussissent dans leurs tâches; d’autres portefeuilles ont besoin d’être réorganisés. Partant de l’intérêt général et en attendant les prochaines législatives, ne faudrait-il pas doter le gouvernement d’éléments compétents, capables de gérer, avantageusement, les affaires publiques?

Propos recueillis par
HALA HUSSEINI

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